Fil d'Ariane
Philippe, le roi des Belges, va se rendre en République démocratique du Congo, sur l’invitation du président congolais Felix Tshisekedi. Le monarque va notamment poursuivre le travail de mémoire sur la période coloniale. Selon la journaliste belge Colette Braeckman, la monarchie belge doit composer avec ce passé omniprésent dans les esprits en Belgique comme en RDC. Entretien.
Le roi Philippe aux côtés de la reine Mathilde lors des commémorations de la Seconde guerre mondiale en 2019. Bastogne, Belgique - 16 décembre 2019.
C’est une première historique. Le roi de Belgique Philippe sera en visite officielle en RDC dès la semaine prochaine. Couronné en 2013, le monarque ne s’est jamais rendu dans l’ancienne colonie belge, devenue un territoire autonome et indépendant le 30 juin 1960.
Invité par le président congolais Félix Tshisekedi, le souverain doit s’atteler à plusieurs chantiers. Entre le devoir de mémoire coloniale, les réparations financières accordées aux afrodescendants installés en Belgique et la volonté de mieux inclure les diasporas africaines dans le royaume, les enjeux de cette visite sont nombreux. Entretien avec la journaliste belge Colette Braeckman (ancienne grande reporter au Soir), spécialiste de l’Afrique centrale et auteure de plusieurs ouvrages sur les violences au Rwanda et l'histoire de la RDC.
RDC : visite du roi des Belges Philippe pour apaiser les tensions
TV5MONDE : Quels sont les enjeux de cette visite ?
C.B : C’est une visite importante parce que c’est une première. ça fait dix ans que le roi Philippe règne et il ne s’est jamais rendu au Congo. Le roi des Belges a courageusement reconnu les erreurs commises pendant la colonisation. Il y a une volonté d’aller vers l’apaisement. Cette visite peut avoir de nombreuses répercussions en Belgique.
TV5MONDE : Quel impact peut avoir en Belgique le déplacement du roi à Kinshasa ?
C.B : Cette visite est aussi une réponse aux mouvements des diasporas qui se sont mobilisées après l’assassinat de George Floyd aux États-Unis. En Belgique, le mouvement Black Lives Matter a été très suivi par les jeunes générations afrodescendantes. Il y a eu une remise en cause du passé colonial en Belgique, l’émergence d’un mouvement pour renommer les rues qui portent le nom de figures esclavagistes, faire tomber leurs statues…
TV5MONDE : Dans quel contexte le roi des Belges va-t-il arriver ?
C.B : Le roi Philippe se rend en RDC quelques mois avant les élections présidentielles. C'est un assez bon moment pour s'y rendre. Il ne pouvait pas y aller plus tard parce que le scrutin va se tenir et ça pourrait être mal vu : il ne doit pas être accusé de peser ou de vouloir influer sur le scrutin. Globalement, la monarchie belge est encore très populaire au Congo. Il n’y a pas de doute que le monarque sera très bien accueilli mardi.
TV5MONDE : En sera-t-il de même en RDC ?
C.B : Le roi Philippe doit prononcer un discours devant le parlement congolais. Il va aussi s'entretenir avec des étudiants congolais. Durant ses discours, il va notamment parler de la restitution des œuvres d’art congolais qui sont toujours en Belgique. Lors de cette visite il doit aussi ramener un masque. Mais selon moi les populations congolaises ont vraiment d’autres préoccupations actuellement. Il y a la guerre civile, la crise économique, la corruption...
C.B : Oui. Elles sont encore victimes du racisme ordinaire. Les relations actuelles entre les communautés afrodescendantes et certaines communautés sont marquées par des comportements déplaisants. L’accès au territoire leur est parfois interdit. Il y a des footballeurs noirs qui jouent pour des équipes nationales belges sont victimes de racisme pendant des matchs, ils se font huer, insulter.
TV5MONDE : Avec la guerre en Ukraine, l’accueil jugé plus favorable des réfugiés ukrainiens en Belgique a aussi été décrié.
C.B : Tout à fait. On a bien vu l’élan de solidarité en Belgique et dans toute l’Europe pour accueillir les familles ukrainiennes. Alors même que des réfugiés africains étaient reconduits à la frontière dans des conditions très dures. Ça ne passe pas, ici. En Belgique, certains dénoncent un “racisme ordinaire” envers les personnes noires. On peut espérer que la visite du roi des Belges en RDC pourra faire évoluer les mentalités. L’exemple doit venir d’en haut.
TV5MONDE : Certains militent pour obtenir des réparations. Le gouvernement belge y travaille. Où en est-on ?
C.B : La Belgique est très ouverte à ces questions. Le débat sur les réparations est ouvert depuis très longtemps, depuis plusieurs années. Mais le chemin est encore long. Pour l’instant le ministre socialiste réfléchit, mène des études au cas par cas. Plus récemment, il a aussi facilité l'accès aux archives coloniales. Tous les descendants de la colonisation peuvent les consulter aujourd'hui. Parmi eux, certains sont métisses et n’ont pas été reconnus par leur parent colon. Ils n’avaient jamais pu y accéder. C’est une véritable avancée.
TV5MONDE : Plus largement, quelle est la place accordée aux problématiques liées à la décolonisation dans la politique belge ?
C.B : En plus de la famille royale, la classe politique belge dans son ensemble s’est emparée de ces questions-là. Notamment à gauche. Le PS belge, les écolos ont bien compris que ces questions étaient au cœur des préoccupations de leur électorat. Je pense que tous les partis ont compris qu’il y avait des voix à gagner lors des élections, qu’il y a une véritable opportunité politique. Alors toute l’opinion de gauche élargie à l’opposition s’en empare.
TV5MONDE : La période coloniale et décoloniale est enseignée depuis peu en Belgique. Qu’en disent les jeunes générations afrodescendantes ?
C.B : Après 1960, date de l’indépendance du Congo belge, on n'a pas enseigné la colonisation à l’école. Maintenant c’est le cas mais on en est encore aux balbutiements. C’est loin d’être exhaustif et ça ne fait que deux ou trois ans seulement que ça a été mis en plus. Les jeunes générations veulent en savoir plus. Aujourd'hui la diaspora multiculturelle de Belgique demande plus de reconnaissance et de considération. Il faut l’écouter.
C.B : Encore une fois, je pense que l’exemple doit venir d’en haut. Forcément cette visite peut être bénéfique aux jeunes générations afrodescendantes belges qui s’emparent des questions de la décolonisation.