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- RDC : l'église catholique, fusible d'un pays en so...
L'église catholique en RDC veut être avant tout un facilitateur de parole, un acteur discret et efficace, sorte de médiateur neutre, capable d'établir un dialogue entre les parties... sans jamais prendre parti.
Périlleux.
Comment satisfaire une opposition exaspérée et contenter un président forcément crispé ? Le moindre faux pas, tout s'embrase et les morts se multiplient.
Mais peut-il en être autrement ? Santé, école, services publics, infrastructures, l'Etat congolais est cruellement démissionnaire.
Peut-on demander à la population de supporter l'insupportable ? Elle est à bout et n'entend plus courber la tête devant les classes dirigeantes dont l'opulence résonne comme une gifle à leur misère épuisante.
Les chiffres sont sévères.
Dans ce pays extraordinairement riche qui compte plus de 75 millions d'habitants, le taux de personnes vivant sous le seuil de pauvreté absolue (1,25 dollar par jour et par personne) s'établit à 82%. Dans ces conditions, la violence somnole et ne demande qu'à dégénérer. L'impunité pour les crimes commis sonnerait presque comme un encouragement.
Dans ce délitement général, ce chaos qui dure, l'église catholique représente un fusible et jouit d'un indiscutable pouvoir d'influence : "Avec plus de 5.000 prêtres et 47 diocèses, rappelle la journaliste Francine Mokoko, correspondante de TV5MONDE, l’église catholique est représentée sur toute l’étendue du territoire national. Près de 60% de la population est catholique. L’église catholique gère beaucoup d’écoles (les meilleures du pays et les intellectuels de la première génération ont été formés par elles) et plusieurs hôpitaux à travers le pays.
L‘église catholique a toujours joué un grand rôle dans la politique depuis l’époque de Mobutu. Elle a lutté contre la dictature sous Mobutu et a organisé en février 1992 la marche des chrétiens qui a conduit à la réouverture de la conférence nationale souveraine."
L'homme fort de l'église catholique en RDC est l’archevêque de Kinshasa, le cardinal Laurent Monsengwo.
Né en 1939, ordonné prêtre en 1963, cet homme de 77 ans est un proche du pape François.
Habile et courageux, il apportait en décembre dernier son soutien aux jeunes Congolais engagés dans les mouvements de revendication citoyenne et politique qui s'opposent au maintien au pouvoir du président Joseph Kabila au-delà la fin de son mandat.
A Noël, lors de son homélie prononcée à Kinshasa l'archevêque affirmait : "Il est plus facile de tuer que de ne pas tuer. Il est plus facile de céder à la violence que de résister à la force. Il est plus beau d'être artisan de la violence. Il n'y a pas de grandeur à manier les armes pour tuer les gens. Le fait de prendre le pouvoir par les armes ne justifie pas qu'on ne puisse le quitter que par les armes. Il est révolu le temps où l'on prenait le pouvoir par les armes, il est révolu le temps où l'on cherchait à conserver le pouvoir par les armes, en tuant son peuple. Ces jeunes ne réclament que leurs droits de vivre un peu plus dignement. Prenons garde, mes frères et sœurs, car quiconque tue par l'épée, périra par l'épée".
Des paroles fortes. Et un engagement payant.
Grâce à son action, la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), qui rassemble les évêques de l'Eglise catholique de la République démocratique du Congo (RDC), a vu sa médiation aboutir dans la dernière crise majeure qui agitait le pays. L'accord politique, obtenu à l'arraché, prévoit l'organisation, fin 2017, de l'élection présidentielle.
Le président, Joseph Kabila, s'est engagé à ne pas se représenter, comme l'impose la Constitution, qui limite à deux les mandats à la tête du pays.
La pression était énorme.
L'adversaire du président Kabila, Etienne Tshisekedi, de l’Union pour la démocratie et le progrès social, martelait que le chef de l'Etat avait " perdu sa légitimité et sa légalité à la tête du pays " et s'était rendu coupable, selon lui de " parjure ", de " haute trahison " et de " violation intentionnelle de la Constitution " en refusant d’organiser sa succession. Dans une vidéo mise en ligne sur YouTube, il appelait ses concitoyens "à ne plus reconnaître l’autorité de M. Joseph Kabila, à la communauté internationale de ne plus traiter avec Joseph Kabila au nom de la République démocratique du Congo."
Certainement, grâce à la médiation de l'église catholique, le pire a été évité.
> Lire notre article sur le retour d'Etienne Tshisekedi au pays.
Il n'est pas défendu de voir dans cet accord fragile la pression directe du pape
François. Le Vatican suit de près la situation dans ce pays africain qui compte le plus de catholiques. Le 20 septembre, François avait reçu Joseph Kabila pour un entretien d'une vingtaine de minutes, rappelant "l’importance de la collaboration entre les acteurs politiques, représentants de la société civile et les communautés religieuses, en faveur du bien commun, à travers un dialogue respectueux et inclusif pour la stabilité et la paix dans le pays". Selon le communiqué du Saint-Siège, le pape et le président Kabila ont évoqué "la violence persistante qui touche la population dans l’est du pays", soulignant "l’urgence d’une coopération nationale et internationale pour fournir l’assistance nécessaire et restaurer la société civile". Une petite piqûre de rappel.
Le 15 août, au cours de l’angélus, le Pape avait en effet dénoncé les multiples assassinats qui se perpétuent "dans un silence honteux, sans même attirer notre attention ", tout en rappelant que " ces populations font partie de celles qui n’ont pas les moyens d’attirer l’opinion publique mondiale ".
Difficile d'être plus clair.
Le poids réel et l’influence du cardinal Monsengwo est immense. "A lui seul,
précise la journaliste Francine Mokoko, il incarne l’Eglise catholique ! Très influent au sein de l’Eglise, car tout l’épiscopat est aujourd’hui composé des gens de son obédience. Ceux qui dirigent l’église catholique aujourd’hui sont en fait ses poulains. C’est lui qui les a placés un à un. Quand il parle, c’est toute l’Eglise qui parle. Sa parole reflète la position de l’Eglise En tant que cardinal, il est un symbole à cause de sa place au milieu des évêques (il est l’aîné de tous les évêques). Son titre de cardinal est en fait une reconnaissance pour tout ce qu’il a fait pour l’Eglise catholique (ancien secrétaire général de la Cenco) et pour le pays (président de la conférence nationale souveraine et du Haut conseil – Parlement de transition sous Mobutu). C’est aussi une reconnaissance au niveau africain. "
A mi-voix, le président Joseph Kabila, arrivé au pouvoir à 29 ans après l'assassinat de son père en janvier 2001, se garde d'exprimer publiquement son agacement. Ce taiseux, fin tacticien, n'apprécie que très modérément l'autorité morale du cardinal. "C'est mon principal opposant", aurait-il même glissé à un diplomate européen.
Et peut-on faire la guerre à un homme de paix ?
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