RDC : un processus électoral déjà contesté en vue de l'échéance de décembre 2023

Le 20 décembre prochain, dans six mois, la République Démocratique du Congo devrait élire un président, des députés nationaux et provinciaux, ainsi que des conseillers municipaux. Depuis plusieurs mois, la CENI, la Commission électorale nationale indépendante, prépare ces échéances. Mais certains dirigeants de l'opposition, tout comme une partie de la société civile et de l’Eglise, critiquent le fichier électoral et l’ensemble du processus en cours. Pourquoi une telle contestation ? Éléments de réponse.    

Image
Katumbi et Fayulu

A gauche, leader du parti « Ensemble pour la République », ex-allié du président Félix Antoine Tshisekedi, à droite, Martin Fayulu, chef de file du parti politique EciDé, Engagement pour la citoyenneté et le développement, tous les deux candidats déclarés à la présidentielle de décembre prochain. 

© AP Photo/Jerome Delay/Ariane Grosset
Partager 4 minutes de lecture

En décembre 2023, la République Démocratique du Congo va vivre un cycle électoral regroupant plusieurs scrutins : la présidentielle, les législatives nationales et provinciales, et les élections communales. Arrivé au pouvoir en janvier 2019, le président Félix Antoine Tshisekedi est candidat à sa succession. Mais dans l'opposition comme dans la société civile, les doutes et critiques s'accumulent. Au cours d’une conférence de presse qui s’est tenue à Kinshasa, ce lundi 19 juin, Martin Fayulu, arrivé deuxième lors de la dernière présidentielle et aujourd’hui chef de file du parti politique EciDé, Engagement pour la citoyenneté et le développement, a indiqué que le processus électoral en cours dans le pays est mal engagé.

Les critiques d’une partie de l’opposition

« Nous annonçons à l’opinion nationale et internationale que nous avons décidé de ne pas déposer les candidatures de nos membres à tous les niveaux des élections, tant que le fichier électoral, c’est-à-dire la liste des électeurs ne sera pas refaite dans la transparence et auditée par un cabinet extérieur compétent en la matière », a ainsi déclaré Martin Fayulu.

Tweet URL

 

Afin de corriger les erreurs du passé, il faut, selon lui, un minimum de consensus sur les principes et les règles du jeu susceptibles de conduire tous les acteurs concernés vers les élections "générales" (présidentielle, législatives nationales et provinciales, communales) prévues le 20 décembre prochain. D’après le chef de file du parti EciDé, « l’opération d’identification et d’enrôlement des électeurs s’est déroulée dans l’opacité la plus totale ». La preuve, à ses yeux, de la planification et de la probable mise en exécution d’une vaste opération de fraude.  

Des soupçons de fraude massive relayés également par Olivier Kamitatu, porte-parole de Moïse Katumbi, leader du parti « Ensemble pour la République », aujourd’hui candidat déclaré à la prochaine présidentielle, et qui, en fin d’année dernière a quitté l’Union sacrée, la coalition au pouvoir actuellement en RDC.

 

Tweet URL

 

« Il y a beaucoup de choses qui posent problème, nous a confié Olivier Kamitatu lors d’une interview téléphonique. Dès le départ, la CENI, au sein de laquelle nous ne sommes pas représentés du tout, a donné une cartographie des centres d’inscription qui était totalement déséquilibrée. Le plus grave c’est que finalement, l’audit du fichier électoral, qui aurait dû être réalisé par un organisme indépendant, l’a été par une poignée de personnalités choisies par la CENI. Nous avons considéré que là c’était la goutte d’eau qui faisait déborder le vase. C’était impossible de donner crédit à un audit qui n’était en fait que la validation du travail de la CENI, par la CENI. C’est une parodie d’audit qui a été réalisée. »

Comme le rapportent nos confrères de l'AFP, en mai dernier déjà, Moïse Katumbi, Martin Fayulu et deux autres leaders de l’opposition, l’ancien premier ministre (2012-2016) Augustin Matata Ponyo, fondateur du LGD, Leadership et gouvernance pour le développement, ainsi que le député Delly Sessanga, chef de file du parti ENVOL, Ensemble des volontaires pour le redressement de la RDC, étaient descendus dans la rue, à Kinshasa, pour dénoncer l’examen du projet de loi sur la répartition des sièges à l’Assemblée nationale.

D’après ces quatre leaders de l’opposition, cette loi devrait matérialiser la fraude électorale dont ils soupçonnent la mise en œuvre. « L’obstination du régime Tshisekedi de présenter la loi sur la répartition des sièges, sur la base de ce fichier corrompu, sans audit par un tiers de confiance, est une escalade dans la voie de la mise en œuvre du plan de fraude », affirmaient déjà les quatre opposants.

Les réponses de la CENI

Face à cette avalanche de critiques, Denis Kadima Kazadi, le président de la CENI, la Commission électorale nationale indépendante, que nous avons pu joindre au téléphone, affirme pour sa part que le fichier électoral issu du processus actuellement en cours dans le pays est « très crédible ».

La CENI

Les responsables de la Commission électorale indépendante congolaise (CENI) comptent les bulletins de vote, lors de la présidentielle de 2018, pour plus de 900 bureaux de vote, dans un centre local de compilation des résultats, à Kinshasa, au Congo, le vendredi 4 janvier 2019.

