Une trentaine de civils ont été tués à Luhanga, dimanche 27 novembre, dans l'attaque d'un camp de déplacés Hutus par une milice Nande. Depuis l’an dernier, les maï-maï sèment la terreur au Nord-Kivu, province congolaise rongée par la violence.
Encore
un massacre dans le Nord-Kivu. Dimanche 27 novembre, 34 civils sont morts dans une attaque perpétrée par une cinquantaine de miliciens maï-maï qui ont visé des familles Hutus. Celles-ci étaient hébergées au camp de déplacés du village de Luhanga, dans le sud du territoire de Lubero (Nord-Kivu), selon un communiqué de la Mission de l'ONU en République démocratique du Congo (Monusco).
Joy Bokele, administrateur du territoire de Lubero a précisé à l’AFP que l'attaque a été lancée vers «
5 heures du matin par des maï-maï Mazembe », un groupe d'autodéfense Nande. «
Ils ont commencé à attaquer la position des FARDC (l'armée congolaise, NDLR).
Pendant qu'ils attaquaient les FARDC, un autre groupe exécutait la population à l'arme blanche ou par balles », a ajouté Joy Bokele.
La Monusco affirme qu'un détachement de Casques bleus, qui se trouvait dans les environs, a été alerté par les coups de feu et s’est rapidement déployé pour repousser l'attaque des maï-maï. Un des assaillants a été tué pendant leur assaut.
Le Centre d'étude pour la promotion de la paix, la démocratie et les droits de l'Homme (Cepadho), ONG basée dans le Nord-Kivu, affirme de son côté que les «
miliciens, à la recherche des membres de la communauté Hutu, se sont livrés à un véritable carnage avant de procéder à l'incendie complet du village ».
Le Cepadho assure par ailleurs disposer d'informations selon lesquelles «
les maï-maï Mazembe auraient proféré maintes fois des menaces contre les Hutus au cours de la semaine, leur demandant de vider le Sud-Lubero (ou) de s'exposer à l'épuration ». Devant la gravité de la situation, le Cepadho appelle le gouvernement de Kinshasa et la Monusco «
à une action urgente pour arrêter ces violences ethniques ». L’ONG craint que celles-ci n'entraînent le Nord-Kivu dans un nouveau cycle infernal. Depuis près de 20 ans, la province est en effet déchirée par la violence et les conflits interethniques.
Réactions politiques
Contacté par
RFI, Célestin Vunabandi, président du caucus des députés Hutus à l’Assemblée, affirme que tout ceci est un calcul politique : « (…)
La vérité c’est que tout simplement des milices ont été constituées justement pour faire ce que nous avons compris comme étant du nettoyage ethnique. Et tout ceci à la veille des échéances électorales parce qu’il y a un certain nombre de politiciens qui croient, justement à travers ce genre d’opérations malheureuses, se retrouver au cours des prochaines échéances politiques ».
Godefroid Kambere Matimbya, maire-adjoint de Butembo (Nord-Kivu), se demande aussi si la réapparition des maï-maï «
n'est pas due à la conjoncture politique du moment ». Au marché de Rughenda (Butembo), certains affirment les avoir entendu déclarer «
vouloir déloger le président Joseph Kabila ».
L'élection présidentielle congolaise, qui devait avoir lieu en 2016, ne pourra pas se tenir avant avril 2018. Le mandat de Joseph Kabila, que la Constitution empêche de se représenter, prend pourtant fin le 20 décembre, aggravant les tensions qui divisent le pays depuis sa réélection contestée en 2011. Un partie des Congolais réclament que le président quitte sa fonction à cette date.
Julien Paluku, gouverneur de la province du Nord-Kivu, a, quant à lui, promis une enquête sur le massacre du 27 novembre ainsi que des sanctions.
Qui sont les maï-maï Mazembe ?
Les violences entre les communautés Nande et Kobo d'un côté, et Hutu de l'autre, ensanglantent le sud du Lubero et le nord du Walikale (Nord-Kivu) depuis environ un an ; sur fond de reconquête du territoire par l'armée congolaise et les milices maï-maï (de l'ethnie Nande), au détriment des rebelles rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Ces combats contre les FDLR ont provoqué de nombreux déplacements de population, toutes ethnies confondues.
Les Nande et Kobo se considèrent comme les autochtones, tandis que les Hutu sont perçus comme des étrangers et collaborateurs des FDLR. Ces derniers sont accusés de nombreuses atrocités et violations graves des droits de l'Homme. Nande et Kobo expriment également une crainte face à ce qu'ils perçoivent comme une invasion Hutu. Des milliers de membres de cette communauté quittent le Sud pour le Nord de la province du Nord-Kivu - une des plus densément peuplée du Congo - à la recherche de terres agricoles.
L'origine de cette migration est liée à la pression foncière qui contraint nombre de petits agriculteurs à abandonner leurs champs à de grands propriétaires terriens ainsi qu'à la fermeture récente de nombreux camps de déplacés décidée par les autorités du Nord-Kivu.
Intensification des massacres
Début novembre, les FARDC étaient pourtant parvenus à déloger les maï-maï Mazembe, installés depuis la mi-octobre sur le mont Carmel, colline agricole près de Butembo, après l’attaque d’un commissariat dans laquelle deux policiers avaient été égorgés par les miliciens.
L'AFP a réussi à obtenir plusieurs témoignages, sous couvert d'anonymat, des habitants alentour : «
Quand le premier groupe (maï-maï)
est arrivé, on a eu peur [car c'étaient] des inconnus », explique un cultivateur. Mais il a bien fallu vivre avec eux.
«
On leur a donné à manger », dit un autre, «
ils ont dit qu'ils venaient de Kirumba », à quelque 240 km au sud, et qu'ils allaient «
à Beni combattre les égorgeurs ».
Située à une soixantaine de kilomètres au nord de Butembo, la ville de Beni et ses environs sont le théâtre, depuis octobre 2014, d'une
succession de massacres dans lesquels plus de 700 civils ont péri.
Ni les autorités ni la Monusco n'ont encore identifié précisément les auteurs de ces tueries.
Que fait la Monusco ?
La Monusco est présente en RDC depuis 1999 et déploie près de 20000 soldats, dont la mission est essentiellement axée sur la protection des populations civiles. Le mandat des Casques bleus a été considérablement renforcé au fil des années. Depuis 2013, ils ont ainsi pour mission de neutraliser les différents groupes armés nationaux et étrangers qui sévissent dans l'est de la RDC et sont autorisés, pour ce faire, à recourir à la force de manière offensive.
Mais, en dépit des efforts de stabilisation déployés par la communauté internationale et les autorités congolaises, l'Est congolais, en particulier le Nord-Kivu, reste ravagé par la violence depuis la fin de la deuxième guerre du Congo (1998-2003). Pendant cette guerre, des groupes maï-maï ont par ailleurs été armés par le pouvoir pour combattre les envahisseurs ougandais et rwandais. Certains, notamment au Nord-Kivu, n'ont été jamais désarmé.