RDC : la population de l’est du pays est-elle condamnée à l’exil ?

Après deux jours de combats, les rebelles du M23 se sont emparés de plusieurs villes et villages du territoire de Rutshuru, dans l'est de la République démocratique du Congo. Cela a provoqué la fuite de plus de 100 000 personnes, selon l'ONU. Comment les événements peuvent évoluer ?

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Carte RDC NYANZALE
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Les rebelles du M23 étendent leur emprise sur la province du Nord-Kivu. Ils ont lancé une offensive contre plusieurs localités, étendant vers le nord leur emprise dans les territoires de Rutshuru et de Masisi. Après huit ans de sommeil, le M23, rébellion majoritairement tutsi, a repris les armes fin 2021. Il s'est emparé de larges pans du Nord-Kivu, jusqu'à couper début février toutes les voies d'accès terrestres menant à Goma (le chef-lieu du Nord-Kivu), sauf celle de la frontière rwandaise. 

Bob Kabamba, professeur de science politique à l’Université de Liège estime que les conditions sont réunies pour que les rebelles continuent d’avancer. Cette avancée poussera selon lui encore les civils à l’exil, à moins que les conditions proposées par le M23 ne les incitent à rester. 

TV5MONDE : Que dit l’exil de ces 100 000 personnes en deux jours de la situation dans cette région de la RDC ? 

Bob Kabamba : Cela montre que les hostilités ont repris entre l’AFC (NDLR : l’Alliance fleuve Congo, une plateforme politico-militaire menée par Corneille Nangaa liée au M23), le M23 et les troupes gouvernementales et différents groupes armés, non pas sur le front ouest de Goma, c’est-à-dire vers Sake. Maintenant, on est plus dans le nord. On a l’impression que l’AFC remonte vers le nord de la province du Nord-Kivu, jusqu’ici épargné par les affrontements, et ne descend plus vers le Sud-Kivu. 

Combien de déplacés depuis la reprise des hostilités ? 

  • À la fin de l’année 2023, les Nations unies estimaient que près de sept millions de personnes étaient déplacées en RDC, dont 2,5 millions uniquement dans la province du Nord-Kivu en proie à plusieurs conflits armés.
  • Selon l’ONU, l’insécurité restreint l’accès à environ 630 000 personnes déplacées dans le territoire de Masisi.
  • Selon des sources locales, la ville de Sake avait déjà accueilli plus de 500 000 personnes déplacées depuis le début des hostilités.

Quand on parle de repli stratégique, la population se sent abandonnée et elle suit les militaires là où ils vont en espérant qu’ils arrivent à les protéger.

Bob Kabamba, professeur de science politique à l’Université de Liège

TV5MONDE : Dans quelle mesure le M23 est-il en train de progresser ? 

Bob Kabamba : À chaque fois c’est le même scénario. D’abord, on a les militaires qui décrochent ou qui fuient. En général, ils parlent toujours de “repli stratégique.” Quand on parle de repli stratégique, la population se sent abandonnée et elle suit les militaires là où ils vont en espérant qu’ils arrivent à les protéger. C’est un des indicateurs qui montre vraiment que le M23 est en train de remonter vers le nord. 

Les routes sont déjà contrôlées par le M23. Donc ça sera difficile d’aller essayer de récupérer ces différentes zones qui sont maintenant sous le contrôle des rebelles du M23. 

 

Bob Kabamba, professeur de science politique à l’Université de Liège

Il n’y a rien en face qui pourrait véritablement arrêter cette remontée. Les militaires congolais ainsi que les troupes de la SADC (forces armées de la Communauté de développement d'Afrique australe) ont essayé de focaliser leurs efforts, dans le sud et dans l’ouest de Goma, mais se sont dégarnies dans l’espace nord. Le M23 a  profité de cette situation pour récupérer des espaces dans le nord. 

Je ne pense pas que le gouvernement congolais va être en mesure de redéployer des militaires dans cette zone-là car il s’agit d’une zone difficile d’accès. Et les routes sont déjà contrôlées par le M23. Donc ça sera difficile d’aller essayer de récupérer ces différentes zones qui sont maintenant sous le contrôle des rebelles du M23. 

TV5MONDE : Les civils sont-ils condamnés à l’exil ?

