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Après une brève accalmie, les combats ont repris, dimanche 20 novembre, dans plusieurs localités du nord-est de la RDC. Les rebelles du M23 ont ainsi revendiqué plusieurs attaques simultanées dans plusieurs villages près de Goma, brisant ainsi les espoirs suscités par différents appels à un cessez-le-feu.
20 novembre, la date est hautement symbolique. Ce jour-là, il y a 10 ans exactement, le M23 s’emparait de Goma qu’il avait occupée pendant une dizaine de jours avant de se retirer et d'être vaincu l'année suivante. 10 ans plus tard, l’histoire se répète, les rebelles sont de nouveau aux portes de la capitale provinciale du Nord-Kivu. Pour autant, la situation n'est pas tout à fait la même, comme le précise Christophe Rigaud, journaliste et directeur du site d'information "Afrikarabia", consacré à l’actualité en RDC. "Selon moi, il paraît peu probable, à la fois diplomatiquement et politiquement que le M23 parvienne à prendre Goma. Il s'agissait, il y a dix ans, d'une prise par surprise, or cette fois, l’armée congolaise est beaucoup plus organisée. Surtout il y a 200 soldtats kényans de la Force régionale qui sont arrivés à Goma et 700 autres doivent suivre". Il ajoute : "Je ne pense pas que ce soit dans l'intérêt du M23 de prendre Goma. Le M23 se retrouvera dans une situation un petit peu plus délicate qu'il y a 10 ans en prenant la capitale régionale alors que tous les pays voisins et toute la communauté internationale demandent instamment de faire en sorte qu'il se retire de ses positions et arrête de combattre".
Ancienne rébellion tutsi, le M23 a repris les armes en fin d'année dernière, en reprochant à Kinshasa de ne pas avoir respecté des engagements sur la démobilisation et la réinsertion de ses combattants.
Depuis, les rebelles se sont emparés de larges portions d'un territoire au nord de Goma, frontalier de l'Ouganda et du Rwanda, et s'affrontent depuis plusieurs jours à l'armée congolaise à une vingtaine de kilomètres au nord de la ville. Des combats ont aussi lieu plus au nord-est dans le même territoire, vers l'Ouganda, ainsi qu'à l'ouest, en direction du territoire voisin de Masisi.
La résurgence du M23 a provoqué un regain de tensions entre la RDC et le Rwanda.
Kinshasa accuse le Rwanda d'apporter au M23 un soutien que des experts de l'ONU et des responsables américains ont également pointé ces derniers mois. Kigali conteste, en accusant en retour Kinshasa de collusion avec les FDLR, des rebelles hutu rwandais implantés en RDC depuis le génocide des Tutsi en 1994 au Rwanda.
Pour surmonter cette crise, plusieurs initiatives diplomatiques ont été lancées. Par le Kenya notamment. Le président kenyan, William Ruto, s’est en effet rendu à Kinshasa pour une courte visite. A cette occasion, il s’est entretenu, ce lundi 21 novembre, avec son homologue congolais Félix Tshisekedi. Entretien durant lequel il a évidemment été question de la situation sécuritaire en République démocratique du Congo.
"Le Kenya réaffirme son appui au rétablissement de la paix et de la stabilité durable dans l'est de la République démocratique du Congo et dans l'ensemble de la région. Sans paix, aucun pays ou individu ne peut avoir l'espace nécessaire pour prospérer", a écrit William Ruto sur son compte Twitter.
Kenya reaffirms its support to restoring peace and sustainable stability in the Eastern Democratic Republic of the Congo and the region at large. Without peace, no country or individual can have the space to prosper. pic.twitter.com/i7XNXpu3V9
— William Samoei Ruto, PhD (@WilliamsRuto) November 21, 2022
Pour rétablir la paix, le président kényan a annoncé que la force régionale est-africaine en cours de déploiement dans l'est de la RDC avait pour mandat d'"imposer la paix" aux groupes armés récalcitrants. "Il y a beaucoup de troupes de maintien de la paix" dans cette région, mais "nous pensons qu'il n'y a pas beaucoup de paix à maintenir", a-t-il déclaré à la presse.
