RDC : "L'agression du Rwanda dans l'Est du pays pénalise les opérateurs économiques"

Alors que les services de sécurité du Sud-Kivu multiplient les efforts de lutte contre l’exploitation illégale des minerais, les pouvoirs publics souhaitent réserver une part importante de la sous-traitance des entreprises étrangères aux PME congolaises. Une mission dévolue à l’Autorité de régulation de la sous-traitance dans le secteur privé (ARSP). Son directeur général Miguel Kashal Katemb répond à nos questions. Entretien.

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camions de minerais dans le Haut-Katanga

Des camions transportant des minerais de cuivre et de cobalt dans la province du Haut-Katanga, au sud de la RDC, février 2022.

Junior KANNAH, Junior DIATEZUA KANNAH / AFPTV / AFP
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TV5MONDE : A l’origine, vous étiez un entrepreneur renommé et prospère en RDC bien sûr, mais aussi en Afrique du sud et en Zambie. Puis vous êtes devenu député et ministre provincial. Pour quelles raisons avez-vous décidé de vous lancer en politique ?

Miguel Kashal Katemb : J’estime que faire la politique permet de se mettre au service du plus grand nombre et, par conséquent, d’apporter ma propre pierre à l’édification d’un Congo que je souhaite prospère, un Congo qui permet à tous ses fils et filles de vivre décemment, au regard de l’immensité des ressources dont dispose le pays - autant pour ses mines que pour sa faune, sa flore et sa biodiversité.

TV5MONDE : Depuis novembre 2022, vous êtes à la tête de l'ARSP, l’Autorité de régulation de la sous-traitance dans le secteur privé. L’une de vos principales missions consiste à faire appliquer la loi de 2017 sur la sous-traitance en 2017. Pourquoi le législateur congolais a-t-il eu besoin d’une réglementation, et surtout d’une sorte de « gendarme » pour veiller au respect de cette loi ? 

Miguel Kashal Katemb : Le législateur congolais est parti du constat suivant : malgré les investissements étrangers importants dans plusieurs secteurs à forte croissance, notamment dans celui des mines - avec des grands projets comme KAMOA, l’une de trois plus grandes mines de cuivre du pays - l’impact de ces investissements est resté très faible sur la promotion des petites et moyennes entreprises, la protection de la main d’œuvre nationale et de l’expertise locale. 

(Re)voir Focus RD Congo : qui profite du secteur minier ?

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Ce constat est évidemment le même dans les télécommunications, les infrastructures ou encore des hydrocarbures. Or, nous savons que la création des richesses nationales, tout comme l’émergence d’une vraie classe moyenne congolaise, sont tributaires du développement des chaînes de valeurs. 

Il fallait non seulement adopter une nouvelle réglementation visant la promotion des petites et moyennes entreprises à capitaux majoritairement congolais, mais aussi mettre en place une structure chargée de veiller à son application. 

TV5MONDE : Depuis septembre 2024, vous avez diligenté des enquêtes dans tout le pays, afin de vous assurer que les investisseurs étrangers respectaient la loi sur la sous-traitance. Est-ce le personnel ad-hoc de l’Autorité de régulation qui mène ces enquêtes ? Et en quoi consistent-elles exactement sur le terrain ?

Miguel Kashal Katemb : Après avoir consacré la période allant de novembre 2022 à septembre 2023 à la vulgarisation de la loi, et à la sensibilisation des parties prenantes, nous avons effectivement diligenté les missions de contrôle au mois de septembre 2023 auprès des entreprises principales installées sur l’ensemble du pays, pour nous assurer de l’effectivité de la mise en œuvre de la Loi dans tous les secteurs de l’économie nationale. 

Ces missions de contrôle sont menées par des agents de l’ARSP revêtus de la qualité d’officiers de police judiciaire assermentés, à compétence matérielle restreinte, mais à compétence territoriale nationale.

Ces missions consistent essentiellement à vérifier l’éligibilité des sous-traitants à qui les sociétés principales ont confié les activités, avec pour objectif de voir les PME à capitaux majoritairement congolais s’insérer dans leurs chaînes de valeurs respectives. 

TV5MONDE : D’après les conclusions d’une de vos études, la RDC « perdrait » chaque année 8,5 milliards de dollars US dans le secteur de la sous-traitance. Ces pertes colossales sont-elles uniquement le fait des investisseurs étrangers ? Quel est selon vous le chiffre d’affaires annuel de la sous-traitance privée congolaise ?

Miguel Kashal Katemb : Les activités de sous-traitance dans tous les secteurs de l’économie nationale sont évaluées à plus ou moins 8,5 milliards de dollars américains. 

