« C’est en Afrique que se joue largement l’avenir du monde. (…) Nous devons continuer à apprendre [des pays africains], comme ils peuvent apprendre de nous. Pour nourrir cet échange, je mettrai en place dans les prochaines semaines un Conseil présidentiel pour l’Afrique ; structure inédite, tournée vers les attentes de nos jeunesses. » C’est par ces mots qu’Emmanuel Macron a officialisé, ce mardi 29 août, la création de cette instance lors de son discours devant les ambassadeurs français. Le président met ainsi en œuvre une promesse de campagne.
> (Re)voir les principales déclarations du président devant les ambassadeurs.
Le « CPA » sera rattaché directement au président de la République. Il le rencontrera tous les trois mois, et ses membres se réunirons de manière hebdomadaire, indique l’une de ses membres, la journaliste et réalisatrice Liz Gomis.
Elle et ses collègues auront ainsi pour mission de faire des propositions au président et de préparer avec lui ses discours importants en rapport avec le continent. Le premier exercice du genre est prévu pour son déplacement à Ouagadougou, au Burkina Faso, en novembre prochain.
« Nous avons un rôle consultatif », explique Karim Sy, entrepreneur franco-libanais-malien et fondateur de Jokkolabs, une communauté d'entrepreneurs travaillant dans le numérique, déployée en France et dans plusieurs pays africains. Il fait partie du Conseil présidentiel pour l'Afrique. « Ce Conseil va amener un éclairage que le président n’aura pas l’habitude d’entendre, ça c’est sûr. Il voulait des gens qui ne sont pas habitués à être au Quai d’Orsay, ou au contact des autorités françaises classiques. »
Et Karim Sy d'ajouter : « Habituellement, ce sont plutôt des officiels ou des grands patrons qui sont reçus. Ce Conseil va porter de nouvelles voix, de nouveaux visages, et une nouvelle manière de voir l’Afrique. Et ses membres n’ont pas leur langue dans leur poche. On a aujourd’hui une jeunesse africaine qui a l’oreille du président. Et ça, c’est un grand changement qui est en train de s’opérer. »
Liz Gomis, Française aux parents sénégalais et bissau-guinéen, estime que sa mission sera aussi « d’éduquer à la culture africaine. Tout le monde s’intéresse à l’Afrique, mais personne ne s’intéresse à la culture profonde et à ce que sont vraiment les gens. »
Elle précise à quelles conditions elle a accepté de siéger : « Les premières choses qui me sont venues à l'esprit, c’est de savoir pourquoi l’Elysée est venue me chercher, ce que je pourrais apporter et quelle serait ma marge de manœuvre si j’acceptais. Je ne voulais pas m’engager dans quelque chose où, d’une certaine manière, je servirais de caution. Ce qui m’a motivé, c’est de me dire que si le contrat est respecté, à savoir pouvoir discuter avec le président en direct, vraiment en face à face, je vois l’intérêt de m’y engager. Nous, nous sommes là vraiment à titre consultatif. Mais consulter signifie aussi : écouter des gens qui ont peut-être de bonnes idées, mais aussi des doléances, parce que nous sommes évidemment conscients que tout ne va pas pour le mieux, en tout cas concernant la réputation de la France en Afrique. »
Cette instance est faite pour « survivre au président Macron », assure-t-on dans l’entourage du chef de l’Etat, selon nos confrères du Monde.
Peut-on craindre avec ce Conseil, une nouvelle version de la Françafrique ? Oui pour certains de nos internautes qui ont publié leurs commentaires sur notre page Facebook. « C'est la Françafrique à la Macron », considère Daoud Tom Adam (Tchad). Ou encore : « Emmanuel Macron, laissez les Africains libres de jouir de leurs richesses et de vivre leur propre culture de civilisation africaine. Il faut [plutôt] aider les Africains qui ont souffert de votre impérialisme de vol et de l'exploitation abusive de leurs richesses en violation de leur souveraineté », souligne Marley Lulu (Angola).
Autre interrogation : « C'est une initiative que nous respectons même si cela suscite autant des divergences entre les Africains. Mais pourquoi seulement un conseil présidentiel pour l'Afrique et non l'Orient ? », demande Christian Gala (RDC). « Et pour l'Asie alors ??? Ou les Amériques peut-être ? », surenchérit Fameux Ndonda (France).
Nous n’avons rien à voir avec la Françafrique.
