Samedi 4 mars, Emmanuel Macron et Félix Tshisekedi ont donné une conférence de presse commune à Kinshasa. Les deux dirigeants sont revenus sur le conflit à l’est de la RDC qui oppose les rebelles du M23 à l’armée congolaise. Lors de l'ultime étape de la tournée africaine du président français, un cessez-le-feu en cours de négociation est annoncé pour le 7 mars par les deux chefs d'État.
"Ce que nous attendons du Rwanda et des autres (acteurs), c'est de s'engager et de respecter les rendez-vous qu'ils se donnent sous la supervision des médiateurs. S'ils ne respectent pas, alors oui, il peut y avoir des sanctions, je le dis très clairement", a donc déclaré samedi 4 mars le président français Emmanuel Macron à une conférence de presse à Kinshasa, donnée aux côtés du chef d’État congolais Félix Tshisekedi.
Pas de condamnation officielle du Rwanda pour son soutien aux rebelles du M23 mais de nouvelles mises en garde. Voilà ce que l’on peut retenir des déclarations du dirigeant français.
Et Emmanuel Macron était particulièrement attendu sur les enjeux sécuritaires en RDC. Le dirigeant, qui achève une tournée africaine à Kinshasa après s’être rendu au Gabon, en Angola et au Congo, a été assailli de questions posées par les journalistes congolais. Ils ont interrogé à plusieurs reprises le président Macron au sujet des relations entre Paris et Kigali, qui est accusé par Kinshasa de soutenir les rebelles du M23, dans l'espoir d'une condamnation formelle du Rwanda par le chef de l'Etat français.
Qu’importe la persistance des questions, Emmanuel Macron n’a pas pris de nouvelles positions concernant les exactions menées à l’est à l'encontre des populations. En 2022, le M23 a été impliqué dans une dizaine de massacres perpétrés dans l’est de la RDC dans la province du Nord-Kivu. Des centaines de civils ont été tués. Des attaques qualifiées “d’agression injuste et barbare” par le président congolais Félix Tshisekedi samedi 4 mars 2023.
“La condamnation n’est pas suffisante”, commente Christophe Rigaud, rédacteur en chef du site Afrikarabia et spécialiste des questions de l'Afrique de l’Est. Même constat pour Pierre Boisselet, coordonnateur des recherches sur la violence à l’institut congolais Ebuteli, qui qualifie la position de la France vis-à-vis du Rwanda de “relativement timorée”. Le 19 décembre, par un communiqué du Quai d'Orsay, Paris condamnait pour la première fois le soutien du Rwanda au M23, puis la secrétaire d'Etat chargée du Développement, de la Francophonie et des Partenariats internationaux, auprès de la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Chrysoula Zacharopoulou, avait réitéré cette condamnadation.
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Selon Christophe Rigaud, depuis ces dernières déclarations de Paris qui remontent au mois de décembre 2022, “aucun retrait notable du M23 n’a été enregistré après ces condamnations”. “Même s'il y a eu condamnation , il ne se passe rien sur le terrain militaire”, relève-t-il aussi.
D’autant plus que “cette condamnation est arrivée tardivement”, assure Christophe Rigaud. “La France n’a en tout cas condamné le soutien du Rwanda au M23 qu’après d’autres États, comme les États-Unis et la Belgique”. “Les Nations Unies avaient remis des rapports certes confidentiels mais qui pointaient déjà l’aide et le soutien du Rwanda au M23”. “Comme d’autres pays européens, la France a tardé à condamner le soutien de Kigali aux rebelles du M23”, complète Christophe Rigaud.
Peu avant son arrivée sur le sol congolais, le président français avait été critiqué par de nombreux manifestants kinois réunis à la capitale. “Emmanuel Macron n’est pas le bienvenu” scandaient-ils, pointant du doigt l’absence de réelle condamnation par la France du soutien apporté par le Rwanda aux rebelles du M23.
Si la France peine à condamner fermement l’action du Rwanda, c’est notamment du fait de relations étroites entre les deux pays. Comme le confirment des observateurs, l’alliance franco-rwandaise s’étend désormais à plusieurs secteurs. “La France a noué un partenariat stratégique avec le Rwanda en matière sécuritaire, il est très important pour Paris”, affirme Pierre Boisselet. “Au Mozambique, l’armée rwandaise a repoussé un groupe djihadiste dont les actions ont empêchées la poursuite d’un gigantesque projet gazier opéré par la multinationale française TotalEnergies”, rappelle-t-il.
