RDC : "On détourne l'attention des causes réelles du conflit" selon Kigali

Pour la deuxième fois en quelques mois, un rapport d'experts mandaté par les Nations unies (ONU) met en cause le rôle du Rwanda au sujet de la situation sécuritaire dans l'est de la République démocratique du Congo. L'ONU dit disposer de preuves "d'une implication directe des Forces de défense rwandaises en RDC." Le porte-parole adjoint du gouvernement rwandais, Alain Mukuralinda, répond à nos questions. Entretien.
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Les rebelles du M23 s'apprêtent à se retirer de Kibumba, dans l'est de la RDC, le 23 décembre 2022.
Les rebelles du M23 s'apprêtent à se retirer de Kibumba, dans l'est de la RDC, le 23 décembre 2022.
AP/Moses Sawasawa
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TV5MONDE : L'armée rwandaise a-t-elle mené des opérations militaires dans l'est de la RDC, comme l'indique le rapport des experts de l'ONU ?

Alain Mukuralinda, porte-parole adjoint du gouvernement rwandais : L'armée rwandaise ne dépasse pas ses frontières. Elle garde et assure la sécurité du Rwanda sur son propre territoire. Le Rwanda n'a pas besoin de traverser la frontière tant que ce n'est pas d'un commun accord avec le gouvernement congolais.

On détourne l'attention des causes réelles du conflit et cela a un impact très négatif sur la sécurité des pays voisins, y compris sur celle du Rwanda. Alain Mukuralinda, porte-parole adjoint du gouvernement rwandais

TV5MONDE :  Ce rapport, qui doit être publié prochainement, accuse l'armée rwandaise d'avoir fourni des armes, des munitions et des uniformes à la rebellion du M23 ("Mouvement du 23 mars"). Êtes-vous en mesure d'infirmer ces conclusions ?

Alain Mukuralinda, porte-parole adjoint du gouvernement rwandais :  Il faut attendre que les preuves tangibles et matérielles soient présentées pour que le gouvernement rwandais puisse en dire quelque chose. Dans ce même rapport, on nous parle d'une coalition de groupes armés en coopération de facto avec les FARDC (Forces armées de la République démocratique du Congo).

On évoque des FARDC et des réunions qui ont eu lieu avec des groupes armés, notamment les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) à Pinga. On nous donne des dates, on nous donne les participants des deux côtés. Il faut donc  faire attention parce que ce document nous parle de M23 et de FDLR. Malheureusement, dans la presse, on a choisi de ne parler que du M23.

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Des civils déplacés en raison des combats menés par les rebelles du M23 dans l'est de la République démocratique du Congo. Goma, 25  novembre 2022
AP/Jérôme Delay

TV5MONDE : Les États-Unis, la France et la Belgique accusent le Rwanda de soutenir les rebelles du M23. Dans un communiqué du mercredi 21 décembre, vous déclarez : "accuser le Rwanda d'appuyer le groupe armé congolais M23 est trompeur et détourne l'attention". Il n'est toutetois pas mentionné que le Rwanda ne soutient pas le M23. Pour quelles raisons ?

Alain Mukuralinda, porte-parole adjoint du gouvernement rwandais : Comme vous le soulignez, cela fait au moins dix ans que, soit le gouvernement congolais, soit ces pays accusent le Rwanda de soutenir le M23. Nous, nous disons que c'est une erreur. Le gouvernement congolais commet une erreur. On détourne l'attention des causes réelles du conflit et cela a un impact très négatif sur la sécurité des pays voisins, y compris sur celle du Rwanda.

De la même manière, on sape les efforts des autorités régionales qui essaient de trouver une solution définitive à ce problème. On handicape les initiatives de Nairobi, de Luanda, dans lesquelles le Rwanda est engagé. Ce n'est pas parce que les pays européens, les pays puissants, disent telle ou telle chose que cela doit être pris comme une vérité. Surtout que, a contrario, les autorités de la région, et notamment le président actuel de la Communauté des pays de l'est, ont indiqué qu'il n'y avait pas de preuves concrètes qui impliquent le Rwanda. Il faut faire attention à ce que disent les pays lointains par rapport à ce que disent les autorités locales.

