RDC : l’armée congolaise au pied du mur face au M23

Selon un rapport de l’ONU sur la situation dans l'est de la République démocratique du Congo, les officiers rwandais ont "de facto" pris "le contrôle et la direction des opérations du M23". Bob Kabamba, professeur de sciences politiques à l’Université de Liège, analyse la situation sécuritaire sur le terrain.

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Les rebelles du M23 à l'arrière d'un véhicule, en train de quitter la zone de la ville de  Kibumba, dans l'est de la RDC, le 23 décembre 2022.
Les rebelles du M23 à l'arrière d'un véhicule, en train de quitter la zone de la ville de  Kibumba, dans l'est de la RDC, le 23 décembre 2022.
AP Photo/Moses Sawasawa
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Des experts de l'ONU affirment dans un nouveau rapport publié le 8 juillet que "3 000 à 4 000 militaires rwandais" combattent aux côtés des rebelles du M23 (Mouvement du 23 mars) contre l'armée congolaise dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC). Le rapport s'appuie sur des photos aériennes montrant les mouvements de troupes des forces armées rwandaises. L'enquête de l'ONU documente également l'aide militaire fournie par l'Ouganda aux rebelles du M23.

Ces chercheurs, mandatés par le Conseil de sécurité de l'ONU, estiment que l'armée rwandaise a "de facto" pris "le contrôle et la direction des opérations du M23" et que son intervention militaire "a été déterminante pour la spectaculaire expansion territoriale réalisée entre janvier et mars 2024".

Une situation sécuritaire dégradée

  • Le M23 ("Mouvement du 23 mars") est une rébellion armée congolaise qui prétend défendre les Tutsi en République démocratique du Congo. Ce mouvement est également allié à des cadres de l'ancien parti au pouvoir à Kinshasa. Le M23 déclare vouloir marcher sur la capitale congolaise.

  • Depuis fin 2021, le M23 et des troupes de l'armée rwandaise progressent dans la province du Nord-Kivu. 

  • Ils ont mis en déroute l'armée congolaise et ses alliés et installé une administration parallèle dans les zones sous leur contrôle dans l'est de la RDC..

Ce rapport affirme également que des membres des services de renseignements ougandais ont apporté un "soutien actif" au M23. Bob Kabamba est professeur de sciences politiques à l’université de Liège. Selon lui, l’implication de l’Ouganda dans ce conflit n’est pas surprenante compte tenu de sa situation géographique.  L'Ouganda réfute, pour sa part, tout soutien au groupe rebelle dans l'est de la RDC.

TV5MONDE : Le rapport de l’ONU souligne notamment l’implication de soldats ougandais dans le conflit. Comment l'expliquez vous ? 

Bob Kabamba : Des villes congolaises sont frontalières avec le Rwanda, mais aussi avec l'Ouganda. L'entrée du M23 sur le territoire congolais ne s'est pas faite à partir du Rwanda, mais bien à partir de l'Ouganda. Le pays qui a laissé passer ses miliciens ne peut qu'être impliqué. Par ailleurs, on remarque que maintenant l'offensive vers le Grand nord du pays se situe dans la zone d'influence de l'Ouganda.

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Cette offensive n'a pu se faire sans l'assentiment, voire l'autorisation de l'Ouganda pour que le M23 puisse monter jusque dans le Grand Nord. Quel est l'intérêt de l'Ouganda ? Le pays est confrontée à la présence des ADF dans la région. Des militaires ougandais luttent contre les ADF, groupe affilié à l'EI. Les ADF sont à l’origine de plusieurs attentats et massacres et enlèvements d'enfants en Ouganda. Et la lutte de l'armée ougandaise pèse sur les finances de l'Etat. 

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L’Ouganda a vu dans le M23 la possibilité de pouvoir sous-traiter à un groupe armé qui serait mieux organisé et qui pourrait arriver à sécuriser tout ce territoire du Grand Nord à moindre frais.

Bob Kabamba, professeur de sciences politiques à l'Université de Liège

Les autorités ougandaises ont vu dans le M23 la possibilité de pouvoir sous-traiter à moindre frais, à un groupe armé, bien organisé, la sécurisation de ce territoire du Grand Nord. Militairement, le pays ne serait ainsi plus obligé d'intervenir. Cela allègerait les finances militaires congolaises. Et quand on regarde un peu le territoire que le M23 est en train de conquérir, c'est là que les ADF sont les plus actifs.

TV5MONDE : Dans quel état d’esprit se trouve actuellement l’armée congolaise ? 

