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©TV5MONDE / Reportage : Anthony Fouchard, montage : Robin Monjanel
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RDC : massacres à huis clos

Reportage exclusif dans l’Ouest de la République démocratique du Congo, où il y a deux mois, des affrontements communautaires éclatent dans plusieurs villages dans la région du Maï Ndombe. Au moins 530 personnes sont tuées en deux jours. Deux groupes sont impliqués : les Banunus et les Batendés. Un massacre organisé et planifié en amont, quelques jours seulement avant les élections présidentielle et législatives. Anthony Fouchard est l'un des premiers journalistes à s'être rendu sur place.

Ils sont des survivants. Le 17 décembre, ils ont fui à la nage, ou en pirogue sur ce fleuve qui sépare les deux Congo pour échapper aux tueurs. Près de deux mois après les faits, ils ont accepté de retourner à Bongendé, le village le plus touché par les tueries. L’abbé Nestor a perdu 25 membres de sa famille : "On en parle presque pas, s'insurge-t-il. On n'a pas dit qu’il y a eu des massacres. On n'a même pas organisé de deuil national. Imaginez ! Des centaines de morts, des tueries, des massacres, disons même un génocide. Et les morts sont restés autant de jours sans sépulture ! C’est gravissime ! Il faut que cela soit reconnu à travers le monde".

Les tueurs étaient tous de la communauté batendée. Les rescapés que nous accompagnons sont banunus. Certains n’ont pas remis les pieds dans le village depuis les tueries.

La pirogue accoste. Lanjy Ngouta se dirige sur les hauteurs du petit port. C’est là qu’il a vu son ami pour la dernière fois : « On a juste pris un peu de terre là-bas et on a recouvert le corps de boue. Ce n’est même pas une tombe. On était tous les deux, ajoute-t-il, on tentait de fuir. Au lieu de suivre le même chemin que moi, il a tourné. Entre temps les Batendés sont arrivés et ils l’ont attrapé et l’ont tué. »

A quelques mètres de là, la maison du chef de village. Plusieurs dizaines de personnes y avaient trouvé refuge. Elles ont toutes été massacrées. Le père Nestor a été l'un des premiers sur les lieux. Quand il revient à Bongendé, le 24 décembre, il filme pour témoigner de l’horreur. 

Je suis venu par ici. Il y avait des corps ici, et là. Partout. Et ici aussi. Ici il y avait beaucoup de corps qui s’étaient entassés, les gens tentaient de sortir de la maison par cette fenêtre.

Nestor Longota, prêtre de Bongendé

"La terre nous appartient"

Partout dans le village, les mêmes scènes de désolation. Sur des kilomètres, il ne reste plus rien. Des maisons brûlées, détruites, pillées. Sur un mur, gravé en lingala, «Matélé na biso batendé», en français : «La terre nous appartient à nous les Batendés».

► Les autorités parlent d’un conflit communautaire entre deux peuples. Les Banunus, des pêcheurs, ont toujours partagé la terre avec leurs voisins agriculteurs, les Batendés que l’on appelle aussi Tiénés. Les tensions existent, mais elles n’ont jamais dégénéré à ce point.
En deux jours, les voisins et amis se sont transformés en tueurs.

Les assaillants sont arrivés à deux endroits différents, par la route et par le fleuve. Deux mois après les faits, Bongendé n’est plus qu’une vaste fosse commune, à ciel ouvert.

En deux jours, quatre villages voisins ont été attaqués. Après Bongendé, Yumbi a aussi payé un lourd tribut : 166 morts, tous Banunu.

Rien vu, rien fait

Nous nous rendons à Ngamabila, un village exclusivement batendé. Sur place, beaucoup de jeunes hommes et des enfants. Le chef, le visage fermé, n’est pas très bavard : « On ne sait pas expliquer, il y avait des fuites, tout le monde fuyait. On ne sait pas vraiment expliquer ce qu’il s’est  passé.» Le directeur de l’école primaire réfute lui aussi toute responsabilité : «On n'a jamais piétiné Bongende ! » Ici, personne n’a rien vu et surtout personne n’a rien fait.

