Qui sont les rebelles ADF alliés à l'EI qui sèment la terreur en Afrique centrale ?

De tous les groupes armés sévissant à l'est de la République démocratique du Congo, les Forces démocratiques alliées ou ADF sont les plus meurtriers durant ces dernières années. D'origine ougandaise et affiliés à l'organisation État islamique, ces djihadistes qui mènent des attaques contre des civils continuent de sévir de la RDC jusqu'en Ouganda malgré l'action conjointe des forces armées des deux pays.

Image
funérailles lycée Ouganda

Funérailles de deux victimes de l'attaque des ADF contre le lycée de Lhubiriha ayant fait au moins 42 tués dont majroitairement des étudiants, Nyabugando, en Ouganda, le 18 juin 2023.

AP Photo/Hajarah Nalwadda
Partager4 minutes de lecture

Dix sept mois après avoir lancé une opération militaire conjointe avec l'armée congolaise pour combattre à l'est de la RDC voisine les rebelles des Forces démocratiques alliées (ADF), l'Ouganda a subi sur son propre territoire une attaque particulièrement sanglante de ces milices d'origine ougandaise qui ont prêté allégeance à l'organisation État islamique.

Au moins 42 personnes ont été tuées le samedi 17 juin dont majoritairement des étudiants dans l'attaque contre le lycée Lhubiriha à Mpondwe, situé à l'ouest de l'Ouganda, à moins de deux kilomètres de la frontière avec la RDC.

Les victimes ont été surprises dans la nuit et attaquées à coup de machettes, abattues par balles ou brûlées vives.

D'où viennent les rebelles ougandais ADF ?

À l'origine, les Forces démocratiques alliées sont une coalition de groupes armés ougandais, dont le plus important était composé de musulmans, opposés au président ougandais Yoweri Museveni (président de la république d'Ouganda depuis 1986).

Historiquement, cette rébellion tire sa lointaine inspiration de la secte Tabligh, née au début du XXe sièce dans une Inde sous domination britannique, rappelle le Groupe d'Etude sur le Congo (GEC) dans un rapport publié en novembre 2018. Les premiers membres des ADF appartenaient à cette secte, qui en Ouganda est parfois associée à un courant salafiste. Le chef des ADF Jamil Mukulu est né chrétien, se convertit à l'Islam, part étudier en Arabie saoudite à Ryad d'où il revient avec une vision militante de l'Islam. Il sera arrêté et emprisonné avec d'autres lors des luttes de pouvoir pour le contrôle des musulmans en Ouganda. 

Pourquoi les ADF sont-ils implantés à l'est de la RDC ?

Après sa libération en 1994, Mukulu s'enfuit au Kenya tandis qu'un autre dirigeant de son mouvement, Yusuf Kabanda, part vers l'est du Congo où il s'allie avec un groupe rebelle laïc ougandais, l'Armée nationale pour la libération de l'Ouganda - la NALU.

À l'est du Congo alors appelé Zaïre, l'alliance rebelle ougandaise ADF-NALU œuvre pour le maréchal congolais Mobutu contre un ennemi commun, le président ougandais Yoweri Museveni. À la chute de Mobutu en 1996, provoquée en partie par l'intervention de l'armée ougandaise, les rebelles ADF-NALU fuient et trouvent refuge dans les savanes autour de Béni.

Implantés sur le Territoire de Beni à l'est de la République démocratique du Congo, les ADF-NALU s'implantent localement et mènent des raids contre l'Ouganda. Dans les années 2000, les ADF perdent leur allié NALU démobilisé. Le groupe se radicalise et devient plus agressif contre les populations locales alors qu'il fait aux offensives des Forces armées congolaises. En représailles, les ADF commettent à partir d'octobre 2014 une série d'horribles massacres contre la population locale, rappelle le rapport du GEC, et plus de 500 personnes ont été massacrées dans le Territoire de Béni entre octobre 2014 et décembre 2016.

À la suite de l'arrestation de Jamil Mukulu en 2015, un nouveau chef le remplace, Musa Seka Baluku. En 2019, les ADF prêtent allégeance à l'organisation État islamique qui revendique les attentats en désignant le groupe comme sa "Province d'Afrique centrale". À l'est de la RDC, les ADF sévissent dans les provinces du Nord-Kivu ainsi que de l'Ituri frontalières de l'Ouganda et sont accusés d'avoir massacré des milliers de personnes.

Incursion en Ouganda particulièrement meurtrière

L'attaque du lycée Lhubiriha à Mpondwe, marque cruellement la capacité des ADF de frapper en Ouganda lors d'une incursion, la deuxième depuis décembre 2022. Mais il s'agit de l'attaque la plus meurtrière depuis le double attentat à Kampala en 2010 qui avait fait 76 morts lors d'un raid revendiqué par le groupe islamiste des shebab, basé en Somalie.  

