RDC : pourquoi l'Union africaine renonce-t-elle à sa mission à Kinshasa ?

L'Union africaine a annulé sa mission prévue ce lundi 21 janvier en République démocratique du Congo, après la proclamation par la Cour constitutionnelle congolaise de la victoire de l'opposant Félix Tshisekedi à la présidentielle du 30 décembre. Comment expliquer ce volte-face ? Entretien avec Thomas Borrel, porte-parole de l'Association Survie, qui milite contre la Françafrique.
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RDC
Paul Kagame, président rwandais et président en exercice de l'UA.
AP Photo/Ronald Zak
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Le jeudi 17 janvier, les chefs d'Etat et de gouvernement réunis à Addis-Abeba avaient convenu d'envoyer à Kinshasa une délégation de haut niveau. La délégation devait être conduite par le président en exercice de l'UA, le Rwandais Paul Kagame, et le président de la Commission de l'UA, Moussa Faki Mahamat.  Le but : dialoguer avec toutes les parties prenantes congolaises pour trouver un consensus de sortie de crise. Cette mission était annoncée pour ce lundi 21 janvier, mais a finalement été annulée.

TV5MONDE : Jeudi dernier, l'Union africaine avait demandé la "suspension" de la proclamation des résultats électoraux définitifs en RDC, en raison de "doutes sérieux", ainsi que l'envoi d'une délégation de haut niveau à Kinshasa. Mais aujourd'hui, elle renonce finalement à cette mission. Pourquoi, selon vous que s'est-il passé ?

Thomas Borrel : Suite à la promulgation des résultats définitifs par la Cour constitutionnelle, cette mission de l'Union africaine ne se justifiait plus vraiment : elle ne peut plus faire de médiation puisque le régime, auquel semble inféodée cette cour, est passé en force. La question est plutôt de savoir pourquoi la Cour constitutionnelle a promulgué ces résultats juste avant l'arrivée de la mission : cet empressement montre le besoin de couper l'herbe sous le pied de l'Union africaine. Depuis le scrutin, tout a été fait pour systématiquement neutraliser les possibilités de recours ou de médiation. Le régime Kabila le confirme y compris vis à vis de cette organisation intergouvernementale. 

L'Union africaine a-t-elle encore du poids aujourd'hui ou plus du tout ?

Ce n'est pas à l'association Survie et à des Français de juger du poids passé et présent de l'Union africaine. Mais il est encourageant de voir que, pour la première fois à ma connaissance, cette organisation a pris une position qui allait clairement dans le sens du choix du peuple, et non du régime. Cela peut certes s'expliquer par l'influence de certains chefs d'Etat défavorables à Kabila, mais c'est un précédent qui s'explique aussi par la formidable mobilisation des Congolais. Il faut maintenant espérer que ce précédent se renouvelle, car par le passé l'Union africaine a plutôt avalisé des élections truquées (au Togo, au Cameroun, au Gabon, etc.)

Comment expliquer ce changement d'attitude du président en exercice de l'UA.  Est-ce un revers pour Paul Kagame ?

C'est un revers pour l'ensemble des dirigeants qui avaient pris cette décision forte, mais c'est surtout un revers pour le peuple congolais et pour la démocratie en général. Cela risque de miner la crédibilité de l'Union africaine si elle se range finalement derrière les résultats officiels, après avoir donné de l'espoir aux Congolais et à tous les démocrates du continent en condamnant enfin une mascarade électorale.

L'enjeu pour nous sera surtout, dans les semaines à venir, l'attitude de la diplomatie française. Pour préserver notamment les intérêts pétroliers du groupe Total au niveau du Lac Albert, la France a longtemps retardé ou bloqué les sanctions européennes contre les dirigeants du régime Kabila. Jean-Yves Le Drian a par contre, et de façon étonnamment prématurée, fait part de ses doutes sur les résultats officiels de la présidentielle. Maintenant que ce régime passe en force, il va falloir être attentif à l'attitude de la France dans les autres instances internationales, qui vont être amenées à se prononcer sur la situation en RDC.