Fil d'Ariane
Ils l'ont promis : les colonels qui ont renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta le 18 août rendront les commandes aux civils à l'issue d'une transition. Mais la forme et la durée de cette période, deux sujets de frictions avec la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) qui a imposé des sanctions aux nouveaux dirigeants militaires, ne sont pas encore fixées.
"Depuis le 18 août, nous abordons une nouvelle histoire de notre pays. Cette étape cruciale nécessite une profonde réflexion et l'implication de l'ensemble des filles et des fils de la nation", a déclaré à l'ouverture des travaux Malick Diaw, n°2 du "Comité national pour le salut du peuple" (CNSP) mis en place par les putschistes.
Le lancement de cette large consultation avait subi un sérieux contre-temps le week-end dernier. Les militaires l'avaient reportée, en pleine querelle avec un acteur primordial de la crise, le Mouvement du 5-Juin/Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP).
Ces rencontres, sous la présidence mais en l'absence du colonel Assimi Goïta, le nouvel homme fort du Mali, se déroulent à Bamako, ainsi que dans les capitales régionales du Mali, sous la houlette des gouverneurs de région, selon la junte.
"La concertation nationale se poursuivra du 10 au 12 septembre 2020 (à Bamako) avec la participation des délégués régionaux et ceux de la diaspora", a précisé Ismaël Wagué, le porte-parole du Comité pour le salut du Peuple (CNSP), l'instance mise en place par les militaires.
Le M5-RFP, qui s'était indigné de ne pas avoir été invité nominativement à la première rencontre, figure cette fois explicitement parmi les participants annoncés, avec les partis politiques, les organisations de la société civile, d'anciens groupes rebelles, les syndicats et la presse.
Le M5-RFP, coalition d'organisations et de responsables politiques, religieux et civils réunis par leur opposition à l'ancien président, a mené pendant des semaines la contestation contre M. Keïta.
C'est finalement un groupe d'officiers qui l'a déposé le 18 août, après sept années de pouvoir exercé avec le soutien de la communauté internationale dans le combat contre la propagation jihadiste et pour la stabilité du Sahel.
Pour les militaires, le temps presse: les dirigeants ouest-africains, qui ont réclamé une "transition civile" et des élections sous 12 mois, se réunissent lundi par visioconférence avec la situation malienne en haut de l'ordre du jour.
Sur le plan intérieur, le M5-RFP qui a canalisé l'exaspération des Maliens devant la grave crise sécuritaire, économique et institutionnelle traversée par leur pays, mais aussi la corruption reprochée à toute la classe politique, réclame d'être placé sur un pied d'égalité avec la junte à l'heure de la transition.
Il l'avait accusée de chercher à "confisquer" le changement et sa figure tutélaire, l'imam Mahmoud Dicko, a prévenu les militaires qu'ils n'avaient pas "carte blanche".
Depuis, et après s'être d'abord surtout entretenus avec les représentants étrangers pour les rassurer mais aussi demander la levée des sanctions imposées par les voisins ouest-africains, les militaires ont reçu séparément les représentants du M5-RFP et des responsables de partis ou de syndicats.
Chacun a exposé sa vision, en particulier sur la durée de la transition et qui, civil ou militaire, devra la conduire. Ces questions divisent militaires et responsables maliens, communauté internationale et experts.
Les uns invoquent le temps et l'autorité indispensables pour relever les immenses défis auxquels fait face le pays et pour ne pas commettre à nouveau les erreurs d'un passé tourmenté. Les autres font valoir a contrario le risque d'un nouvel affaiblissement de l'Etat, d'une instabilité encore accrue dont profiteraient les jihadistes, ainsi que le mauvais exemple régional donné par une junte maintenue durablement au pouvoir.
La junte a proposé initialement trois ans sous la conduite d'un militaire, avant de rabaisser la barre à deux et de se dire ouverte sur son chef. Le M5-RFP a de son côté proposé une transition de 18 à 24 mois, avec des civils aux manettes des institutions.