RD Congo : Joseph Kabila à Goma, un retour politique controversé

Le retour de Joseph Kabila à Goma, vendredi 18 avril 2025, dans un contexte de crise sécuritaire en République démocratique du Congo, ravive les tensions politiques. L'ancien président, accusé de collusion avec les rebelles du M23, veut se positionner en acteur clé face à un pouvoir fragilisé.

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Joseph Kabila

Le président sortant Joseph Kabila assiste à la cérémonie d'investiture du président congolais Félix Tshisekedi à Kinshasa, en République démocratique du Congo, le jeudi 24 janvier 2019.

AP Photo/Jerome Delay
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Le retour de Joseph Kabila à Goma est stratégique. Cette ville de l’est du pays est contrôlée par le M23-AFC depuis janvier, rébellion armée soutenue par le Rwanda. Des combats qui ont fait environ 3 000 morts et 7 millions de déplacés. Kabila était resté silencieux depuis son retrait du pouvoir en 2019 et avait quitté la RDC en 2023 pour s’installer en Afrique du Sud. 

Son retour s'inscrit dans le cadre de la cohésion, de l'unité, mais surtout dans une dynamique des efforts qui sont en train d'être faits pour retrouver une paix durable à l'est de notre pays
Jean Serge Tshiben, secrétaire National du PPRD

L’ancien chef d’État justifie aujourd’hui son retour par la dégradation sécuritaire du pays et l’effondrement des institutions. Le 8 avril, il annonçait dans une lettre aux médias avoir "pris la résolution de rentrer, sans délai, au pays" en raison de "la dégradation de la situation sécuritaire" et de "la déliquescence des institutions", affirmant vouloir commencer son retour par l’Est car "il y a péril en la demeure".

Selon des sources localesl’homme aurait traversé la frontière par Kigali, la frontière du Rwanda, pays accusé de soutenir la rébellion. Kabila aurait été accueilli dans le chef-lieu de la province du Nord-Kivu aux mains des rebelles, Goma, provoquant des interrogations. Jean Serge Tshiben, secrétaire National du PPRD, le parti de Kabila, confirme ce samedi 19 avril son retour annoncé par la partie orientale du pays : "Son retour s'inscrit dans le cadre de la cohésion, de l'unité, mais surtout dans une dynamique des efforts qui sont en train d'être faits pour retrouver une paix durable à l'est de notre pays. Il est vrai que cette partie du territoire est occupée par ces forces négatives. Comment pouvons-nous arriver à réconcilier, à travailler pour la réorganisation de la paix, sans passer par là où il y a des problèmes."

Au cours d'une rencontre avec la presse à Lubumbashi, le porte-parole du Gouvernement, Patrick Muyaya, ministre de la Communication et des Médias, rappelait dès vendredi les obligations pour un ancien président et s'interroger sur la symbolique et les conséquences de ce retour de Joseph Kabila.

Pour Christian Moleka, politologue au sein du groupe de réflexion congolais Dypol, cité par ABC News, ce retour aura un "effet potentiellement détonant sur la politique congolaise" parce qu’il renforce les soupçons de collusion entre Kabila et la rébellion du M23.

Son objectif, selon l’un de ses proches collaborateurs cité par l’agence Associated Press, est de "participer aux efforts de paix". Il entendrait "prendre part à la recherche de solutions" dans un contexte où "tout le monde parle du Congo sans les Congolais… ce n’est pas normal".

Tshisekedi fragilisé par la guerre et isolé politiquement

Réélu fin 2023 avec 73 % des voix selon la CENI, Félix Tshisekedi traverse une phase d’affaiblissement importante. Le pays est confronté à une crise sécuritaire majeure, l’armée a perdu plusieurs bastions stratégiques et les négociations avec le M23/AFC à Doha ne donnent pas encore de résultats. Face à cette situation, Tshisekedi a proposé un gouvernement d’union nationale début 2025. "Ne soyons pas distraits par des querelles internes, des manipulations extérieures ou des relents tribaux… Nous devons nous unir", s'était-il adressé à la nation et à l’opposition. 

Une main tendue rejetée par cette dernière qui l’accuse de gouverner de manière autoritaire et inefficace. Son appel à "serrer les rangs" n’a pas empêché une fragmentation persistante de la classe politique. L’opposition avait déjà, en 2023, rejeté la réélection de Tshisekedi en dénonçant une "farce" électorale. Son principal rival, Moïse Katumbi (18% des voix), a renoncé à tout recours, jugeant les institutions inféodées au pouvoir. 