La Communauté des États d'Afrique de l'Est (EAC) a en effet décidé le déploiement d’une force régionale pour tenter de ramener la paix dans l'est du pays. Elle avait également annoncé, sur Twitter, que des pourparlers de paix pourraient débuter ce lundi 21 novembre à Nairobi, au Kenya mais ils ont été repoussés "sine die", selon le site d’information "Afrikarabia". Selon d'autres sources, ces pourparlers devraient finalement débuter ce dimanche 27 novembre.
#RDC #M23 Le dialogue de #Nairobi qui devait s'ouvrir ce lundi entre les groupes armés et le gvt congolais est reporté sine die. La réunion #Thsiskedi #Kagame à #Luanda prévue également ce lundi est repoussée à jeudi. Les combats se poursuivent,autour de #Kibumba et #Tongo. pic.twitter.com/PYGJb30Gyo
— Christophe RIGAUD (@afrikarabia) November 21, 2022
Le Kenya devrait contribuer à cette force à hauteur de 900 hommes, dont les premiers sont arrivés à Goma, où se situe le quartier général de la force. "Les chefs d'État (des sept pays de l'EAC : Burundi, Kenya, Rwanda, Tanzanie, Soudan du Sud, Ouganda et RDC, ndlr) se sont mis d'accord sur le mandat de cette force régionale, qui a été communiqué au Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine, ainsi qu'au Conseil de sécurité des Nations Unies", a expliqué le président kényan William Ruto.
Outre des militaires kényans, cette force doit comprendre des soldats burundais (déjà présents dans la province du Sud-Kivu, ndlr), des Sud-Soudanais et des Ougandais. Des militaires ougandais combattent par ailleurs depuis un an aux côtés de l'armée congolaise contre les rebelles ADF (Forces démocratiques alliées) dans le nord du Nord-Kivu et en Ituri.
L’effectif total de cette force multinationale n'a pas été précisé, selon l'AFP.
Trésor Kibangula, lui, reste prudent : "On ne comprend pas bien le plan d'action de cette force", nuance-t-il. "Lorsque l’on parle avec des diplomates est-africains, des personnes qui suivent la situation de très près, les troupes kényanes n’ont pas pour mission de venir se battre contre le M23 mais plutôt d'être une pression diplomatique sur Kigali et sur le M23 pour reprendre des territoires (...). D’un côté, il y a beaucoup d’espoir de Kinshasa mais de l'autre, le plan d’action de la Force régionale reste très flou", conclut cet analyste politique.
Christophe Rigaud aussi préfère rester prudent : "William Ruto a parlé d'imposition de la paix. Est-ce que cela veut dire que les Kényans iront au combat affronter le M23 ?Honnêtement nous pouvons en douter. Le risque, est que cette force régionale se retrouve dans la même situation que la Monusco, c'est-à-dire, qu'elle devienne une sorte de force-tampon qui aboutirait à une sorte de statu-quo militaire dans la région où toutes les forces resteraient en présence et où il n'y aurait ni gagnant ni perdant. Cela viendrait figer une situation sécuritaire chaotique qui dure depuis 30 ans et qui ne fait pas les affaires de la population sur place". "Le deuxième risque", ajoute-t-il, "est celui d'une surmilitarisation de la région. Cette force régionale vient déjà se superposer à la présence des Casques Bleus, il y a également les forces ougandaises qui sont présentes dans l'est pour combattre les ADF depuis plus d'un an. Il y a aussi les forces burundaises au Sud-Kivu. Nous nous retrouvons ainsi avec une surmilitarisation de la région mais rien ne dit qu'elle réussisse à imposer la paix".
Cette visite de William Ruto fait suite à celle de son prédécesseur, l’ex-président Uhuru Kenyatta aujourd’hui facilitateur de la Communauté des États d’Afrique de l’Est (EAC) pour la RDC. Lui était en visite la semaine dernière à Kinshasa puis à Goma. Depuis la capitale congolaise, il avait appelé les groupes armés à "déposer les armes".
