Fil d'Ariane
L’Afrique était absente des débats de la présidentielle américaine. Pourtant cette dernière aura de fait un impact sur le continent vu le poids des États-Unis et notamment de ses financements en direction des pays africains dans divers domaines. La victoire de Donald Trump laisse présager des changements potentiels dans la vie des Africains.
Donald Trump lors de la nuit électorale le 6 novembre 2024, West Palm Beach en Floride.
À quoi les pays africains pourraient-ils s'attendre avec le retour de Donald Trump à la Maison Blanche ? De la relation de Donald Trump avec les pays africains, on retient entre autres ses propos insultants à leurs égards, ou encore le fait qu'il n'ait jamais fait le voyage sur le continent. Si la politique étrangère est traditionnellement reléguée au second plan dans une campagne présidentielle américaine, l'Afrique est quant à elle quasiment absente des débats et des préoccupations.
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Lors de son premier mandat, Trump n'a montré que peu d'intérêt à l'Afrique. Néanmoins, la victoire de Donald Trump avec son credo de "rendre à l'Amérique sa grandeur" pourrait impacter le continent africain dans des domaines variés, de la santé à l'économie en passant par la sécurité et la diplomatie.
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Étant donné le poids des subventions américaines sur les politiques de santé en Afrique, les pays africains pourraient être impactés par un changement en matière de financement de l'aide américaine par le président Trump. Rappelons que Donald Trump avait décidé le 14 avril 2020 la suspension du financement américain du budget de l’OMS puis annoncé le 6 juillet le retrait des États-Unis de l’agence onusienne. Une décision que son successeur Joe Biden avait annulée.
Par ailleurs, lors de son premier mandat, Donald Trump avait, peu après son élection, supprimé par décret toute aide médicale aux organisations qui pratiquent ou font la promotion de l'avortement. Ce choix n'est pas le fait propre de Donald Trump mais s'inscrit dans ce que l'on appelle la "politique de Mexico" (MCP). Cette politique a été adoptée par décret dès 1985 par le président républicain Ronald Reagan et vise à limiter le financement par les États-Unis de toute activité ayant lien avec l'avortement dans le monde. Les organisations de planning famillial sont directement visées et impactées.
Le quotidien américain Christian Science Monitor cite le cas à Madagascar de Mme Lalaina Razafinirinasoa qui dirige la branche malgache de MSI Reproductive Choices (anciennement Marie Stopes International). Cette organisation de planification familiale a choisi de renoncer à 30 millions de dollars par an de financement américain plutôt que d'accepter les conditions restrictives venant avec l'aide. Avec pour conséquences que "cela a forcé l'équipe de Mme Razafinirinasoa à réduire les programmes de sensibilisation qui amenaient le contrôle des naissances dans les coins les plus pauvres et les plus reculés de l'île, une décision qui la hante encore", note le journal.
Selon une étude rapportée par la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), "le rétablissement de la MCP entre 2017 et 2021 a entraîné environ 108 000 décès maternels et infantiles et 360 000 nouvelles infections par le VIH" à travers le monde.
L'impact de cette politique dépasse la question de l'avortement car les organisations de planning familial sanctionnées perdent des financements américains qui sont alloués à d'autres actions. Cela "rend plus difficile pour les femmes l’accès aux informations et au soutien en matière de santé reproductive et est associée à des taux de mortalité maternelle et infantile et à des taux de VIH plus élevés dans le monde entier", selon l'étude du PNAS. Les effets de cette politique sont d'autant plus lourds pour des pays africains que les États-Unis sont le plus grand bailleur de fonds en matière d’aide internationale à la population, notamment en matière de programmes de planification familiale et de santé reproductive.
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La question des relations commerciales avec l'Afrique va se poser pour Trump comme pour toute nouvelle administration américaine. Pour l'année 2023, l'administration Biden fait état d'un bilan record. Le Département d'État américain note que "les États-Unis ont soutenu et aidé à conclure 547 accords d’une valeur totale estimée à 14,2 milliards de dollars en nouveaux échanges commerciaux et investissements bilatéraux entre les États-Unis et des pays africains". Et de souligner : "Cela représente une augmentation d’environ 60 % du nombre et de la valeur des contrats conclus en 2022."
