RDC : quels enjeux pour le second mandat du président Tshisekedi ?

Félix Tshisekedi a été investi samedi 20 janvier pour son deuxième mandat à la tête de la République démocratique du Congo. Sécurité, diplomatie, économie, chômage, cohésion nationale… On fait le point sur les défis que le président, au pouvoir depuis fin 2018, devra relever d’ici à 2028.

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Le président Felix Tshisekedi lors de sa cérémonie de prestation de serment à Kinshasa, samedi 20 janvier. AP/ Guylain Kipoke.

Le président Felix Tshisekedi lors de sa cérémonie de prestation de serment à Kinshasa, samedi 20 janvier. AP/ Guylain Kipoke.

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80 000 places, dans le plus grand stade de Kinshasa avec une vingtaine de chefs d’État invités : en RDC, le président Félix Tshisekedi a vu les choses en grand pour son investiture le 20 janvier. Il a été réélu pour un second mandat avec plus de 73% des voix au terme d’un scrutin largement contesté, fin décembre.

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« Cette cérémonie est un processus de légitimation, commente Bob Kabamba, politologue à l'Université de Liège, en Belgique. Le côté grandiose doit montrer l’adhésion de la population, pour compenser les contestations. » « Dans l’imaginaire de Kinshasa, remplir le stade, c’est montrer l’adhésion populaire. Et recevoir 50 pays prouve qu’il bénéficie de la légitimité internationale », complète Christian Moleka, analyste politique, coordinateur de la Dypol, la dynamique des politologues de la RDC.

Pour Félicien Kabamba, chercheur en sciences politiques pour la fondation allemande KAS, il s’agit aussi d’une réponse aux reproches faits pendant son premier mandat. « Il a été très critiqué sur le résultat de sa politique diplomatique, mais il peut aujourd’hui s’en prévaloir. Les chefs de gouvernement ou d’État avec qui il a noué des relations lui renvoient l’ascenseur. C’est la première fois qu’on organise une telle cérémonie, avec une participation aussi massive, comme signe que le pays est ouvert à l’extérieur. »

Maintenant que la cérémonie est passé, c’est le moment de faire le point. Quels enjeux politiques, diplomatiques, économiques pour ce second mandat lancé en grande pompe ?  

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Conflit à l’est : priorité à la sécurité

Les trois chercheurs s’accordent pour considérer la question sécuritaire comme l’enjeu principal de ce second mandat.

Entre 2018 et 2023, Félix Tshisekedi a échoué à obtenir le résultat promis, c’est-à-dire la pacification du pays. Le conflit, qui lui était largement antérieur, s’est même aggravé et étendu dans certaines régions congolaises. L’offensive du Mouvement du 23 mars dans le Nord-Kivu a notamment repris durant sa présidence, en novembre 2021. Le nombre de déplacés internes dans le pays a atteint 6,9 millions en octobre 2023, selon l’Organisation internationale des migrations : un nombre record.

L’Est a aussi été particulièrement touché par les problèmes logistiques qui ont perturbé ces élections : des bureaux de vote n’ont pas ouverts, des Congolais, en particulier déplacés, n’ont pas pu voter, etc.

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« La sécurité est l’enjeu prioritaire. Des groupes armés sèment la terreur, contrôlent certaines proportions sans que Kinshasa puisse intervenir. Cela ne concerne pas que l’Est, il y en a aussi par exemple à Mai-Ndombe(province de l’ouest du pays, NDLR), rappelle Bob Kabamba. Il n’est pas arrivé à les arrêter pendant son premier mandat, donc je doute que ce soit résolu pendant le deuxième. »

« Il ne veut pas du processus de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR, programme de l'ONU pour promouvoir la paix, NDLR), suggéré par l’ONU et d’autres partenaires du Congo, poursuit le politologue. En septembre 2023, le président a aussi demandé un retrait « accéléré » des Casques bleus onusiens, qui n’ont « pas réussi à faire face » aux groupes armés, selon lui.

Je vois mal comment on pourrait arriver à une normalisation avec le Rwanda après ce type de déclarations.
Bob Kabamba, politologue à l'Université de Liège.

« Il a opté pour l’option militaire, mais pour ça il faut les moyens, Or, l’armée n’est pas en mesure d’éradiquer ce phénomène. Il faut d’abord travailler en interne pour avoir une armée républicaine, et que l’État reprenne le contrôle et la gestion effectives des zones où il est aujourd’hui absent. »

Félicien Kabamba pointe toutefois les initiatives déjà prises par le président, comme le recrutement massif des jeunes, ou l’augmentation du budget de la défense. « Pour l’instant, les résultats n’ont pas été la hauteur des attentes et des moyens mis en place. Mais s’il continue à former et équiper l’armée, il peut la faire monter en puissance. Il est très attendu sur ce volet »

L’avenir de l’état de siège, déclaré en mai 2021 dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, et décrié par l’opposition et des ONG comme Amnesty International, devra aussi être décidé durant ce mandat.

