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TV5MONDE : Comment t'es venue l'idée de créer l'orphelinat “La Maison des Anges” à seulement 18 ans ?
C’est Prévu Emmy Lusila : Je suis née dans une famille catholique. Quand j’étais petite, la paroisse organisait des visites dans les prisons, dans des centres d’accueil, à Noël ou à Pâques. Selon moi, ce n’était pas cool de ne faire que deux visites à l’année. J’y ai pris goût et à 13 ans, j'ai décidé de le faire plus souvent avec des amis.
Deux ans après, c'est là, que je me suis engagée complètement auprès des enfants des rues. Je me disais : "Si les gens dans ces centres d’accueil souffrent autant, j’imagine que c'est pire pour ces enfants." J'ai décidé de mobiliser mes amis pour organiser des repas dans les rues de Kinshasa. C'est comme ça que tout a commencé.
L’expression “enfant des rues” est inappropriée. La rue ne fait pas d'enfants.C'est Prévu Emmy Lusila, fondatrice de l'association "La Voix de l'Espoir"
L’année suivante, j'ai eu l'idée de faire une liste des enfants que nous rencontrions afin qu’on les place dans des orphelinats. Mais ça ne correspondait pas à ce que j'imaginais pour eux. Je ne voulais pas que cela ressemble à un zoo, ou à un endroit sale, où les enfants étaient malnutris. C'est comme ça que j'ai décidé d’avoir mon propre centre d’accueil.
Mais à ce moment-là, j'étais encore mineure. Je devais attendre encore un an. Un abbé m’a donné suffisamment d’argent pour avoir la caution de la maison. Et l'année suivante, la même semaine où je devenais majeure, j'ai lancé l'orphelinat “La Maison des Anges”. On accompagne aujourd'hui 13 enfants quotidiennement.
TV5MONDE : Comment fais-tu pour financer ta vie et tes actions à ton âge ?
C’est Prévu Emmy Lusila : J’ai commencé à travailler très jeune. À l'université, j'étais réputée pour vendre mes propres unités, ces crédits qu’on met dans les cartes. Je ne voulais pas être dépendante de quelqu’un. Ensuite, j’ai trouvé rapidement du travail dans une entreprise privée. Ce n’était pas compliqué jusqu'à ce que je perde ce travail-là.
On ne doit pas avoir beaucoup d’argent pour aider les autres.C'est Prévu Emmy Lusila, fondatrice de l'association "La Voix de l'Espoir"
Au niveau de l’association, je suis très bien entourée. Mes amis financent avec moi mes actions. Chacun des 85 membres donne une contribution de 1000 francs CFA (environ 0,40 centime d'euros) par semaine. Pour moi, on ne doit pas avoir beaucoup d’argent pour aider les autres. On ne doit pas forcément être député, quelqu’un d’important pour défendre de vraies causes. On veut être la preuve vivante qu’on peut être jeune, et se battre pour les autres jeunes. C’est vraiment notre message. Les enfants ont surtout besoin d’amour, avant tout.
Si c’était une question d’argent, toutes les maisons inhabitées à Kinshasa seraient habitées par les enfants des rues. Je préfère d’ailleurs qu’on les appelle les enfants “dans” la rue. L’expression “enfant des rues” est inappropriée. La rue ne fait pas d'enfants. Ce sont des parents, des humains, des adultes qui font des enfants et qui les abandonnent.
La seule chose qui les rassemble, c’est la rue. Mais chacun a son histoire. C'est Prévu Emmy Lusila, fondatrice de l'association "La Voix de l'espoir"
TV5MONDE : Qui sont ces enfants que tu rencontres dans la rue ?
C’est Prévu Emmy Lusila : La seule chose qui les rassemble, c’est la rue. Mais chacun a son histoire.
Souvent, quand les parents décèdent, les familles élargies pensent que les enfants sont complices de leurs morts par la sorcellerie. Ces accusations sont souvent validées par les évêques eux-mêmes. On vous met à la porte et vous finissez dans la rue.
Pour d’autres, les parents divorcent. Un de mes fils, Paul, est dans la rue parce que sa maman s’est remariée avec quelqu’un. Paul a une malformation physique. Pour son beau-père, il est clair que c’est un enfant sorcier. Sa propre maman, pour garder son mariage, l’a abandonné dans la rue, au milieu d'un marché.
D’autres familles sont très pauvres. Mais comme elles n’ont pas d’argent, les enfants vont dans la rue. Ils préfèrent ça que de rester à la maison sans argent. Sinon ils vont à l’école, ils rentrent, mais ils ne mangent pas.
Les adultes disent, “la jeunesse, c’est l’avenir”. Mais une jeunesse qui est l’avenir, c’est une jeunesse qui est préparée. Aujourd’hui on compte plus de 3000 enfants dans les rues de Kinshasa. Je ne sais pas s'ils peuvent continuer à dire ça.
TV5MONDE : Tu sens un changement de mentalité chez la nouvelle génération ?
C’est Prévu Emmy Lusila : Oui, complètement. Même mes amis se questionnaient au début du projet. “Tu es sûr que tu as envie de faire ça ?”, me disaient-il. J’ai toujours affirmé ma conviction à faire avancer ce projet. Ma meilleure copine ne voulait pas s’approcher des enfants, elle émettait des craintes. Mais maintenant, des années après, quand je suis déprimée, c'est elle qui me motive à avancer.
C’est une passion qui s’est transformée en mode de vie et en une sorte de révolte.C'est Prévu Emmy Lusila, fondatrice de l'association "La Voix de l'espoir"
TV5MONDE : Et toi, quel a été ton déclic ?
C’est Prévu Emmy Lusila : J’ai grandi dans une famille très modeste, mais j'ai pu faire des études de droits. Je connais beaucoup de personnes dans mon quartier, qui n'ont pas pu profiter des mêmes chances que moi. Je trouve cela injuste. Je pense que chaque enfant doit aller à l’école tranquillement, dormir tranquillement. C’est une passion qui s’est transformée en mode de vie et en une sorte de révolte.
Je voulais que mon organisation ressemble à l’UNICEF, qui vient en aide aux enfants dans le monde entier. Mais, dans mon quartier, je n’ai jamais vu les gens de l’UNICEF venir. Je voulais être moi-même les gens de l’UNICEF, pour mon quartier, pour ma commune, ensuite pour Kinshasa et maintenant, je pense, pour toute la République.