Karim Sy, membre du Conseil présidentiel pour l'Afrique.
« C’est notre mission de casser cette perception, répond Liz Gomis. Si je pensais une seule seconde que nous perpétuons la Françafrique, il n’y aurait bien évidemment pas eu mon nom dans cette liste. »
Karim Sy y voit justement l'opportunité de rompre avec la "Françafrique" : « C’était quoi ? Un système institutionnalisé autour de Jacques Foccart qui a verrouillé tout un système économico-politique servant aussi ses intérêts personnels en Afrique et en France. Nous n’avons rien à voir avec tout ça. Aucun de nous dans le Conseil ne fait de la politique à ma connaissance. (...) Nous allons faire remonter des choses qui ne remonteraient pas par les réseaux classiques qui sévissent depuis 60 ans et qui ne font qu’empirer les relations entre l’Afrique et la France. »
Un point de vue que partage notre éditorialiste Slimane Zeghidour qui s’explique sur le plateau de TV5MONDE :
« Ce Conseil transformera la gouvernance de la politique africaine en réunissant auprès de moi un groupe de personnalités engagées », assurait Emmanuel Macron dans son discours. Pour l’instant le CPA réunit onze personnes, bénévoles, toutes de la société civile et issues pour beaucoup de la diaspora.
Les membres de ce Conseil ont été choisis par le conseiller Afrique du président, Franck Paris et le directeur Afrique au Quai d'Orsay, Rémi Maréchaux.
« Tous sont investis dans la relation entre la France, l’Europe et l’Afrique. Nous n’avons pas voulu faire de répartition en fonction des origines géographiques mais en revanche nous avons respecté une égale répartition entre hommes et femmes », rapporte l’entourage du président dans Le Monde.
En effet, sur onze membres, sept sont des femmes. Tous viennent d’environnements professionnels variés influents, même si une majorité d'entre eux sont entrepreneurs : sport, diplomatie, énergie, développement, justice, journalisme et investissement (voir la liste ci-dessous).
- Jean-Marc Adjovi-Boco (54 ans) ancien footballeur et entrepreneur franco-béninois.
- Jules-Armand Aniambossou (55 ans) ancien ambassadeur du Bénin en France, directeur général Afrique et outre-mer du groupe Duval.
- Diane Binder (37 ans) directrice adjointe française du développement international du groupe Suez. Elle a lancé Action Emploi Réfugiés (AERé), plate-forme mettant en relation des employeurs et des réfugiés à la recherche d’un travail en France.
- Yves-Justice Djimi (36 ans) avocat français.
- Liz Gomis (36 ans) journaliste et réalisatrice française.
- Jeremy Hajdenberg (43 ans) directeur général adjoint français d’Investisseurs et Partenaires.
- Yvonne Mburu (35 ans) chercheuse et consultante kényane en santé.
- Vanessa Moungar (33 ans) directrice franco-tchadienne du département « Genre, femmes et société civile » à la Banque africaine de développement.
- Nomaza Nongqunga Coupez (36 ans) entrepreneuse sud-africaine dans la culture.
- Karim Sy (45 ans) entrepreneur franco-libano-malien dans le numérique, fondateur de Jokkolabs.
- Sarah Toumi, 30 ans, entrepreneuse franco-tunisienne.
« Nos profils sont divers mais notre trait commun, c’est que nous avons des implications associatives ou entrepreneuriales qui ont un impact social, qui sont en lien avec les réalités concrètes du terrain. Nous menons tous nos actions de manière indépendante », souligne Karim Sy de Jokkolabs, qui insiste aussi sur le fait qu'ils travaillent tous au quotidien avec la jeunesse africaine. « Les membres du Conseil sont aussi des jeunes - pour la plupart - qui font, sans attendre personne. C'est cette énergie aussi que l’on voit se déployer sur le continent. Aujourd’hui, la jeunesse africaine représente la majorité de la population du continent. Elle ne demande qu’à participer et qu’on lui fasse confiance. »
« Nous sommes onze membres, mais nous allons être amenés à asseoir à notre table d’autres personnes, issues d’autres milieux, commente Liz Gomis. Ce n’est pas un club select, dans lequel tout serait verrouillé. L’idée sera de monter des projets en cherchant les bonnes informations et en auditionnant les personnes les plus à même de nous répondre. »
Selon nos confères de Jeune Afrique, le bureau permanent de ce Conseil présidentiel pour l'Afrique devra siéger à l'Agence française de développement.