RDC : pourquoi la restitution de la dépouille de Patrice Lumumba par la Belgique est importante pour les Congolais

Plus de 61 ans après sa mort, la dépouille de Patrice Lumumba, père de l'indépendance congolaise, a été restituée à sa famille et à son pays par la Belgique. Celle-ci est constituée d’une seule dent, conservée toutes ces années par un policier belge Gérard Soete, chargé de faire disparaître le corps. En quoi cette restitution est un acte important pour les Congolais ? Décryptage de Karine Ramondy, historienne, chercheuse à la Sorbonne. Entretien.
 
Image
RDC CERCEUIL LUMUMBA
Les enfants de Patrice Lumumba, Roland, Juliana et François se recueillent devant le cerceuil qui contient une relique de leur père lors de la cérémonie de restitution par la Belgique au palais Egmont à Bruxelles ce 20 juin 2022.
AP Photo/Olivier Matthys
Partager10 minutes de lecture
Karine Ramondy est chercheuse en histoire, spécialiste de l'histoire contemporaine de la République democratique du Congo. Elle est l'auteure d'une thèse : 1958-1961 : l’assassinat des leaders africains, un « moment » de construction nationale et de régulation des relations internationales (Afrique centrale-étude comparée) 

La Belgique a donc restitué lundi 20 juin à la République démocratique du Congo (RDC), lors d'une cérémonie empreinte d'émotion, une dent du héros congolais Patrice Lumumba dont la dépouille va rejoindre un mémorial à son nom à Kinshasa.

TV5MONDE : Quelle est la force symbolique de la restitution de la dent de Patrice Lumumba ?

Karine Ramondy : Il ne reste qu'une dent d'un personnage historique aussi important que Patrice Lumumba. Et il n'y a même pas la possibilité de faire des tests ADN pour prouver que c'est bien la sienne. Même plus de 60 ans après les faits. On est vraiment dans une restitution que l'on appellerait symbolique. Elle permet aussi le deuil familial.

C'est très important pour les trois enfants qui se sont déplacés, Roland, Juliana et François. Sa femme, Pauline Lumumba, avait demandé la restitution des restes de son mari.  En Afrique centrale, on ne peut pas faire son deuil si on n'a pas de dépouille.
 
En RDC, on veut reconstituer autour des pères de la nation un socle national très mis à mal ces derniers temps.Karine Ramondy, historienne.

Il s'agit d'un deuil familial mais également d'un deuil national. Le retour du reste du corps de Patrice Lumumba sur la terre de ses ancêtres est également important pour la nation. Le Congo est une nation très fracturée actuellement avec les exactions du M23 qui se déroulent dans l'est du pays. 

C'est donc un moment particulièrement sensible en RDC. On veut reconstituer autour des pères de la nation, qui ne sont pas très nombreux, un socle national très mis à mal ces derniers temps.

Le parcours politique de Patrice Lumumba en quelques dates
1925 : Naissance de Patrice Lumumba.
1958 : Patrice Lumumba crée le Mouvement national congolais (MNC) à Léopoldville.
Il participe à la conférence des Peuples africains à Accra aux côtés de Frantz Fanon et du président du Ghana Kwame Nkrumah.
Janvier 1960 : Patrice Lumumba est condamné à six mois de prison par les autorités coloniales belges.
Mai 1960 : élections générales dans le Congo belge. Le parti de Lumumba remporte les élections.
Le 30 juin 1960 : Le Congo belge devient indépendant. Patrice Lumumba devient Premier ministre.
Le 11 juillet 1960 : Moïse Tshombé s'autoproclame "président du Katanga indépendant". Une riche région minière du sud-est du pays.
Le 4 septembre 1960 : Patrice Lumumba est renversé dans un coup d'État.
Le 1er décembre 1960 :
 Il est arrêté par les hommes de Mobutu.
Le 17 ou 18 janvier 1961 : Patrice Lumumba est assassiné au Katanga.

Patrice  lumumba voiture
Patrice Lumumba alors Premier minsitre du jeune État congolais salue la foule ce 27 août 1961. Il sera assassiné le 17 ou le 18 janvier 1961. 
AP Photo
TV5MONDE : Comment est perçue la figure historique de Patrice Lumumba en RDC?

Karine Ramondy : Il a été reconnu comme héros national en 1966 par le colonel Mobutu qui a pourtant joué un rôle dans son élimination. Ce geste a permis notamment à sa veuve et sa famille de revenir au Congo. Patrice Lumumba est une figure qui est mobilisée de manière assez différenciée en RDC. On ne peut pas dire qu'il y ait une unanimité autour de sa figure mais il reste un père de la nation congolaise.

RDC : qui était Patrice Emery Lumumba, le héros de l’indépendance du Congo ?