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Relations toujours tendues avec le voisin rwandais

La guerre dans l’est du pays se répercute violemment sur les relations de la RDC avec ses voisins. Félix Tshisekedi accuse le Rwanda de soutenir les rebelles du M23, ce que des experts de l’ONU ont documenté l’année dernière. Pendant la campagne électorale, le président a même comparé son homologue rwandais, Paul Kagame, à Adolf Hitler. Kigali dément toute implication.

 « Je vois mal comment on pourrait arriver à une normalisation avec le Rwanda après ce type de déclarations. Il va finir par réagir à ces menaces, et les pays voisins vont continuer à s’impliquer dans la politique congolaise », commente Bob Kabamba. Christian Moleka ajoute : « Aujourd’hui, les tensions sont vives, d’autant plus après les violents discours de campagne. La solution diplomatique, que les États-Unis tentent de relancer, est quelque peu refroidie (Washington prône la désesclalade, notamment en demandant le retrait des troupes à la frontière commune, NDLR). Les marges se réduisent ; certains pensent que nous allons vers une solution militaire. »

 Il faut diversifier l’économie, et Félix Tshisekedi voudrait que l’agriculture prenne le premier rang. On attend donc de voir comment il va valoriser ce secteur. 
Félicien Kabamba, chercheur en sciences politiques.

Améliorer les conditions socio-économiques des Congolais

En dehors de la problématique sécuritaire, l’autre question prioritaire pour les Congolais a trait à la situation socio-économique du pays. L’inflation à deux chiffres et la dévaluation du franc congolais se répercutent sur la population, entre pauvreté et baisse du pouvoir d’achat.

Bob Kabamba est pessimiste à ce sujet : « Les dynamiques risquent de ne pas changer, et on doit craindre que la situation ne s’améliore pas, voire se détériore. Les mêmes paramètres sont toujours là, sur lesquels le président n’a pas beaucoup de prise. » Il pointe notamment les fluctuations sur le marché international de l’énergie, la mainmise de la Chine sur le secteur minier ou le manque d’investissements étrangers dans d’autres domaines. En effet, selon des chiffres de l’ambassade française à Kinshasa, « 80 % des exportations congolaises du secteur minier sont à destination de la Chine », et les entreprises chinoises concentrent 70 à 80 % du marché du cuivre et du cobalt.

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Un secteur incontournable pour le pays : la RDC produit les deux tiers du cobalt mondial, utilisé pour les batteries de téléphone ou de voitures électriques. Félix Tshisekedi a pour ambition de mieux « garantir les intérêts » de la RDC dans ces partenariats chino-congolais. « Il peut y avoir de bonnes volontés, mais les moyens pour mettre ces politiques en place sont limités, et les marges de manœuvre très étroites. Les institutions internationales ne sont pas dans une dynamique d’aider à financer ces projets (sans contre-parties, NDLR) », nuance Bob Kabamba.

Pour contrebalancer cette prédominance du secteur minier, Félicien Kabamba cite le slogan du président : « il est temps que le sol prenne sa revanche sur le sous-sol ». « L’économie est restée tirée par le secteur minier, qui approvisionne en grande partie l’État. Il faut diversifier l’économie. Félix Tshisekedi voudrait que l’agriculture prenne le premier rang. On attend de voir comment il va valoriser ce secteur. » L’objectif est aussi d’aider la RDC à atteindre l’autosuffisance alimentaire, dans un pays qui dépend beaucoup des importations. 

Le président a promis de créer 6, 4 millions d’emplois d’ici 2028, dont 1,6 dans l’agriculture et les services. Il devra ainsi s’attaquer au chômage endémique de la jeunesse.

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Le chantier délicat de l’enseignement

Félix Tshisekedi doit par ailleurs poursuivre les chantiers entamés pendant son premier mandat, comme celui de la gratuité de l’enseignement primaire. Depuis 2019, il œuvre pour rendre effective sur tout le territoire cette mesure présente dans la Constitution de 2006. Le président a promis de s’attaquer à l’enseignement secondaire pendant son second mandat. Mais la question du primaire est déjà loin d’être réglée.

« Le niveau d’éducation a reculé, au lieu d’aller vers une amélioration. Les enseignants sont mal payés, ils ont 60 élèves en classe, ce qui a bien sûr un impact sur la qualité », décrit Bob Kabamba.

« Comment associer la volonté de l’éducation pour tous à la qualité de l’enseignement ? interroge Christian Moleka. La grande question, c’est le financement. Comment finance-t-on des projets aussi importants ? C’est un défi énorme pour le pays, qui est en guerre et dont on connaît les faibles marges de manœuvre financières.»

Félicien Kabamba mentionne un dernier chantier économique auquel le président devra s’attaquer : celui des infrastructures, en particulier routières. « Il faut qu’il en fasse l’un de ses chantiers principaux, sinon son mandat ne sera pas vraiment couronné de succès, insiste le politologue. Le réseau routier n’existe presque pas, il faut prendre l’avion pour se déplacer dans certaines régions, ce qui n’est pas à la portée de tout Congolais. C’est ce qui permettra l’intégration du pays. »

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Ressouder les communautés du pays

Le troisième grand enjeu de ce mandat sera la cohésion nationale, après une campagne marquée par des discours violents de divisions, au point de « préoccuper » l’ONU.

