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Faute d'images ou simple absence d'intérêt, leur mouvement n'est guère relayé par les télévisions nationales et les médias internationnaux. Pourtant, en RDC, la société civile bouge. Elle continue de marquer des points contre l'indifférence et l'injustice. Ses armes sont avant tout pacifiques : les réseaux sociaux, les manifestations et, de manière générale, tout ce qui peut encourager la mobilisation citoyenne.
Plusieurs facteurs sont à l'origine de ces mouvements qui tirent aujourd'hui la sonnette d'alarme.
Il y a d'abord la récente décision de la Cour constitutionnelle. Elle a tranché : Joseph Kabila restera en poste jusqu’à l’élection et l’installation d’un nouveau président. L'homme est au pouvoir depuis 2001. Théoriquement, il ne peut plus se représenter. Des manifestants, sans cesse plus nombreux, exigent la tenue d'une présidentielle avant le terme du mandat de Joseph Kabila, c'est à dire le 19 décembre.
Pour de très nombreux congolais, ce "forcing constitutionnel" est inadmissible.
Et si les citoyens veulent des élections dans les délais, c'est qu'une majorité d'entre eux se débat dans une insoutenable misère. Le pays, pourtant, dispose d'extraordinaires ressources naturelles. Mais la corruption et le culte de l'impunité provoque, ici en RDC (et comme dans nombre pays du continent) des ravages meurtriers.
Ibrahim Thiaw, directeur exécutif adjoint du Pnue (Programme des Nations Unies pour l'environnement ) donnait quelques chiffres sur l'antenne de RFI : "Plus d’un milliard de dollars sont exploités annuellement en ressources naturelles et la majorité des profits - jusqu’à 98% des bénéfices - vont vers des groupes internationaux. Les 2% qui restent - 13 millions de dollars - alimentent des groupes armés internes qui sont, en fait, manipulés. C’est un peu le principe de diviser pour mieux régner, afin qu’un groupe ne puisse jamais être dominant, et perpétuer ainsi un cycle de conflits qui bénéficie lui-même aux exploitants des ressources naturelles. Il s’agit donc d’un système extrêmement complexe où l’insurrection politique semble être maintenant reprise par une forme d’insurrection économique - si je peux m’exprimer ainsi - de manière à ce que le conflit puisse se perpétuer en longueur".
Assurer les besoins alimentaires, se loger décemment, accéder aux soins ou à la scolarisation des enfants relève d'un véritable enfer quand 71% des congolais vit avec moins d’un dollar par personne par jour. Pour la plupart d'entre eux, le seul l'espoir d'une amélioration passe donc par un changement de personne à la tête de l'Etat.
La Lucha (Lutte pour le Changement) est un mouvement citoyen qui n'entend plus se payer de belles paroles apaisantes. Elle écrit sur sa page Facebook : " Maintenant il est clair que Joseph Kabila et ceux qui l'entêtent ont deja eu assez d'avertissements comme ça. Il faut à présent renforcer l'unité des forces acquises au changement et à la Democratie (...) Comme la CENI est tenue de convoquer l'électorat pour la présidentielle 90 jours au moins avant l'expiration du mandat, pourquoi ne pas faire du 19 septembre 2016 la ligne rouge à partir de laquelle notre Peuple doit se mettre debout et appliquer l'article
64, si les élections ne sont pas convoquées par la CENI à cette date ?" Emmanuel Kabengele, coordonnateur national du Réseau pour la réforme de la sécurité et justice ne disait pas autre chose le 24 novembre dernier à Kinshasa. Il s'exprimait dans le cadre d'un Forum inter-ONG pour évoquer le processus électoral et, au sein de celui-ci, la position de la société civile : " S'il s'avère que l'un des acteurs importants n'arrive pas à s'acquitter de ses obligations, conformément à la Constitution où à la loi, la société civile a l'obligation de se mobiliser, de mobiliser toute la population ".
L’article 64 de la constitution congolaise stipule en effet que :
" Tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de la présente Constitution."
L'alinéa 2 précise cependant :
" Toute tentative de renversement du régime constitutionnel constitue une infraction imprescriptible contre la nation et l’État. Elle est punie conformément à la loi. ".
Le Front citoyen, un collectif de partis d’opposition et d’associations, parle de " coup d’Etat constitutionnel " Il appelait les populations, le 26 mai dernier, à une manifestation nationale au cours de laquelle, selon l'ONU, 59 personnes ont été arrêtées et où un civil et un policier ont été tués.
