Un prêtre catholique a été "enlevé" ce samedi 3 février 2018 au matin à Kinshasa et emmené vers une destination inconnue par des agents de la sécurité, selon des sources ecclésiales et associatives, dans un contexte de grande tension entre l'Église et le gouvernement de la République démocratique du Congo.
Religieux passioniste, le père Sébastien Yebo officie depuis août 2017 à la paroisse Saint Robert dans la commune périphérique de la N'Sele dans l'extrême est de Kinshasa. Ce samedi, alors qu'il venait de finir sa messe matinale, il a été pris à parti, frappé et emmené par plusieurs hommes, selon des sources ecclésiales et associatives.
"Généralement après la messe, il reçoit des personnes qui ont des problèmes personnels. C'est à ce moment-là que deux personnes qui avaient participé à la messe sont allées à sa rencontre parmi le groupe de fidèles : ils lui ont dit 'vous êtes arrêté' et ont tenté de l'emmener vers une jeep garée dehors", a déclaré Me Georges Kapiamba de l'
Association congolaise pour l'accès à la justice (ACAJ), joint par téléphone par TV5MONDE.
"Cela a attiré l'attention des autres paroissiens qui ont tenté de le secourir. Il a tenté de poser des questions, mais ils lui ont administré des coups et l'ont embarqué de force dans une jeep", a-t-il poursuivi.
Ce récit est corroboré par le témoignage de plusieurs religieuses présentes dans la paroisse, selon lesquelles le père Sébastien a été enlevé "
par des policiers". Pendant la messe, un homme non identifié
"filmait le prêtre" à l'aide d'un téléphone portable et à la sortie,
"un véhicule de la police est arrivé, des policiers sont descendus, ils ont commencé à frapper le curé, ils l'ont jeté dans leur jeep et sont partis avec lui", a rapporté une religieuse, témoin de l'événement, à l'AFP.
Policiers ou agents du renseignement ?
Les religieuses parlent de
"policiers", mais
selon un article de nos confrères de Radio Okapi, le commandant police de la ville, Général Kasonga a déclaré que la Jeep Land Cruiser qui a opéré cet enlèvement n’appartient pas à la police ville de Kinshasa qui dit avoir envoyé des éléments à la commune de la N’sele pour mener l'enquête.
D'autres témoins évoquent des agents de la sécurité, dont un homme non identifié qui
"filmait le prêtre" durant la messe à l’aide d’un téléphone portable. "
Les agents qui ont enlevé le père ne se sont pas présentés. On a vu un groupe des gens en tenue civile. Ce sont les gens de la DEMIAP (Renseignements militaires) ou de l’ANR (Agence nationale de renseignements", a déclaré le père Alain Bisema à Radio Okapi. Selon l'ACAJ, des témoins pointent aussi du doigt les renseignements militaires.
Samedi soir, l'ACAJ et la paroisse n'avaient toujours aucune nouvelle du père Sébastien Yebo, et aucune information sur ses conditions de détention.
"J'ai appelé presque toutes les autorités, et aucune n'a souhaité s'exprimer à ce sujet. La police de la ville Kinshasa, la police nationale, la ministre des Droits humains et le ministre de l'Intérieur et j'ai même contacté le directeur du cabinet du président de la République. Rien", a déploré Me Kapiamba.
Bras de fer entre Kinshasa et l'Église catholique
Selon le père Alain Bisema, les personnes qui ont enlevé le père Sébastien lui ont reproché "d'avoir organisé la marche avec les Chrétiens" du 21 janvier. Cet incident a lieu alors que Kinshasa et l'Église sont à couteaux tirés depuis des marches interdites de catholiques les 31 décembre et 21 janvier contre le maintien au pouvoir du président Joseph Kabila.
Le président de l'ACAJ note pour sa part plusieurs autres incidents survenus ces derniers jours.
"Il y a trois jours, deux jeeps de policiers ont assiégé le couvent de religieuses catholiques de la congrégation de St. Jospeh à Kinshasa entre 19h à 21h et ils ont tenté de s'introduire à l'intérieur du couvent sur la base d'informations selon lesquelles il y aurait des armes et de l'argent en grande quantité à l'intérieur", a-t-il relaté.
"Nous avons dû mobiliser la Monusco."Pour Me Kapiamba, "
ce sont des tentatives d'intimidation contre les religieux et les religieuses de l'Eglise catholique".
Quinze personnes au moins ont été tuées, selon l'ONU, dans la répression des marches interdites - organisées à l'appel d'un collectif de laïcs catholiques qui demande à M. Kabila de déclarer publiquement qu'il ne se représentera pas pour un nouveau mandat. Les autorités congolaises ont fait état d'un nombre de décès bien moindre.
Le climat politique est très tendu en RDC où le deuxième et dernier mandat du président Kabila a pris fin le 20 décembre 2016. Des élections prévues fin décembre 2017 ont finalement été reportées en décembre 2018.