Le Rwanda aussi est pourvoyeur de troupes pour les Casques bleus de l’ONU. Ses soldats sont notamment déployés en Centrafrique et au Mozambique dans le cadre d’opérations onusiennes sur le continent. Et comme l'assure Christophe Rigaud, “il est très difficile de trouver des pays qui acceptent d’envoyer des soldats dans des opérations de maintien de la paix”. “D’un côté, il devrait y avoir une condamnation de Kigali, de l’autre les Nations Unies ont besoin du Rwanda pour fournir des troupes à leurs missions de maintien de la paix”, analyse l’expert, qui parle même d’une “situation ambiguë”.
En plus de l’ONU, l’Union européenne compte aussi sur le Rwanda pour assurer le maintien de la paix dans la région. Fin 2022, les 27 ont décidé de débloquer une aide financière d’un montant de 20 millions d’euros à destination de l’armée rwandaise. Un appui fortement contesté par Kinshasa, qui a dénoncé un soutien à un pays qui finance la rébellion dans le pays. "L’Union européenne a justifié cette aide pour venir en appui global à l’armée de Kigali, qui intervient dans de nombreuses interventions pour le maintien de la paix", rappelle Christophe Rigaud.
Même si le Rwanda est un partenaire des Européens et de l'ONU, Kinshasa demande de passer à la vitesse supérieure. Il pourrait notamment s’agir de sanctions prises à l’encontre de Kigali. “Dans le cas où le M23 ne respecterait pas la feuille de route de Luanda, et notamment le cessez-le-feu fixé à mardi prochain, oui, des sanctions pourraient être envisagées”, assure Pierre Boisselet, qui indique : “reste à savoir si des sanctions seront effectivement prises si cette feuille de route n’était pas respectée”.
En attendant, “dans la population congolaise, on a le sentiment d’un deux poids, deux mesures”, fait savoir Christophe Rigaud. “Ils comparent le conflit à l'est avec la guerre en Ukraine depuis l’invasion de la Russie”, explique-t-il. “Les Congolais en général et le président Tshisekedi en particulier attendent une position beaucoup plus ferme de la France pour une condamnation du Rwanda. Ils attendent aussi que les Nations Unies sanctionnent aussi sévèrement le Rwanda que la Russie”, soutient le journaliste.
En attendant des positions internationales plus fermes, c’est peut-être sur le continent africain que la résolution du conflit entre le M23 et le gouvernement congolais pourrait bientôt émerger. À la faveur de l’action menée par la coalition est-africaine pour la paix dans la région. Dirigée par le président de l’Angola Joao Lourenço, la communauté des États d’Afrique de l’est a envoyé des troupes en RDC pour combattre les rebelles du M23. Essentiellement originaires du Kenya et du Burundi, les soldats de la force est-africaine doivent “reprendre les positions libérées et assurer le maintien de la paix une fois que les rebelles sont vaincus”, détaille Christophe Rigaud.
Dans le sillage de cette alliance pour la paix, l’Angola est en train de négocier avec le M23 et Kinshasa pour le retrait des rebelles le lundi 7 mars. “La médiation est-africaine a établi une feuille de route qui prévoit le retrait du M23 de la plupart des zones occupées et son cantonnement, puis des négociations. Mais ce n’est pas la première feuille de route de ce type et les précédentes n’ont pas été respectées, donc ces décisions demeurent sujettes à caution”, analyse Pierre Boisselet. Le président congolais Felix Tshisekedi n'a pas caché ses réserves et "demande à voir". Mais le dirigeant assure qu'il accepte de "[donner] la chance à la paix".
“J’ai l’impression que ce sont les États est-africains qui ont la main sur le conflit. À problème africain, solution africaine”, lance Christophe Rigaud, même s’il rappelle que de précédentes initiatives pour le maintien de la paix en Afrique comme la MONUSCO (mission de l’ONU pour la paix en RDC) n’ont pas pu aboutir.
Samedi 4 mars, Emmanuel Macron a assuré que les présidents Lourenço, Tshisekedi et Kagame avaient tous "apporté un soutien clair" à un nouveau cessez-le-feu mardi prochain, tel que prévu dans "le chronogramme". Les représentants du M23 qui sont allés voir le président Lourenço se sont aussi engagés sur ce point, a précisé le président français.