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TV5MONDE : Certains pointent un manque d’unicité de commandement et une faible capacité de combat interarmes au sein des forces armées congolaises.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu : Les FARDC dispose d’une assez faible capacité de commandement. Les causes sont multiples. Déjà, on ne sait pas qui est le vrai commandant des opérations. Dans le jargon militaire, un principe dit : « unité de terrain, unité de commandement ». Le commandement doit être conçu de manière pyramidale. De sorte que si le commandement des opérations donne un ordre, il sait comment cela sera répercuté aux échelons inférieurs.
Or, ici, il y a un dysfonctionnement de commandement parce qu’il existe plusieurs commandements sur le terrain. Il y a au moins trois ou quatre pôles de commandement au sein desquels on ne sait pas qui est qui, qui commande quoi. Certains disposent de leurs propres unités qui mènent leurs opérations indépendamment du chef des opérations sur le terrain. À l’instar des unités venues de Kinshasa, envoyées directement par la Maison militaire du chef de l’État.
Quand vous menez des opérations, il faut mettre en place des manœuvres coordonnées entre les unités au sol, les unités blindées, aéroportées ou de soutiens telles que les forces aériennes ou l’artillerie. Cela demande une coordination assez minutieuse. La logistique et les opérations doivent être planifiées en amont.
Prenez l’exemple de la France. L’armée prépare des exercices face à une menace de grande envergure (ndlr : l’opération Orion). Les autorités se sont rendues compte que depuis longtemps, l’armée n’a pas eu l’occasion de s’entrainer à contrer ce genre de menace.
C’est comme une équipe de football. Il s’agit de créer un corps, une cohésion, des affinités et une certaine fluidité dans la manière dont les opérations seront conduites sur le terrain. Les FARDC ne participent à ce genre d’exercice au niveau national ou régional.
Pendant longtemps, on a avancé l’excuse de l’embargo qui était en fait un faux embargo car des armes ont toujours été achetées.
Jean-Jacques Wondo Omanyundu, analyste des questions sociopolitiques, sécuritaires et militaires de RDC et de l'Afrique médiane
TV5MONDE : L’embargo sur les armes imposés à Kinshasa et assoupli en décembre dernier par les Nations unies a-t-il conduit à un déficit d’équipements nécessaires aux FARDC ?
Jean-Jacques Wondo Omanyundu : Si vous faites l’inventaire du matériel brut de l’armée congolaise comparativement au M23 ou au Rwanda, le Rwanda ne pourrait pas tenir militairement. Mais est-ce que ce sont les équipements adéquats ? Arrivent-ils à bon port ? Ça c’est une autre question. Pendant longtemps, on a avancé l’excuse de l’embargo qui était en fait un faux embargo car des armes ont toujours été achetées, soit par la voie légale après avoir les avoir déclarées aux experts des Nations unies, soit par des voies détournées. Il y en a eu des tonnes et des tonnes.
La manière dont la logistique est répartie sur le terrain pose aussi problème. Tout passe par le commandement, un commandement où justement on ne sait pas qui fait quoi. Parfois le matériel ne correspond pas aux réalités du terrain, parfois les troupes reçoivent des armes avec des munitions qui ne sont pas compatibles avec ces armes. Le problème est systémique, structurel, organisationnel et je ne vois pas les FARDC renverser le cours des choses dans les mois à venir.
TV5MONDE : Quid du rapport de force en termes d’effectifs présents sur le terrain ?
Jean-Jacques Wondo Omanyundu : Depuis le terrain, on communique à l’autorité suprême de Kinshasa ce qu’on appelle les effectifs théoriques organiques. Par exemple, on fait état d’un bataillon, lequel comprend théoriquement entre 600 et 900 soldats en moyenne. Mais sur le terrain, seules 300 personnes combattent au sein de ce bataillon. On envoie les fonds en fonction des effectifs signalés qui ne correspondent pas à la réalité. On a ainsi dénombré entre 9.000 et 11.000 militaires qui ne sont pas sur le terrain. Et ces informations ont été confirmées dans un discours par le président lui-même. Une stratégie de cannibalisation de l’argent qui arrive sur le terrain est à l’œuvre.
Malgré cela, le rapport de force est favorable à l’armée congolaise en comparaison des effectifs du M23, documentés par les experts. On estime à pas plus de 4000 voire 5000 personnes qui se battent dans les rangs du M23. Et même avec les effectifs qui viendraient du Rwanda, le chiffre ne dépasserait pas 6000. Or, côté congolais, on compte entre 11.000 et 15.000 combattants, donc le double en proportion.
Il faut par ailleurs souligner le problème de la démotivation des militaires. Beaucoup de gens se sont montrés mécontents des nominations au sein des FARDC en octobre de l’année passée. D’autres dénoncent une mauvaise distribution des primes. De même que lorsqu’ils voient la prise en charge médical de leurs compagnons d’armes tombés au front, les soldats congolais ne sont pas motivés pour aller au bout.
Voyez, par exemple, comment la mobilisation spontanée s’est déroulée en Ukraine, où les jeunes et les femmes s’entraînent pour défendre leur patrie. Ce n’est pas le cas au Congo. Les militaires eux-mêmes ont peur d’appuyer sur l’accélérateur parce qu’en cas de décès, ils savent que leur famille ne seront pas prises en charge.
Il y a encore des généraux, des officiers, qui ont été d’anciens rebelles et dont la loyauté s’avère douteuse
Jean-Jacques Wondo Omanyundu, analyste des questions sociopolitiques, sécuritaires et militaires de RDC et de l'Afrique médiane
TV5MONDE : Comment expliquer ces problèmes structurels ?
Jean-Jacques Wondo Omanyundu : À la suite des mises en places effectuées au sein de l’armée ces deux dernières années, on constate que la plupart des responsables chargés du renseignement sont des gens issus de rebellions soutenues par Rwanda ou des Rwandophones qui ont gardé une certaine affinité avec le M23. Ces gens transmettent parfois des informations sur les positons des FARDC, parfois attaquées par surprise. On sait que dans l’armée, beaucoup de Rwandophones restent loyaux avec leurs anciens camarades passés de l’autre côté. Sans compter qu’il y a eu des réformes par le passé au sein desquelles on a mixé armée régulière et troupes rebelles dont certains membres sont issus du RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie) et du CNDP (Congrès national pour la défense du peuple ).
Tous les plans de réforme mis en place, pour extraire le bon grain de l’ivraie et procéder à un nettoyage, à un assainissement de l’armée, n’ont pas été poursuivis jusqu’au bout. Avec le changement de régime, on espérait qu’elles seraient opérer. Mais il y a encore des généraux, des officiers, qui ont été d’anciens rebelles et dont la loyauté s’avère douteuse.
(Re)voir : Rwanda : des experts de l'ONU accusent Kigali de soutenir le M23 en RDC