Bob Kabamba : Au fur et à mesure que le M23 avance, les civils commencent à s’en aller, à moins qu’il puisse y avoir un élément inverse qui montre que les civils ont intérêt à rester chez eux plutôt que de continuer à errer dans la forêt sans forcément avoir de perspective d’avenir. 

Ce sont des phénomènes que l’on avait déjà observé au moment où l’AFDL (voir encadré) avait commencé sa rébellion. Il est arrivé un moment où les populations ne fuyaient plus. Elles sont restées vivre avec la situation de rébellion. 

La percée de l’AFDL : la Première guerre du Congo 

  • En 1997, le président du Zaïre (ancien nom de la RDC) Mobutu Sesse Soko est chassé du pouvoir. 
  • Ce sont des rebelles soutenus par le Rwanda et l’Ouganda qui parviennent à le chasser. 
  • Il s’agit de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL). 
  • Cette alliance est née d’un accord entre Laurent-Désiré Kabila et trois exilés zaïrois. 
  • Leur manque d’effectifs humains les oblige à compter sur le soutien militaire des pays limitrophes.
  • Cependant, l’AFDL n’a pas survécu aux tensions entre Kabila et ses anciens alliés, l'Ouganda et le Rwanda.

C’est leurs conditions de vie et les conditions d’hébergement dans le contexte actuel qui pourraient les inciter à rester. La partie qui est concernée par l’exil des populations, c’est la forêt dense. Vous allez en forêt sans avoir de garantie pour votre propre vie parce que vous fuyez, vous essayez de sauver votre vie mais vous n’êtes pas sûr de pouvoir rester en vie. Alors autant accepter les conditions qui pourraient être données par le M23 pour vivre avec eux dans les zones qui sont contrôlées par ces rebelles. 

Je ne sais pas si on va assister au même parcours que l’AFDL, à qui il a fallu sept mois de guerre pour quitter l’est du pays pour arriver dans l’ouest. 

 

Bob Kabamba, professeur de science politique à l’Université de Liège

TV5MONDE : La progression du conflit risque-t-elle de s'étendre encore ? 

Bob Kabamba : Si j’ai lu tous les communiqués qui ont été publiés par l’AFC (groupe politico-militaire proche du M23), l’objectif a été clairement défini d’aller jusqu’à Kinshasa et de renverser le pouvoir. Pour l’instant, on peut dire qu’ils en sont encore loin. Ils sont à 2 000 km. Je ne sais pas si on va assister au même parcours que l’AFDL, à qui il a fallu sept mois de guerre pour quitter l’est du pays pour arriver dans l’ouest. 

Ici, je ne pense pas qu’on va être dans la même dynamique pour la simple raison qu’il n’y a pas véritablement de rejet du régime de Tshisekedi comme on l’a connu en 1996 avec le rejet du régime de Mobutu où il n’y avait pratiquement pas de combat. Les troupes de l'AFDL ont avancé des fois même sans combattre à pied de l’est jusqu'à Kinshasa. Là, il y aura beaucoup plus de résistance de la part d’une certaine part de la population. 

TV5MONDE : Est-ce le seul facteur à prendre en compte ? 

Bob Kabamba : Il y a aussi une autre donnée qu’il faut prendre en considération, c’est le Rwanda. La démarcation de l’AFC et du Rwanda n’est pas encore effective dans la mémoire collective des Congolais. Cela peut expliquer pourquoi la population est réticente à laisser l’AFC avancer comme ça a pu être le cas avec l'AFDL. 

Mais en allant vers le nord, on s’éloigne des frontières rwandaises et on s’approche beaucoup plus des frontières ougandaises, ce qui veut dire aussi influence ougandaise dans la dynamique de l’AFC (groupe politico-militaire proche du M23).

Puisque l’Ouganda a des troupes en RDC dans le cadre des opérations bilatérales, est-ce que ces troupes vont servir de tampon pour empêcher les AFC de monter ou bien est-ce que les autorités ougandaises vont laisser faire pour que l’AFC puisse continuer son bonhomme de chemin ? On va le savoir dans les prochains jours. Si l’AFC continue à avancer, cela veut dire que du côté ougandais on préfère laisser faire.