Il est aussi une figure internationale panafricaine et constitue pour beaucoup de Congolais et d'activistes une référence dans leur leur lutte panafricaine. C'est notamment le cas de la Lucha (le mouvement de la société civile congolaise de défense des droits humaines) qui revendique plus de démocratie, de libertés et de justice sociale pour les Congolais.

La figure de Patrice Lumumba reste associée avant tout à la question de la souveraineté. Après les indépendances de 1960, les anciennes métropoles voulaient recréer des redépendances. Patrice Lumumba se dresse alors contre cette volonté des anciennes métropoles coloniales.

La question des richessses du sous-sol congolais est aussi centrale dans l'histoire du Congo. Le pays est-il capable de conserver ses richesses minières pour sa population et ne pas enrichir des firmes transnationales ? Cette question de l'utilisation du sous-sol congolais reste toujours au coeur des questions de souveraineté.

 
Indépendane Congo Lumumba
Patrice Lumumba, Premier ministre du Congo signe à Leopoldville ce 30 juin 1960 l'acte d'indépendance de son pays avec Gaston Eyskens, Premier ministre de Belgique.
AP Photo/Jean Jacques Levy


TV5MONDE : Comment percevez-vous d'un point de vue politique la cérémonie de retour de la relique de Patrice Lumumba ? Le président Tshisekedi devrait accompagner le voyage de la dépouille en RDC ? 

Karine Ramondy : Je pense que c'est une nécessité d'un point de vue politique. Le président Tshisekedi s'est présenté comme un président de rupture. Les deux présidents Kabila ( Laurent-Désiré Kabila, président de  1997 à 2001, et son fils Joseph Kabila, président de 2001 à 2019, ndlr) n'avaient rien fait durant leurs mandats pour la mémoire de Patrice Lumumba.

La demande de rapatriement des restes de Patrice Lumumba par sa famille a été rendue internationale en juin 2020 lors du mouvement Black Lives Matter. (NDLR : Plusieurs statues en Belgique du roi Léopold II, figure de la colonisation belge, avaient été vandalisées au moment du mouvement Black Lives Matter). Cette demande s'inscrivait également dans le cadre de la Commission parlementaire en Belgique sur le passé colonial du Congo. Au vu du retentissement à l'international de l'affaire, il était impossible pour la présidence congolaise de ne rien organiser pour le rapatriement de la dent de Lumumba.

Le rapatriement de la dépouille de Lumumba va être moment important où le projecteur médiatique va être posé sur le Congo.Karine Ramondy, historienne.

Dans les prochains jours, on va donc assister à un périple, entre la RDC et la Belgique pendant plusieurs jours. En RDC, cette relique va passer à Kisangani, qui était le fief politique de Patrice Lumumba, puis son lieu de naissance, et puis ensuite Kinshasa où un mausolé a été construit avec une statue à son effigie. Cet itinéraire est un moment important où le projecteur médiatique va être posé sur le Congo. Les violences dans l'est du pays sont par ailleurs sous traitées médiatiquement au niveau international.

PATRICE LUMUMBA mausolé
Le mémorial consacré à Patrice Lumumba à Kinshasa ce 20 juin 2022.
AP Photo/Samy Ntumba Shambuyi

TV5MONDE : Comment est perçu le retour de la dépouille de Patrice Lumumba depuis la Belgique ? Lors de son récent voyage, le roi Phillipe a évoqué des "regrets" pour la période de la colonisation sans que la question de la responsabilité de la Belgique dans l'assassinat de Patrice Lumumba en 1961 soit évoquée.

La Commission parlementaire belge en 2001 a fait avancer la question de la responsabilité de l'État belge dans l'assassinat de Patrice Lumumba. Depuis certaines archives ont été ouvertes mais une majeure partie reste inaccessible. Il y a eu une enquête et une action de juistice qui ont été lancés par la famille. C'est un processus qui a permis de faire réellement avancer la question des responsabilités belges depuis une vingtaine d'années . Aujourd'hui, beaucoup de collectifs belges sont actifs sur la question. On sait maintenant comment l'assassinat s'est globalement déroulé. On sait qu'il s'est fait avec la complicité des Belges présents, des Katangais.

On sait que Patrice Lumumba a été emmené de Léopoldville (ancien nom colonial de Kinshasa) vers le Katanga, avec deux de ses compagnons, Maurice Mpolo et Joseph Okito. On sait aussi que le colonel Mobutu a favorisé ce transfert. (NDLR : Le 14 septembre 1960, Joseph Mobutu organise un coup d'État et accède lui-même au pouvoir. Patrice Lumumba est arrêté ler 1er décembre 1960).

Dans cette affaire, il y a aussi des complicités internationales. La France, les États-Unis et ce qui était à l'époque la Rhodésie ont laissé faire sur ce qui était un assassinat programmé.Karine Ramondy, historienne.