À la suite de l'attaque du lycée ougandais, les rebelles se sont repliés de l'autre côté de la frontière congolaise dans le parc des Virunga, la plus ancienne réserve naturelle d'Afrique mais aussi un repaire pour différentes milices. Les ADF y ont vécu pendant plusieurs années dans le parc des Virunga. "Ils y ont établi des liens avec les communautés locales à qui ils permettaient de cultiver des terres en contrepartie de redevances", précise Reagan Miviri, chercheur à Ebuteli, en partenariat avec le Groupe d’Etude sur le Congo.

Le groupe armé le plus meurtrier à l'est de la RDC, réalise donc sa pire attaque en Ouganda. Pour le chercheur Reagan Miviri, qui travaille notamment sur le projet de Baromètre sécuritaire du Kivu du Groupe d'Etude sur le Congo, cela peut s'interpréter comme "des représailles aux opérations conjointes des forces armées ougandaises et congolaises qui se passent du côté congolais" dans le cadre de l'opération Shujaa. L'attaque sonne comme un défi à l'armée ougandaise alors qu'elle participe à cette opération conjointe lancée en décembre 2021 pour lutter contre les ADF

Quel bilan pour l'opération conjointe des armées congolaise et ougandaise ?

Selon un rapport du GEC paru en juin 2022, l'opération Shujaa qui n'inclue pas les forces rwandaises, a pour particularité de sécuriser les intérêts économiques de l'Ouganda dans le cadre d'accord pour favoriser les échanges commerciaux notamment par la construction de routes. Une entreprise ougandaise ayant eu le marché, sécuriser ces investissements et ces infrastructures était une des motivations de l’entrée de l'armée ougandaise sur le territoire congolais.

Si l'opération Shujaa a remporté des succès, notamment dans le territoire de Beni, elle n'a pas mis fin aux actions des ADF. "Cela a eu pour effet un élargissement de la zone d’action des ADF. Alors qu’ils menaient beaucoup d'actions dans le Nord-Kivu, le groupe a été déstabilisé au point de se rendre de plus en plus vers l’Ituri pour s'attaquer aux territoires de Mambassa que Irumu", note Reagan Miviri.

Un autre constat est que l'opération Shujaa n'a pas permis de réduire le nombre de victimes civiles et de massacres. Au contraire, les opérations militaires donnent lieu à de représailles contre les populations. "Les ADF ciblent plus des civils que des symboles de l’Etat ou de l’armée", observe Reagan Miviri.

Quel rôle de l'organisation Etat islamique ?

Depuis son allégeance à l'EI en 2019, les ADF n'ont pas vraiement changé leur mode opératoire. L’allégeance à l’EI était plutôt une façon de formaliser la primauté de l’aile islamiste au sein de la nébuleuse des ADF. "Le groupe des extrémistes religieux a gagné de l’ampleur et utilise la violence pour faire du prosélytisme, notamment à travers des vidéos de revendications d’attaques", note Reagan Miviri. Comme tous les autres groupes armés, les ADF font de la prédation des ressources en profitant du vide sécuritaire et de l’Etat, mais ils ont pour spécificité d’avoir une idéologie islamiste affichée.

Selon un rapport du Groupe d'experts de l'ONU sur la RDC, les ADF bénéficient aussi d'un soutien financier de l'EI. Reagan Miviri souligne qu'outre ces financements, les ADF sont connectés aux trafics dans la région. "Ils peuvent lever des fonds au niveau local au travers des trafics entre la RDC et l’Ouganda notamment dans la vente du bois, du cacao, dans l’agriculture."

Une menace des ADF à l'échelle régionale ?

Grâce à l'allégeance des ADF, l'organisation Etat islamique revendique sur ses canaux habituels les attaques menées par le groupe qu'il désigne comme sa "Province d'Afrique centrale". Mais au-delà de cette propagande, la menace que pose les ADF pèsent à l'échelle régionale, selon Reagan Miviri. "Certes il s’agit d’un groupe d’origine ougandaise à la base, mais ils sont recrutés localement et dans d’autres pays au Burundi, en Tanzanie voire au Mozambique. La menace est plus large que le territoire ougandais et congolais. La réponse à cette menace doit être pensée à l’échelle régionale" souligne le chercheur.

Or l'opération Shujaa ne comprend que deux pays, la RDC et l'Ouganda, ce qui suscite d'ailleurs une certaine méfiance du Rwanda voisin quand à la présence en RDC de forces ougandaises en dépit du rétablissement de bonnes relations entre le Rwanda et l'Ouganda, qui ont été longtemps rivaux.

Par ailleurs, la force conjointe de la Communauté d'Afrique de l'est comprend elle des soldats de 5 pays (RDC, Ouganda, Burundi, Kenya, Sud-Soudan) censés lutter pour lutter contre les rebelles du M23, mais sans engagement militaire réel, elle n'obtient guère de résultat jusqu'à présent. 

Sur la multitude de groupes armés actifs à l'est de la RDC, les ADF continuent de faire un record de victimes. Selon Reagan Miviri, "le plus grand risque est que les ADF embrasent de plus vaste étendues ce qui rendra plus compliqué de les combattre encore plus loin de la frontière ougandaise. Car si la menace semble se diluer, elle reste présente sur de grandes étendues."