Uhuru Kenyatta avait alors indiqué que son homologue rwandais Paul Kagame s'était joint à ces appels. "C'est un nouveau pas de franchi", constate Trésor Kibangula. "Kigali a toujours dit que le M23 était une affaire congolaise et démenti son soutien, il y a donc là une sorte d’aveu. C’est comme si le président rwandais reconnaissait une certaine influence sur les hommes du M23. Cela montre également à Kinshasa qu’un geste de bonne foi est fait : "Je peux demander au M23 de se retirer". En contrepartie, Kigali attend que Kinshasa fasse aussi un geste de bonne foi et accepte de discuter avec les rebelles du M23, ce que, pour l’instant, elle refuse. Or, si Kinshasa continue de refuser de discuter avec le M23, je ne suis pas sûr que l'ordre de Kigali parviendra aux hommes du M23 qui, d'ailleurs, continuent à mettre la pression autour de Goma".
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Parallèlement à cela, le président angolais João Lourenço également président la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), a lui aussi rencontré, le vendredi 11 novembre à Kigali son homologue rwandais Paul Kagame, puis le lendemain à Kinshasa le chef d’État congolais Félix Tshisekedi. João Lourenço souhaite également une nouvelle rencontre entre les présidents congolais et rwandais jeudi 24 novembre à Luanda, en Angola. "Les pourparlers de Nairobi excluent le M23. Ils sont destinés aux autres groupes armés [selon son Baromètre sécuritaire, Ebuteli a dénombré plus de 120 groupes armés à l’est de la RDC, ndlr]. Le processus de Nairobi est destiné à ce que ces groupes armés déposent les armes et puissent intégrer le nouveau programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et réinsertion. Cependant, ce processus a été court-circuité par la résurgence du M23 et Kinshasa refuse d’intégrer le M23 dans ces pourparlers. Le processus de Luanda qui fait se rencontrer Kagamé et Tshisekedi, est un processus parallèle qui, lui, concerne le M23 et participe ainsi à la pacification de l’est", explique Trésor Kibangula.
"On voit bien que chacun essaye de gagner du temps pour arriver en position de force aux négociations", explique Christophe Rigaud au sujet des pourparlers et de la rencontre à Luanda qui on été décalés. "Nous sommes dans un statu quo, une sorte d'impasse en attendant qu'il se passe quelque chose militairement".
Joint statement from the United States and the Great Lakes Special Envoys of Belgium, France and the UK:@StateDept; @BelgiumMFA; @francediplo_EN; @DFID_UK; @icglr1; @MONUSCO; @_AfricanUnion; @SADC_News; @AuloBurundi; @UNDPPA pic.twitter.com/p9B8Ymj3O7
— UN Great Lakes (@un_greatlakes) November 21, 2022
Ils appellent les parties à participer à une nouvelle session de pourparlers de paix prévus à Nairobi.
"La communauté internationale est d'une manière générale plutôt timide sur ce conflit. Elle pousse au dialogue que ce soit à Nairobi ou à Luanda, en revanche, ce sont les voisins régionaux qui prennent les affaires en main militairement", contaste le journaliste Christophe Rigaud qui nuance toutefois, "de nombreuses forces régionales sont déjà présentes sur place, pour autant, les résultats ne sont pas très concrets. Si on prend l'exemple des forces ougandaises déployées en RDC pour combattre les ADF, après un an de présence, les ADF sont toujours là et ils massacrent toujours. Il n'y a pas eu de résultats probants. (...) On se focalise beaucoup sur le M23 mais ce n'est pas le groupe armé le plus meurtrier. Nous sommes dans une sorte de capharnaüm sécuritaire, il est donc vraiment difficile de savoir si l'arrivée de cette force régionale va réussir à faire quelque chose de positif. Sur place les Congolais doutent d'ailleurs de cette force parce-qu'ils se rendent bien compte qu'ils n'iront pas directement au combat contre le M23. Nous sommes dans une sorte d'impasse, une impasse militaire et une impasse diplomatique", conclut-il.
Un rapport confidentiel de l'ONU, consulté en août par l'AFP, pointe par ailleurs une implication du Rwanda auprès du M23. Des dirigeants américains ont aussi évoqué une aide de l'armée rwandaise au M23.
Selon l'ONU, les récents combats ont provoqué le déplacement de 188.000 personnes.
Les Casques bleus des Nations Unies sont présents depuis fin 1999 en RDC mais de nombreux Congolais leur reprochent de ne pas avoir su mettre fin aux violences des groupes armés, en dépit des gros moyens engagés. La force de l'ONU dans le pays (Monusco) compte actuellement quelque 18.000 personnes, dont 16.000 militaires.