RDC : « Au-delà de la fin de l'embargo sur les armes, le pays doit surtout se doter d’une armée digne de ce nom »

Pour les autorités congolaises, le renouvellement par le Conseil de Sécurité de l'ONU du mandat de la MONUSCO pour un an et la levée de l’obligation de notification des fournisseurs de matériel militaires à Kinshasa, c'est un peu une victoire diplomatique. Mais comme le souligne Jean-Claude Mputu, politologue et porte-parole de la plateforme d’ONG Le Congo n’est pas à vendre, le défi pour le gouvernement, c’est doter le pays d’une armée digne de ce nom. Analyse.

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MONUSCO
Casques bleus de la MONUSCO déployés près de Kibumba, au nord de Goma, dans la région du Nord-Kivu, à l'Est de la République démocratique du Congo, le vendredi 28 janvier 2022.
© AP Photo/Moses Sawasawa
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Au lendemain de l’annonce du vote par le Conseil de sécurité des Nations unies d’une résolution mettant fin à l’exigence de notification d’achat d’armes et matériels militaires pour la République Démocratique du Congo, nos confrères de Radio Okapi, radio d’informations indépendante basée en RDC, soulignent que la plupart des journaux parus à Kinshasa, la capitale congolaise, s’intéressent à cette actualité. C’est dire si l’événement est d’importance, même si dans le fond, cette décision ne règle pas le défi auquel le pays doit faire face : se doter d’une armée digne de ce nom.

Une victoire diplomatique de la RDC

Le Conseil de sécurité a en effet procédé au vote de la résolution 2667, relative à la levée de la mesure d’exigence de notification d’achat d’armes et matériels militaires, en vertu du régime de sanctions 1533 contre la RDC. Dans un communiqué, le gouvernement congolais a immédiatement salué l’adoption de cette résolution. « Cette résolution approuvée à l’unanimité par les Membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, peut-on lire dans ce communiqué, vient ainsi réparer une injustice qui empêchait notre pays de se doter librement d’équipements militaires devant permettre aux Forces armées de la RDC d’avoir les capacités nécessaires à défendre la patrie face notamment à l’agression Rwandaise sous couvert du mouvement terroriste M23. »

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Dès 2003, et la mise sur pied d’un gouvernement de transition (2003-2006), toutes les livraisons d’armes à la RDC nécessitaient une approbation des Nations unies. A partir de 2008 et la fin de l’embargo sur les armes, les fournisseurs d’armement et de matériels militaires étaient soumis à un régime de notification et devaient effectuer une déclaration au Comité des sanctions des Nations unies, pour tout envoi d’armes et de matériels connexes sur le territoire congolais. Au fil du temps, ce régime va connaître de nombreux assouplissements.

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Avec le soutien de la France, la Chine, la Russie et les pays africains actuellement membres du Conseil de sécurité des Nations unies (Kenya, Gabon et Ghana), la RDC a demandé un amendement de ce régime de sanctions qu’elle dénonce depuis de nombreuses années. Une demande rejetée notamment par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Une décision qui a sans doute cristallisé le mécontentement qui a donné lieu aux manifestations l’été dernier contre la MONUSCO, la mission des Nations unies pour la stabilisation de la RDC.  

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Et pour accentuer la pression sur le Conseil de sécurité des Nations unies, la diplomatie congolaise s’est mise en branle. L’un des arguments avancés par le gouvernement congolais étant la nécessité pour son armée de se ravitailler en armes et matériels militaires. Il est vrai que la situation sécuritaire dans l’Est du pays reste très préoccupante, en particulier la rébellion du M23 à l’origine de nombreux massacres et de déplacements massifs de populations.

Au début de ce mois, le vice-premier ministre, ministre des Affaires étrangères congolais, Christophe Lutundula, a rencontré plusieurs délégations de pays membres du Conseil – France, Gabon, Belgique et Chine -, sur cette question du régime de notification. Pour le ministre congolais des Affaires étrangères, le régime des sanctions, adopté en 2004, à l’époque où le pays était divisé en trois entités dirigées par trois gouvernements, dont deux rebelles, n’est plus justifié depuis les élections de 2006 et l’unification de la RDC. Et c’est cette offensive diplomatique qui a conduit à la levée de ce régime de notification.

Le retrait de la MONUSCO n’est pas une priorité

Pour le politologue congolais Jean-Claude Mputu, par ailleurs porte-parole de la plateforme d’ONG « Le Congo n’est pas à vendre », cette « résolution sur les armes est une bonne chose, car comme dit le gouvernement, elle facilite le processus d’achats d’armes. Mais dans le même temps, ajoute-t-il, elle vient enlever un prétexte au gouvernement, qui ne dira plus : on n’avait pas les moyens d’équiper nos forces armées pour combattre les différents groupes rebelles. Maintenant qu’elles peuvent s’armer librement, c’est aux autorités de montrer qu’elles sont capables d’équiper valablement les forces de défense et de sécurité, et surtout de construire une armée digne de ce nom. »

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En novembre dernier, les autorités congolaises avaient en effet peu apprécié les déclarations du président burundais Evariste Ndayishimiye. Au cours d’une réunion au Kenya sur le processus de paix et de sécurité en RDC, le président burundais, par ailleurs président en exercice de la Communauté d’Afrique de l’Est, avait déclaré que la force régionale de maintien de la paix resterait dans le pays « jusqu’à ce que le gouvernement de la RDC se constitue une armée et une police qui sera protectrice de tout le monde. »

FARDC
Des soldats des Forces de défense congolaises et des forces des Nations Unies, patrouillent dans la zone d'une attaque près de la ville d'Oicha, à 30 km de Beni, en République démocratique du Congo, le vendredi 23 juillet 2021.
© AP Photo/Al-hadji Kudra Maliro

Autre décision du Conseil de sécurité, le renouvellement pour un an, du mandat de la MONUSCO, sa force de maintien de la paix. Une décision qui peut surprendre compte tenu du niveau d’impopularité de la MONUSCO en RDC, en particulier dans l’Est du pays. D’ailleurs, selon le politologue congolais Jean-Claude Mputu, des manifestations isolées ont eu lieu à Butembo, dans le Nord-Kivu, à la suite de cette annonce. « Mais d’une manière générale, ajoute-t-il, les gens restent assez circonspects, parce qu’ils se disent que la MONUSCO n’a pas produit de résultats. Et malgré les manifestations de ces derniers mois, le Conseil de sécurité renouvelle son mandat. » L’été dernier en effet, de violentes manifestations ont eu lieu dans l’Est du pays, pour réclamer le départ de la MONUSCO, avec à la clé plusieurs dizaines de morts, dont des soldats de la force des Nations unies.

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Pour les populations de la région, il est absurde d’entendre dire que la MONUSCO est là pour protéger les civils, alors que les massacres et les assassinats meurtrissent la région depuis des années, sans qu’elle n’intervienne. Selon le politologue congolais Jean-Claude Mputu, « la MONUSCO n’allait pas arrêter le processus du jour au lendemain, quand bien même le gouvernement a demandé un retrait. » S’agissant justement de ce retrait, s’il reste à l’ordre du jour, il ne constitue pas une priorité pour les autorités de Kinshasa. « Si le retrait doit se faire, souligne Jean-Claude Mputu, c’est d’un commun accord. Comme le dit la résolution, il faut qu’un certain nombre de critères soient remplis du côté des Nations unies et du gouvernement. »