Mais d’après les statistiques que l’ARSP va publier dans les jours qui viennent, l’accès aux marchés de la sous-traitance par les entreprises à capitaux majoritairement congolais est passé de 300 millions de dollars américains en 2022, à un milliard six cents millions de dollars à fin 2024, sur la base des chiffres provisoires en cours de finalisation. 

A long terme, nous envisageons de capter ces 8,5 milliards de dollars américains, qui représentent la quasi-totalité des ressources générées par la sous-traitance dans tous les secteurs de l’économie nationale.

TV5MONDE : Les entreprises chinoises utilisent des prête-noms pour contourner la loi. Combien d’entreprises chinoises existe-t-il en RDC aujourd’hui, et comment lutter contre celles qui ne respectent pas la loi de 2017 ? L’Autorité de régulation dispose-t-elle de moyens coercitifs ? 

Miguel Kashal Katemb : Je tiens à préciser que ce ne sont pas seulement les entreprises chinoises qui commandent les activités de sous-traitance dans le secteur privé. Dans tous les secteurs de la vie économique nationale, notamment l’industrie, les infrastructures, le transport et logistique, l’énergie, l’hôtellerie-restauration, les hydrocarbures, les télécommunications…, on retrouve des investisseurs qui viennent de partout. 

(Re)voir RD Congo : des ressortissants chinois accusés de trafic de minerais ont été arrêtés

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L’ARSP a mis en place des mécanismes de contrôle et de suivi-évaluation pour assurer un contrôle efficace vis-à-vis de toutes les entreprises principales, et pour lutter contre les pratiques illicites de prête-noms dans les entreprises sous-traitantes. Les missions de contrôle effectuées depuis septembre 2023 ont été suivies de séances d’évaluation qui aujourd’hui aboutissent aux statistiques en cours de finalisation.

L’ARSP dispose des moyens de contrainte légale qui peuvent aller jusqu’à la fermeture administrative momentanée d’une entreprise principale. Dans le cadre de la relecture de la Loi en cours, il est envisagé de rendre les sanctions proportionnelles et dissuasives.

TV5MONDE : Selon vos services, la filiale congolaise Kibali Gold Mine du géant minier sud-africain Barrick, avait confié 90% de ses contrats de sous-traitance à une entreprise belgo-indienne dénommée Trade Corp Freight forward (TCFF). Kibali Gold Mine s’était engagé à remédier à cette situation. Où en est ce dossier ?

Miguel Kashal Katemb : Effectivement, la société KIBALI GOLD MINE s’était engagée, à l’issue du contrôle effectué en son sein, à respecter la loi sur la sous-traitance, en confiant les marchés de sous-traitance aux entreprises à capitaux majoritairement congolais. 

Tout recours à n’importe quelle entité non éligible ne peut être toléré, que ce soit TCFF ou n’importe quelle entité non éligible. Une évaluation de cet engagement est prévue au courant de ce premier trimestre.

TV5MONDE : Le secteur minier domine entièrement l’économie congolaise. Les ressources minérales sont abondantes (cuivre, cobalt, diamant, or, étain). Ces richesses sont aussi l’une des causes de la guerre actuelle contre les rebelles du M23 soutenus par le Rwanda. Comment vos agents travaillent-ils dans l’est du pays, en particulier dans les zones en guerre ? Que vous inspire l’affirmation selon laquelle les minerais seraient une malédiction pour le Congo ?

Miguel Kashal Katemb : L’agression du Rwanda à l’Est du pays n’est pas seulement une source de violences, elle empêche également les opérateurs économiques, et en particulier les PME à capitaux congolais installées dans cette partie du territoire national, de tirer pleinement profit des chaînes des valeurs des entreprises principales du secteur minier. La guerre crée une situation d’insécurité généralisée. 

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Nos agents sont confrontés aux mêmes difficultés liées à l’insécurité.

Les ressources naturelles de la RDC ne constituent pas une malédiction pour le pays. C’est plutôt une opportunité pour le développement d’une économie inclusive, fondée sur un tissu de PME compétitives, et qui tire profit des grands investissements des géants miniers.

TV5MONDE : La société Glencore emploie 7 000 personnes en RDC et elle disposerait en plus de près de 4 000 sous-traitants. Mais elle était il y a quelques mois dans le collimateur du gouvernement, et des procédures ont été engagées contre elle. Où en sont ces procédures ? 

Miguel Kashal Katemb : L’ARSP s’occupe des activités dans le domaine de la sous-traitance. Et sur ce plan, les entreprises du Groupe GLENCORE, à savoir KAMOTO COPPER COMPANY et MUTANDA MINING, se soumettent aux mêmes obligations que toutes les entreprises principales du secteur minier. Les statistiques de l’accès aux marchés qui seront publiés, vont indiquer leur degré d’implication et de participation à la création d’une véritable classe moyenne congolaise.