« On sort d’une campagne qui a exacerbé les tensions ethniques, le repli identitaire. Comment ressouder le tissu social ? Quelles initiatives pour renforcer la cohésion ? Ce sera l’un des défis importants que Félix Tshisekedi va rencontrer, annonce Christian Moleka. Il est très probable que les frustrations du processus électoral favorisent ces divisions. »

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« La cohésion est une question capitale, on a bien vu que le pays était divisé, abonde Félicien Kabamba. Des régions comme le Grand Katanga (composé aujourd’hui des provinces de Tanganyika, Haut-Lomami, Lualaba et Haut-Katanga, NDLR) se sentent muselés dans leurs choix électoraux. On va voir comment le chef de l’État va gérer cette question, y compris avec les électeurs qui n’ont pas voté pour lui. » L’équilibre dans son gouvernement à venir, notamment en termes de communautés et d’appartenances régionales, participera à répondre à cette interrogation.

De son côté, Bob Kabamba s’inquiète. « Le système congolais, tel qu’il existe, doit permettre une représentation équilibrée des communautés. Là, une communauté, celle du président (originaire du Kasaï, NDLR), a une place beaucoup plus grande. Cela pose un véritable problème. Si d’autres groupes se sentent lésés, ils peuvent se retrouver à revendiquer leur représentation d’une manière ou d’une autre, jusqu’au niveau armé. Cela pourra certainement alimenter des centres de violences communautaires. »

Le président a beaucoup plus de pouvoir qu’auparavant. Il y a donc un risque de retomber dans une forme d’autoritarisme républicain.
Christian Moleka, analyste, coordinateur de la Dypol, la dynamique des politologues de la RDC.

Quel impact sur le mandat pour les contestations du scrutin ?

Bob Kabamba estime aussi que les critiques sur le processus électoral, les accusations de fraude et les recours peuvent affaiblir la légitimité du président. « Félix Tshisekedi a été élu au terme d’un processus non transparent, pas équitable, dénoncé par les observateurs extérieurs. Il va devoir tirer ce boulet pendant cinq ans. Il doit s’atteler maintenant à résoudre cette question de la légitimité, au niveau régional et international. Sinon il risque l’isolement. »

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Si l’opposition a porté ses contestations jusqu’à la Cour constitutionnelle congolaise, le chercheur souligne que les critiques vont jusqu’à la propre famille politique du camp présidentiel, ainsi qu’au sein de la société civile. La mission d'observation électorale des Églises catholique et protestante a par exemple constaté « de nombreux cas d'irrégularités ». L'archevêque de Kinshasa a même qualifié les élections de « gigantesque désordre organisé ».

Pour Félicien Kabamba, ces critiques risquent toutefois d’avoir un impact limité, puisque l’opposition est trop « divisée, dispersée et faible » pour mobiliser. Christian Moleka confirme : « Pour l’instant, l’opposition ne semble pas disposer de cette marge. Si elle ne parvient pas à créer un rapport de force, cela passera aux oubliettes d’ici quelques mois. »

« On n’a jamais assisté à une telle minorisation de l’opposition »

La faiblesse de l’opposition, et donc la prédominance du camp présidentiel : c’est le dernier aspect important qui pourrait marquer ce second mandat. Selon un décompte de l’analyste Trésor Kibangula à l’AFP, l'opposition cumule seulement « une trentaine de sièges sur les 477 attribués » à l’Assemblée.

« Que voulez-vous avoir comme dynamique d’opposition dans une telle Assemblée ? questionne Bob Kabamba, qui craint un régime autocratique. Le système politique congolais doit normalement permettre l’équilibre, mais il va être en difficulté, puisque si un camp contrôle tous les centres de pouvoir, y compris législatif, on se trouve non plus dans un régime semi-présidentiel comme le prévoit les textes, mais dans un régime présidentiel. »

« Depuis 2006 (début de la troisième République en RDC, NDLR), on n’a jamais assisté à une telle minorisation de l’opposition et un tel contrôle institutionnel d’une seule famille politique, approuve Christian Moleka. Le président a beaucoup plus de pouvoir qu’auparavant, il y a donc bien un risque de retomber dans une forme d’autoritarisme républicain. Il pourrait par exemple faire changer la Constitution pour pouvoir se présenter pour un troisième mandat. Ce sera un enjeu important à suivre pour l’avenir de la démocratie dans notre pays. »

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C’est d’ailleurs l’une des différences majeures entre le début de ce second mandat, et le premier, fin 2018-début 2019, lorsque le Front commun pour le Congo (FCC) du président Joseph Kabila incarnait une force d’opposition majoritaire au Parlement face à Félix Tshisekedi.

« Il était plus faible en 2018, il devait négocier. Là, il commence son mandat avec un plein contrôle des institutions de la République, il a les mains libres pour sa politique. C’est quelqu’un de très volontariste, qui promet beaucoup. On attend de voir si ça va se concrétiser », décrit Chistian. « Cette fois, on pourra voir le véritable Félix Tshisekedi », conclut Félicien Kabamba.