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Interrogé par Le Point, le politologue Trésor Kibangula explique que Joseph Kabila "ne parle jamais sans raison. Aujourd'hui, il choisit de s'exprimer au moment où la situation est tendue : une grave crise sécuritaire, un climat politique fragile et une contestation croissante de Félix Tshisekedi. Il se positionne comme une alternative, ou du moins comme un acteur incontournable dans la gestion de la crise."

Tshisekedi est également de plus en plus isolé sur la scène régionale. Les relations diplomatiques avec le Rwanda sont rompues. L’influence croissante de pays comme le Qatar, le Burundi ou l’Ouganda dans le dossier sécuritaire congolais pousse le président à négocier sous pression. Dans ce contexte de fragilité, l’irruption de Joseph Kabila dans le paysage politique congolais bouleverse un peu plus l’équilibre précaire du pouvoir.

Kabila complice des rebelles ?

Pour le camp présidentiel, Joseph Kabila serait lié, voire complice, du M23. En mars, lors d’un meeting à Kikwit, le vice-Premier ministre Jean-Pierre Bemba affirmait détenir "toutes les preuves" que "celui qui finance le M23 et l’AFC, c’est Kabila". L’élu ajoute "Kabila prépare l’insurrection. L’AFC, c’est bien lui" et suggère même que Kabila aurait fui le pays en 2023 pour échapper à des révélations compromettantes, et financerait désormais la rébellion pour revenir par la force. Félix Tshisekedi lui-même, en 2024, a accusé Kabila de "soutenir l’AFC" et de "préparer une insurrection".

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D’autres figures proches du pouvoir, comme Augustin Kabuya, secrétaire général du parti présidentiel UDPS, qualifie l’annonce du retour à Goma comme "l’aveu" par Kabila de sa paternité sur la rébellion : "Nangaa (chef de l’AFC/M23) est le produit de Kabila et Kabila est le produit de Kagame", a-t-il lancé, assimilant l’ex-président à une marionnette du Rwanda.

Tshisekedi mauvais gestionnaire ?

Face à ces attaques, le clan Kabila dément en bloc et retourne la critique contre le régime. Dès mars, à Johannesburg, Kabila avait rejeté ces "soupçons infondés" de connivence avec le M23 plaidant au contraire pour une "approche endogène" de résolution de la crise, lors d’un entretien avec l’ex-président sud-africain Thabo Mbeki. À Goma, l’ancien président maintient sa ligne de dénégation : interrogé sur les accusations, il défie : "Demandez au président Tshisekedi de vous fournir les preuves de ses accusations".

Son parti, le PPRD, parle de « mensonges » du pouvoir en place : "À défaut de justifier leur bilan, ils pensent pouvoir tromper la population… pour occulter leur échec cuisant", rétorque un cadre du PPRD, fustigeant ce qu’il voit comme une diversion du gouvernement

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Pour les fidèles de Kabila, c’est Tshisekedi qui porte la responsabilité de la débâcle à l’Est : ils rappellent que le M23 avait été vaincu en 2013 sous Kabila, et que sa résurgence est due "aux accords conclus sous Félix Tshisekedi", suggérant une faillite de la stratégie du pouvoir actuel. Kabila se pose en observateur critique d’un régime Tshisekedi qu’il dépeint comme autoritaire et incompétent.

Un retour dans l'opposition

Depuis plusieurs mois, Kabila prépare son retour. Il a restructuré son parti, le PPRD, nommé de nouveaux cadres et publié cette tribune virulente dans le Sunday Times fin février contre le pouvoir en place où il dénonce la stratégie sécuritaire du pouvoir en place et alerte sur les limites d’une réponse exclusivement militaire à la crise qui secoue l’est de la RDC. En coulisses, Kabila avait préparé le terrain : il avait même interdit en 2023 à ses partisans de participer aux scrutins sous Tshisekedi, acte de rupture totale​. 

Kabila conserve des soutiens, notamment dans l’armée et dans l’Est du pays où son régime avait pacifié certaines zones après les accords de 2009 avec l’ancienne rébellion du CNDP, l’ancêtre du M23. Toutefois, il doit composer avec l’image ternie de ses 18 ans de pouvoir sans partage (2001-2019) marqués par la corruption et les atteintes aux droits humains. Son retour devra également se faire dans un contexte d’opposition morcelée. Moïse Katumbi, Martin Fayulu ou encore Denis Mukwege refusent pour l’instant tout rapprochement avec l’ancien président, dont ils critiquent encore le bilan.