Des Belges étaient présents lors de la chute de Patrice Lumumba, comme le commissaire de police, Frans Verscheure. On sait que sa mise à mort s'est déroulée dans un lieu à 50 kilomètres de Lubumbashi. Il a été tué par balles avec ses compagnons. Les corps ont été enterrés mais leurs emplacements ont été découverts par des riverains alertés par le bruit des rafales. 

Pour ne pas que les corps soient découverts, un policier belge, alors présent  au Katanga, s'est chargé d'extraire les corps avec son frère pour ensuite les dissoudre dans de la soude. Les dents des victimes ont été retirées comme un trophée de chasse. Et ce sont des années plus tard, dans un documentaire, que l'inspecteur  belge Gerard Soete va se confier.

Des actions de justice sont toujours en cours contre ceux qui sont encore vivants. On ne peut pas nier la responsabilité des autorités belges. Pourtant, il y a eu une volonté de la part du gouvernement belge de ne pas mentionner l'affaire lors de la visite du roi  Philippe en RDC du 7 au 13 juin.

Mais dans cette affaire, il y a aussi des complicités internationales. La France, les États-Unis et ce qui était à l'époque la Rhodésie, ont laissé faire ce qui était un assassinat programmé.

CAPTURE LUMUMBA
L'ex Premier ministre du Congo Patrice Lumumba avec deux de ses compagnons est retenu prisonnier par des hommes du colonel Mobutu ce 2 décembre 2021 à Leopoldville.


 
AP Photo

TV5MONDE : Pourquoi l'État belge voulait éliminer Patrice Lumumba ?

Karine Ramondy : Le discours de Patrice Lumumba du 30 juin 1960 devant le roi Beaudoinau moment de l'indépendance a marqué les esprits  (voir encadré). Ce moment n'est cependant pas un moment clé mais le début d'un processus.

Patrice Lumumba s'est imposé par son charisme de manière progressive à partir de 1958 comme le leader de l'indépendance. En 1958, il rencontre à Accra le président ghanéen Kwame Nkrumah, une figure du panafricanisme.

Il s'est par la suite imposé comme l'homme qui allait incarner l'indépendance. Ce n'était cependant pas l'indépendance que les Belges souhaitaient. Comme beaucoup de métropoles et notamment la France, la Belgique souhaitait la mise en place d'un gouvernement local qui puisse assurer une continuité des intêrets belges sur place. 

On a voulu faire disparaître le corps et effacer sa mémoire, mais 61 ans plus tard, Patrice Lumumba est devenu une figure internationale présente dans la plupart des arts. Il est devenu une icône. Karine Ramondy, historienne.
 

Patrice Lumumba n'est donc pas une personnalité soutenue par les Belges. À partir de ce moment là, les autorités belges vont même tout faire pour le discréditer, en vain. Sa mise à mort a provoqué l'effet contraire. On a voulu faire disparaître son corps et effacer sa mémoiren mais 61 ans plus tard, Patrice Lumumba est devenu une figure internationale présente dans la plupart les arts, comme dans le rap et le slam. Il est devenu une icône et, en ce sens, on peut dire que les Belges et les responsables congolais ont vraiment échoué dans leur tentative de faire effacer sa mémoire.

Retour sur la journée du 30 juin 1960 et le discours de Patrice Lumumba

Le 29 juin 1960, le roi des Belges, Beaudoin Ier, arrive en République Démocratique du Congo pour participer à la cérémonie d'indépendance du pays qui doit avoir lieu le lendemain, le 30 juin. Le souverain y prononce un discours vantant les mérites et les bienfaits de la colonisation belge au Congo. Le président du Congo de l'époque, Joseph Kasa-Vubu, ne contredit pas le roi. Furieux, Lumumba se lance dans un discours qui deviendra historique.

"Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir parce que nous étions des "nègres". Nous qui avons souffert dans notre corps et dans notre tête de l’esprit colonialiste. Nous vous disons : Tout cela est désormais fini."

Omar Mateen, pratiquant l'exercice du selfie. Depuis leur divorce en 2011, Mateen était devenu de plus en plus religieux, a rapporté l'un de ses proches au Washington Post

TV5MONDE : Comment la diaspora congolaise en Belgique vit aujourd'hui cette restitution  ?

Karine Ramondy : C'est évidemment très important pour la diaspora aussi. Peu de figures africaines sont devenus des icônes. En Belgique, il y a des collectifs qui se sont créés, formés par des jeunes issus de l'immigration congolaise en Belgique,  pour que la figure de Patrice Lumumba reste centrale. Ils militent pour que des rues portent son nom en Belgique. Par exemple, ils se sont battus pour qu'il y ait un square Lumumba à Bruxelles.