Joséphine Bakou, la directrice de l’école de Bongende, est pourtant formelle, les tueurs sont venus de Ngamabila. Elle en connaissait certains personnellement. « J’ai vu même mes élèves Tende, raconte-telle. Eux aussi étaient des guerriers. Ils m’ont dit 'mais madame qu’est-ce que vous faites encore ici ?' J’ai dit 'mais comment voulez-vous que je sache ce qui allait se passer ici ?' (...) Ils étaient à la chasse des Nunus [Banunus, ndlr]. »

Les Banunus pourchassés

L’objectif des meurtriers est clair : seul les Banunus doivent mourir. Joséphine a été épargnée. Ces tueries ciblées sont d’une efficacité redoutable : au moins 600 personnes sont tuées en deux jours seulement, enterrées à la va-vite dans des fosses communes.

Alors une interrogation : ces massacres ont-il été planifiés bien avant l’enterrement du chef coutumier des Banunus ? Nous posons la question dans un autre village batendé suspecté d’avoir participé aux tueries.

« Les Tendés ne sont pas organisés. Pour s’organiser, c’est peut-être que la chose a été préparée avant. Comment pouvons-nous organiser une chose, un fait qui s’est produit à partir de la mort d’une personne ? Et si cette personne-là n'était pas morte ? On aurait fait ça comment ? C’était pas organisé, ça s’est produit brusquement. C’est à partir de la mort du chef ! »

Mais le chef banunu est mort le 2 décembre or les massacres débutent le 16. Pendant ces 14 jours que s’est il passé ? Une chose est sûre, les assaillants batendés se sont coordonnés. Ifouta Lobota en a été témoin. Il a survécu au massacre sur cette plage. 
Impossible de dire combien de personnes ont été abattues. Leurs corps ont été jetés dans le fleuve.

« Quand ils sont sortis, ils ont assassiné quelques personnes, raconte Ifouta Lobota, un rescapé. Nous autres, nous avons pris la fuite mais on a pu voir sous nos yeux comment les Tiénés coupaient les petits enfants en morceaux sur le bord du fleuve. (...)Nous avons vu les militaires accompagnés du peuple tiéné. Le peuple tiéné venait derrière les militaires. Eux aussi possédaient les armes et les machettes, les choses à tuer les gens. »

Des anciens militaires en première ligne  

C’est ce que confirme le colonel Olivier Gasita qui dirige l’enquête côté congolais. « Clairement, il y avait une organisation qui les commandait, explique le colonel Olivier Gasita, administrateur par intérim. Ils ont fait l’attaque selon les trois colonnes, c’est une tactique militaire, ça veut dire qu’il y avait des militaires déserteurs ou démobilisés dedans. »

Une tactique militaire pour ne laisser aucune chance aux Banunus. Plusieurs petits groupes d’assaillants mènent l’assaut en simultané mais à des endroits différents. 
Une stratégie bien définie et des motivations qui se précisent.

On essaye de se renseigner s’il y avait des mobiles politiques. D’après les informations que nous avons pu recueillir : comme les politiciens ne s’entendaient pas sur des points, ils pouvaient tisser la haine entre les deux communautés. 

Colonel Olivier Gasita.

Les Nations unies ont lancé leur propre enquête et eux-aussi soulignent la probable implication des politiques dans les tueries. Du côté de la population banunue, on en est persuadé.

« La population qu’on est en train de tuer là c’est la population nunue, explique Aubin Bobangalé, avocat et habitant de Yumbi. C’est une extermination, c’est un génocide, et il y a les auteurs qui ont organisés ce génocide. C’est pas aujourd’hui, c’est un plan qui dure depuis longtemps. » 

Qui sont les commanditaires ? 

Les massacres des Banunus se déroulent à huis clos, dans la quasi indifférence...
A la mi-décembre, tout le Congo et la communauté internationale ont les yeux rivés sur les élections.  

Qui a commandité cette épuration ethnique ? Et surtout à quelle fin ? Impossible pour l’instant d’être formel.

A Yumbi, les élections n’ont jamais eu lieu. Le scrutin est reporté au 31 mars. Mais qui ira voter ? Entre les morts, les disparus et ceux qui ont pris la fuite de l’autre côté, au Congo-Brazzaville… C’est plus d’un quart des électeurs qui manquent à l’appel. 

Déplacés et réfugiés

Ils sont au moins 16.000 à avoir fui le territoire de Yumbi après le massacre de décembre. Certains ont trouvé refuge sur des ilôts au milieu du fleuve  Congo, d'autres ont carrément franchi la frontière et vivent aujourd'hui en République du Congo. 

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Reportage : Anthony Fouchard, montage : Véronique Pérez