
Fil d'Ariane
À Washington, un avant-projet d’accord de paix entre la République démocratique du Congo et le Rwanda est en discussion depuis vendredi 2 mai 2025. Une tentative diplomatique majeure pour mettre fin à deux ans et demi d’escalade militaire dans l’est du Congo, sur fond d’enjeux régionaux et économiques.
Le secrétaire d’État Marco Rubio accueille une cérémonie de signature d’une Déclaration de principes avec la ministre des Affaires étrangères de la République démocratique du Congo, Thérèse Kayikwamba Wagner (à gauche), et le ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Olivier Nduhungirehe (à droite), le vendredi 25 avril 2025, au Département d’État à Washington.
Ce n’est pas encore la paix, mais est-ce le début d’un tournant ? Ce 2 mai 2025, les chefs de la diplomatie congolaise et rwandaise ont été réunis à Washington autour des États-Unis, du Qatar, de la France et de l’Union africaine pour examiner un avant-projet d’accord. "Ce n’est pas une nouvelle tentative, c’est une consolidation de la stratégie américaine dans la région, estime Bob Kabamba, politologue à l'Université de Liège, spécialiste du Congo contemporain. Le Rwanda est un partenaire-clé de Washington, à la fois pour les questions de sécurité et pour les minerais stratégiques." Kigali est l'une des premières places exportatrices des minerais stratégiques au monde, comparable à une ville comme Dubaï.
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Le texte s’appuie sur une "déclaration de principes" signée une semaine plus tôt et entend poser les bases d’un cessez-le-feu durable entre Kinshasa et Kigali.
Depuis fin 2021, le mouvement rebelle du M23, appuyé selon l’ONU par le Rwanda, a repris les armes dans l’est de la RD Congo. En 2025, les combats ont culminé avec la chute de Goma et de Bukavu aux mains des rebelles. Près d’un million de personnes ont fui les violences. Kinshasa accuse Kigali d’avoir envoyé des milliers de soldats en renfort du M23.
Le Rwanda nie toute implication directe, et affirme que sa seule préoccupation est la présence, dans l’est congolais, des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), une milice hutu hostile composée notamment d’anciens responsables du génocide de 1994. "Le statu quo actuel ne profite ni aux rebelles, ni au Rwanda. Mais pour les Américains, il est inacceptable de travailler avec des groupes armés qui contrôlent des zones riches en minerais", ajoute Bob Kabamba. "Un changement de rapport de force est donc inévitable".
Le projet d’accord présenté à Washington prévoit plusieurs engagements structurants : un cessez-le-feu immédiat, le retrait des troupes rwandaises du sol congolais, la fin des soutiens aux groupes armés, et un processus de désarmement des milices. Kinshasa s’engagerait de son côté à neutraliser les FDLR. Sur le terrain, une force neutre d’interposition est à l’étude pour sécuriser les zones reprises.
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Au-delà de l’aspect militaire, le texte contient un volet humanitaire, avec l’objectif de faciliter le retour des déplacés, dont le nombre dépasse désormais les 700 000 rien que dans le Nord-Kivu. Les médiateurs insistent : sans trêve, impossible d’acheminer l’aide aux populations.
Un troisième pilier, plus discret, accompagne les négociations : l’économie. Washington pousse à un accord qui permettrait à ses entreprises d’accéder plus facilement aux minerais critiques du Congo (cobalt, lithium, coltan). "Alphamine, une entreprise installée à Walikale, produit 6 % de l’étain mondial", rappelle Bob Kabamba. "Quand le M23 a pris le contrôle de la zone, les cours ont grimpé en bourse. Ça montre à quel point ce site est stratégique pour les États-Unis."
Kigali, qui abrite déjà des raffineries, y voit l’opportunité de devenir un hub régional. "Alphamine est liée à des cercles proches de Donald Trump. Il y a donc une volonté claire de protéger cet investissement en stabilisant la région", souligne Bob Kabamba. En cas de paix, les deux pays pourraient bénéficier d’investissements massifs dans des projets d’extraction, d’infrastructures et d’énergie.
Le processus lancé par les États-Unis s’appuie sur les précédentes initiatives africaines (Luanda, Nairobi, Doha) sans les effacer. L’Angola et la Communauté d’Afrique de l’Est avaient jusqu’ici tenté, sans succès, d’imposer un cessez-le-feu. Cette fois, Washington a pris les devants, en incluant des acteurs jugés plus influents : le Qatar, qui avait réuni Kagame et Tshisekedi en mars, et la France, présente dans le comité de suivi.
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Le pari est simple : maintenir la pression internationale pour éviter une reprise des combats, tout en promettant des dividendes de paix aux deux capitales. Une prochaine réunion est prévue mi-mai, toujours à Washington, pour finaliser le texte. Si les parties tombent d’accord, une signature officielle pourrait intervenir dès le mois de juin à la Maison Blanche.
Mais sur le terrain, la réalité est moins optimiste. Les trêves précédentes ont volé en éclats, et les rebelles occupent encore des villes entières. À Kinshasa, le gouvernement réclame des gestes concrets du Rwanda avant d’envisager une normalisation. À Kigali, on salue une "opportunité historique", tout en niant toute présence militaire en RDC.
"Après la MONUC, la MONUSCO, les troupes étrangères, la SADC, l’EAC… je ne pense pas que les populations du Nord-Kivu croient encore en ces accords", estime Bob Kabamba.
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Personne ne se fait d’illusion : ce projet d’accord ne suffira pas à lui seul à faire taire les armes. Mais c’est peut-être la première fois que tous les acteurs – régionaux, continentaux et internationaux – se retrouvent autour d’un même texte. Une chance, fragile, mais réelle, d’entamer enfin la désescalade.