Le président Trump devra procéder à la prolongation d'un important accord commercial multilatéral avec des pays africains : l'African Growth and Opportunity Act (AGOA). Il s'agit d'une loi bipartisane votée par le Congrès américain en 2000 sous la présidence démocrate de Bill Clinton. Elle vise à ouvrir le marché américain à des produits exportés par des pays africains sans droits de douane mais sous certaines conditions, à savoir adopter une économie libérale et des valeurs de la démocratie et des droits humains. Au total plus de 6000 produits africains en bénéficient. En 2024, 32 pays africains sont éligibles à l'AGOA. Cette éligibilité peut être être suspendue en cas de non respect des conditionnalités. L'administration Biden a ainsi suspendu l'Ouganda, le Niger, le Gabon et la Centrafrique.
L'AGOA devant expirer en 2025, des négociations pour sa prolongation pour une durée de 16 ans est en cours. C'est le Congrès américain qui devra en décider, un Congrès dont le Sénat est d'ores et déjà acquis aux Républicains qui espèrent aussi conserver la Chambre des Représentants. Le camp de Donald Trump a donc déjà un rôle indispensable à jouer sur cette question de l'AGOA.
Il faut mettre au crédit de la première administration Trump la création d'une autre initiative économique avec les pays africains. "Prosper Africa" vise à accroitre les échanges commerciaux et les investissements bilatéraux entre les États-Unis et l’Afrique. "Depuis juin 2019, le gouvernement américain a contribué à la conclusion de 2 498 transactions dans 49 pays pour une valeur totale estimée à 120,3 milliards de dollars", selon le site de Prosper Africa. Pour Trump en particulier, la définition de sa politique à l'égard de l'Afrique s'est construite en vue de contrer l'influence de la Chine, notamment pour avoir accès à des minerais stratégiques. Cette rivalité avec la Chine reste la pierre angulaire pour Trump voire pour la politique extérieure américaine.
Un autre impact potentiel du retour de Donald Trump à la Maison Blanche concerne les questions liées aux changements climatiques. Climatosceptique affiché, Donald Trump avait décidé de retirer de façon unilatérale les États-Unis des Accords de Paris. Non seulement il considère que les limitations en matière d'énergies fossiles sont contraires aux intérêts de l'Amérique, mais aussi la nouvelle administration Trump serait hostile au principe de réparations climatiques que les pays africains et autres pays en développement réclament en vertu de ces accords.
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Comme sur d'autres questions internationales, le président Joe Biden était revenu sur la décision de son prédécesseur en réintégrant les États-Unis au sein des Accords de Paris.
En succédant en 2020 à Donald Trump, le président Biden avait voulu donner un axe de promotion de valeurs dans ses relations avec les pays africains. Le retour du républicain à la Maison Blanche pourrait s'accompagner d'une forme de réalisme politique dans ses relations avec les pays africains, selon le média The Africa Report. Cela signifierait que la question des valeurs, démocratiques, occidentales, passerait au second plan. The Africa Report en veut pour exemple le Projet 2025, un projet conservateur pour une administration républicaine conçu par la Heritage Foundation. Dans un chapitre sur la diplomatie rédigé par Kiron Skinner, un conseiller de Trump, on lit : « les pays africains sont particulièrement (et raisonnablement) peu réceptifs aux politiques sociales américaines telles que l’avortement et les initiatives pro-LGBT qui leur sont imposées ».
La question de la réintégration de pays africains qui ont été suspendus de certains programmes américains pourraient être envisagée. The Africa Report cite le cas de l'Éthiopie, exclue de l'AGOA à cause de la guerre dans la Tigré, dont la réintégration est défendue par Tibor Nagy, ancien secrétaire d’État adjoint aux Affaires africaines sous Trump et ex-ambassadeur en Guinée et en Éthiopie.
Dans le même ordre idée, cela pourrait se traduire par un recul en matière de défense des droits des LGBTQ+. À cet égard, l'Ouganda avait été exclu en 2023 de l'AGOA en raison d'une loi condamnant "l'homosexualité aggravée" à la peine de mort.