Si l'on continue à prendre une partie du problème au lieu de le prendre dans sa globalité, on ne résoudra jamais ce problème. Alain Mukuralinda, porte-parole adjoint du gouvernement rwandais

TV5MONDE : Selon vous, pour quelles raisons ces pays émettent-ils de telles accusations vis-à-vis du Rwanda ?

Alain Mukuralinda, porte-parole adjoint du gouvernement rwandais : C'est à eux de répondre à cette question. Je ne veux pas répondre à leur place. Mais ce que l'on remarque, c'est que ces accusations reviennent tous les deux ou trois ou quatre ans et persistent sans avoir jamais rien résolu. N'oubliez pas qu'il y a dix ans, on portait les mêmes accusations.

Aujourd'hui, on est revenu à la case départ. Si l'on continue à prendre une partie du problème au lieu de le prendre dans sa globalité, on ne le résoudra jamais.

TV5MONDE : Mercredi 21 décembre, le gouvernement rwandais a accusé la RDC d'avoir "fabriqué" le massacre de Kishishé. Sur quoi s'appuie-t-il ?

Alain Mukuralinda, porte-parole adjoint du gouvernement rwandais : Déjà sur le fait que le gouvernement congolais lui même ait indiqué que, tout en affirmant qu'il y a eu des massacres commis par le M23, il n'y avait pas eu d'enquête indépendante. Alors pourquoi avoir annoncé cela sans qu'il n'y ait eu d'enquête et que l'on sait très bien qu'il y a eu des affrontements entre le M23 et les FARDC, soutenus par les groupes rebelles ? Pourquoi ne pas attendre une enquête indépendante pour pouvoir tirer des conclusions ? C'est pour cela que nous répondons qu'on ne peut accuser l'un des belligérants sans avoir pris le temps de mener l'enquête.

TV5MONDE : Le gouvernement rwandais estime donc qu'aucune investigation crédible n'a été menée au sujet de ce massacre. Pourtant, selon une enquête préliminaire du Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l'Homme, 131 civils ont été tués à Kishishé et Bambo. Selon vous, l'ONU n'est pas une entité crédible ?

Alain Mukuralinda, porte-parole adjoint du gouvernement rwandais : Le Rwanda ne nie pas qu'il y a eu des morts. Mais dans quelles conditions ? Le problème est là. Et on ne sait pas si ces enquêteurs des Nations unies ont été sur place car, mercredi 21 décembre, le gouvernement congolais indiquait que personne n'avait pu se rendre sur place. Donc, si personne n'a été sur place, comment ces enquêtes ont-elles été menées ? 

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TV5MONDE : De nombreux témoignages de rescapés ont néanmoins été recueillis par des journalistes, notamment par ceux de TV5 Monde. Selon vous, les personnes interrogées ne diraient pas la vérité 

Alain Mukuralinda : Ce n'est pas crédible jusqu'à aujourd'hui, tant qu'il n'y a pas une entité indépendante et crédible qui a pu aller sur place faire ces enquêtes.

TV5MONDE : La justice britannique a validé le projet controversé qui consiste à expulser des réfugiés illégaux du Royaume-Uni vers le Rwanda. Plusieurs ONG, comme Amnesty International, ont fait part de leurs inquiétudes, notamment en ce qui concerne, selon elles, les atteintes aux droits de l'Homme dans votre pays. Que leur répondez vous ?

Alain Mukuralinda, porte-parole adjoint du gouvernement rwandais : Je leur réponds qu'ils devraient éviter de faire des enquêtes à distance, qu'ils devraient venir sur place et ne pas partir sur des on-dit. Aujourd'hui, nous avons plusieurs mouvements basés à New York, à Washington, à Londres ou en Australie, qui mènent des enquêtes par téléphone et qui sont renseignés par des personnes en fonction des intérêts qu'ils suivent. Il faut donc faire attention à ce que disent ces mouvements, ces organisations. Personne ne les a empêchés de venir faire des enquêtes sur place.

De manière générale, les enquêtes ne sont pas faites sur place. C'est pour cela qu'il y a parfois des conclusions hâtives, qui ne correspondent pas à la réalité de ce qui se passe au Rwanda. Si vous regardez la justice au Rwanda, si vous regardez combien de pays au monde coopèrent avec la justice rwandaise, vous remarquerez qu'il y a une contradiction entre ce que disent ces organisations et ce qui se fait réellement dans le pays. 

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