Bob Kabamba : Il faut vraiment faire une cartographie pour se rendre compte de ce qui est en train de se passer. Lorsque Félix Tshisekedi arrive au pouvoir, il n'a pas du tout confiance envers les militaires que Joseph Kabila a laissé en place. Ce sont plutôt des militaires acquis à Joseph Kabila, l'ancien président.

De ce fait, Félix Tshisekedi va s'atteler à changer le commandement de cette armée en y plaçant des gens proches de lui.  Ce changement crée une espèce de désorganisation du système général de nomination, voire aussi de commandement des troupes. 

Et puis ce changement au niveau de l'armée s'est fait sur une base tribale. Toutes les troupes vont se retrouver pratiquement dirigées par des officiers originaires de la tribu de Sekevi. Cela va créer un malaise au sein de l’armée. Les soldats se demandent pourquoi ils doivent se battre pour protéger une seule ethnie. Il existe plusieurs ethnies au sein de l'armée congolaise. 

Comment sont les rapports entre la RDC et le Rwanda actuellement ? 

  • Le 20 juin dernier, le président rwandais Paul Kagame a déclaré sur la chaîne de télévision France 24 être "prêt à se battre" contre la RDC s'il le fallait, tout en éludant la question de la présence actuelle de l'armée rwandaise en RDC.

  • Selon Bob Kabamba, les rapports entre les deux pays sont dans une dynamique “d'escalade qui peut déboucher de manière très claire sur des déclarations de guerre de part et d'autre.”

  • Selon lui, s’il y a des déclarations de guerre, “il est difficile d’imaginer que l'armée congolaise soit en mesure de pouvoir résister longtemps à une offensive on va dire, généralisée de l'armée rwandaise sur le Congo.”

Ensuite, il y a toute une série de demandes d'appui venant de l'extérieur. Cela a des conséquences sur le moral de l'armée, cela veut dire que les soldats ne sont pas en mesure de sécuriser l'État congolais et les populations. Des mercenaires européens, embauchés par Kinshasa, sont présents. 

Ce sont des groupes qui n'ont pas nécessairement les mêmes objectifs que l’armée. Et puis il y a aussi, le fait que la plupart des armes qui sont achetées pour alimenter le front, ne peuvent pas être utilisées car les militaires ne savent pas s’en servir. 

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En face, il y a un groupe rebelle qui est soutenu par le Rwanda de manière beaucoup plus forte comme le rapport de l’ONU l'indique. L'armée rwandaise est parmi les meilleures armées du continent. Il est évident que le contingent congolais ne fasse pas le poids.

TV5MONDE : Est-ce pour cette raison que la RDC aurait décidé de faire appel à des mercenaires ? 

Bob Kabamba : Deux groupes de mercenaires (un français et un roumain) sont présents en appui aux forces armées congolaises. Le premier est spécialisé dans le soutien aérien. C'est-à-dire les drones, les avions de secours et les hélicoptères. Officiellement, le second groupe de mercenaires est chargé de la protection de certaines institutions. Mais selon moi, ces mêmes mercenaires sont en charge maintenant de la protection directe de l'armée congolaise.

Il y a véritablement deux pays qui sont en premier plan, à savoir  l'Ouganda et le Rwanda, dans cette offensive.

Bob Kabamba, professeur de sciences politiques à l'Université de Liège

Un groupe de mercenaires est spécialisé dans la protection des réfugiés sur un territoire. Et ce territoire, avec sa milice, va refuser la venue d'autres miliciens.

TV5MONDE : Selon vous, qu'est-ce que signifie ce rapport ? 

Bob Kabamba :  Le rapport ne fait que confirmer ce que les différents spécialistes et chercheurs connaissent de la région. 

Deux pays sont au premier plan, à savoir l'Ouganda et le Rwanda, dans cette offensive. Chaque pays a bien entendu ses propres objectifs et ses propres agendas par rapport à ses enjeux internes. 

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Ce que le rapport ne mentionne pas, c'est que d’autres pays sont de plus en plus impliqués. On parle du Kenya, notamment du trafic d'or, etc. Une bonne part de ce trafic, d'or et des matières premières, passe par le Kenya et par la Tanzanie avant de se retrouver sur le marché international. 

Pour les groupes rebelles, cela représente des moyens financiers pour racheter des armes et continuer la guerre. Dans le prochain rapport, on ne sera pas étonné de voir ces pays de l'Afrique de l'Est pointés du doigt. Ils sont d'une manière directe ou indirecte impliqués dans ce conflit.