Mais quelques jours avant, le 17 mai, jour de la fête de la Libération, Henri Mova, secrétaire général du PPRD (parti au pouvoir) ne laissait, lui, aucune place à l'ambiguïté. A l'adresse des militants de la société civile, il
avertissait : "Nous voulons leur dire gentiment, à ceux qui donnent des ordres à partir de l’extérieur pour éventuellement organiser une insurrection ici, poursuit , qu’il y a eu un peuple ici debout, qu’il y a eu une histoire. Comme le dit Joseph Kabila : le peuple congolais n’est pas n’importe quel peuple. Il s’avère que la Cour constitutionnelle vient de le dire de la façon la plus limpide qui soit. A partir de là, ceux qui osent croire qu’ils peuvent contourner les institutions de la République trouveront sur leur chemin le peuple congolais debout comme un seul homme, défendant sa souveraineté. [...] Si vous n’êtes pas élus, vous n’avez aucun pouvoir pour parler au nom des Congolais. Vous pouviez concevoir tout ce que vous voulez, sanctions ou quoi, vous ne nous ferez pas peur. "
A Dakar, le 28 mai dernier, lors de la remise officielle du Prix Amnesty International "Ambassadeur de la Conscience" La Lucha tenait à préciser : "Entre mars 2015 et mars 2016, pas moins de 32 militants de notre mouvement ont été arrêtés pour le simple fait d’avoir essayé d’avoir exprimé leurs opinions, participé ou planifié de participer à des actions citoyennes pacifiques. La "Justice" supposée être gardienne des droits et libertés publiques, est de plus en plus instrumentalisée comme outil ordinaire de répression. L’avenir du pays est hypothéqué par une classe politique corrompue, égoïste et inconséquente, dont l'unique devise semble être : "conserver le pouvoir ou à y accéder à tout prix".
#RDC #JeSuisBeni journée fut stressante BONSOIR pic.twitter.com/mnLZBDhV2D
— Bernadette Tokwaulu (@tokwauluaena2) 27 mai 2016
Ensuite, autre motif d'indignation, les congolais sont révoltés par ces massacres dans le Nord-Kivu. Ils ont lieu en ce moment dans une terrible indifférence étatique et ce constat scandalise la population et toute la diaspora congolaise. Beaucoup se sentent impuissants et meurtris de savoir "leurs frères et soeurs" disparaitre ainsi, sans que les autorités ne
réagissent en conséquence. Dernièrement, lors d'une marche dans le quartier de Limété pour remettre un mémorandum à l'Hôtel de Ville, plusieurs dizaines de personnes ont été interpellées par la police. Le rassemblement avait pourtant été autorisé. RFI précise : "Parmi les personnes interpellées dans la matinée, se trouvent Albert Moleka, l'ancien directeur de cabinet d'Etienne Tshisekedi, de l'UDPS, mais aussi le président de la plateforme Dynamique Congo Uni (DCU), Vidje Tshimanga Tshipanda, et tout le comité d'organisation ainsi que de simples manifestants, soit une trentaine de personnes au total."
Le chirurgien congolais Denis Mukwege est directeur de hôpital de Panzi, à Bukavu, capitale de la province du Sud-Kivu (est). Sur place, il constate jour après jour la terrible dégradation de la situation. Il appelle désormais à "un changement radical" en République démocratique du Congo et que tous les citoyens "se mobilisent pour parvenir au changement tant attendu".
Dans un message transmis à l'AFP, le médecin constate : "Les crimes et barbaries qui sévissent dans l'est de la RDC depuis 20 ans renaissent avec une nouvelle intensité. Les populations ont le sentiment d'être "abandonnées et livrées à elle-mêmes". Denis Mukwege sait de quoi il parle. Cet homme qui vit sous protection des Nations unies opère des femmes dont l’appareil génital a été détruit lors de viols collectifs accompagnés de violences sauvages. Le médecin aide à la reconstruction physique et psychologique des victimes. Il dénonce : "Depuis octobre 2014, le bilan s'élève à plus de 600 morts ! Les images de ces atrocités de masse sont insupportables: des femmes enceintes éventrées, des bébés mutilés, des êtres humains ligotés et égorgés à l'arme blanche".
Merci à tous les jeunes qui ont répondu à l'invitation de la campagne JE DENONCE LES MESSACRES DE BENI #JesuisBeni pic.twitter.com/GHCamPoH71
— démocratie (@BussaGael) 20 mai 2016
Pourquoi cette violence ? C'est que la RDC dispose de 80 % des réserves connues de coltan, ce minerai dont les autorités et les milices locales se disputent la précieuse ressource. Il est utilisé dans les condensateurs d’ordinateur et de téléphone portable mais aussi dans les missiles, les fusées et les avions.
En attendant, à l’issue de la session ordinaire de l’assemblée épiscopale provinciale tenue à Kindu qui s'est tenue le 28 mai, des évêques de la province ecclésiastique de Bukavu (qui comprend les villes de Goma, Butembo, Kasongo, Bukavu et Kindu) ont formulé le souhait que le chef de l’Etat devrait "exprimer clairement sa position sur les violences qui accablent les populations et l’impasse du processus électoral".
Par ailleurs, plusieurs pays occidentaux, comme le Royaume Uni ou les Etats Unis ont dénoncé une répression des membres de l’opposition. Ils se sont dit "préoccupés" par la situation politique en RDC et ont aussi annoncé "l’éventualité" d’imposer des sanctions contre les acteurs des violences politiques.
Des annonces.
Rien de concret.
Répression et massacres peuvent continuer. Impunément.