© AP Photo/Jérôme Delay

« Il y a une certaine opposition qui s’est radicalisée autour du fichier électoral, en le qualifiant de chaotique, de corrompu, , a souligné Denis Kadima Kazadi. Et d’après eux, le processus d’enrôlement lui-même était chaotique. Mais ils se contentent d’avancer ces qualificatifs. Il n’y a rien de solide dans leur argumentaire. Aucun élément sérieux ne vient confirmer ce qu’ils disent. Le processus d’enrôlement a connu des difficultés d’ordre technique et logistique. Mais tout au long du chemin, nous nous sommes rattrapés, nous avons développé la capacité de corriger toutes ces difficultés. »

Le président de la CENI en veut pour preuve les soupçons de fraude fondés notamment sur le projet de loi sur la répartition des sièges à l’Assemblée nationale : « Depuis que cette répartition a été publiée, ils n’en parlent plus, mais ils continuent à qualifier le fichier électoral de corrompu, sans apporter ne serait-ce qu’un début de preuve. »

Alors qu’une partie de l’opposition estime que la CENI ne leur inspire aucune confiance, son président, Denis Kadima Kazadi, soutient que l’institution a fait « un travail sérieux », malgré les difficultés, et qu’elle mérite « les éloges de l’opposition, de toute la classe politique et même de la société ». D’après le président de la CENI, l’opposition a fait le choix d’une contestation de principe. Ce qui, à ses yeux, ressort sans doute d’une stratégie délibérée.

Tweet URL

 

Aujourd’hui allié du président de la République Félix Antoine Tshisekedi et membre de la coalition au pouvoir, l’ancien ministre de la Communication deJospeh Kabila, Lambert Mende (2014-2019), considère également que la CENI a fait son travail. Selon lui, il ne s’agissait du reste que d’une « mise à jour du fichier duquel il fallait extirper les personnes décédées, et intégrer celles parvenues à l’âge adulte ».

« C’est un fichier qui a concerné des millions de personnes, dans un pays qui est perturbé par diverses poches d’insécurité, aussi bien près de la capitale qu’aux confins de l’Est du pays, aux frontières avec le Rwanda, où ont lieu des agressions récurrentes contre notre territoire, nous a-t-il confié. Au regard de toutes ces situations, la CENI a fait de son mieux pour enrôler entre 44 et 45 millions d’électeurs. Nous pensons qu’elle a fait de son mieux et que nous ne pouvons pas nous permettre de considérer que ceci peut remettre en cause la crédibilité du processus d’enrôlement des électeurs. »

Les critiques de l’Eglise et d’une partie de la société civile

Commencé en décembre de l’année dernière, le processus d’enrôlement des électeurs s’est achevé cette année courant avril. Et comme lors des précédents scrutins (2006, 2011 et 2018), au terme d’un premier nettoyage, la CENI souhaitait confier l’audit du fichier électoral à l’OIF, l’Organisation internationale de la francophonie. Cette dernière a malheureusement décliné l’offre, obligeant la CENI a recruté d’urgence cinq experts pour réaliser cet audit en cinq ou six jours.

Déplacés région de Goma

Les populations fuyant les combats entre les forces gouvernementales et les rebelles du M-23 se dirigent vers Goma, en République démocratique du Congo, le mardi 15 novembre 2022.

© AP Photo/Moses Sawasawa

C’est ce délai extrêmement court pour un fichier de plus de 47 millions d’électeurs enrôlés, que les leaders de l’opposition dénoncent, tout en exigeant que l’audit soit réalisé par un « cabinet internationalement réputé ». Une demande reprise par la Conférence épiscopale et l’Eglise du Christ au Congo, dans une synthèse de leur rapport d’observation des opérations électorales.

Pour Floribert Anzuluni, membre cofondateur du mouvement citoyen Filimbi, « le processus d'enrôlement a connu beaucoup de défis logistiques, et cela a renforcé la contestation. » Mais surtout, Floribert Anzuluni précise que les critiques à l’encontre du fichier électoral doivent être analysées dans le contexte plus large de la contestation du processus électoral dans son ensemble, par une partie de l’opposition, une partie de la société civile portée par l’église catholique (CENCO – Conférence épiscopale nationale du Congo), et l’église protestante. Une analyse que partage Bob Kabamba, professeur congolais de sciences politiques à l’université de Liège, en Belgique.

« Il faut regarder comment se sont faits l’identification et l’enrôlement des électeurs, nous a confié Bob Kabamba. Il y a plusieurs endroits où l’on n’a pas identifié les électeurs, et d’autres lieux où, du fait de l’insécurité, la CENI a été incapable d’y emmener des agents enrôleurs […] Quand on sait que les enrôlements n’ont pas été effectués partout, et qu’on procède quand même à la répartition des sièges sur la base de ce travail incomplet, eh bien la répartition des sièges est illégale. »

Tout au long de ce processus, à toutes les étapes, les gens ont contesté ce que la CENI a fait.

Trésor Kibangula, analyste politique à l’Institut de recherches Ebuteli, à Kinshasa, en RDC

S’il reconnaît qu’ils n’ont pas pu effectuer les opérations d’enrôlement dans les territoires du Rutshuru et du Masisi, dans l’Est du pays, mais aussi Maluku et Kwamouth dans l’Ouest, le président de la CENI, Denis Kadima Kazadi, précise qu’ils ont enrôlé dans les sites de personnes déplacées. Il précise cependant que des sièges seront réservés pour ces régions. Et des équipes de la CENI y seront déployées lorsque la situation sécuritaire le permettra.

Mais comme nous la rappelle Trésor Kibangula, analyste politique à l’Institut de recherches Ebuteli, à Kinshasa, en RDC, dès la nomination en 2020 de son président Denis Kadima Kazadi, jugé trop proche du président Félix Tshisekedi, la CENI restructurée n’a pas réussi à inspirer confiance. « Tout au long de ce processus, souligne Trésor Kibangula, à toutes les étapes, les gens ont contesté ce que la CENI a fait ; l’Église a même contesté le cadre de concertation que la CENI avait mis en place. Donc ce n’est pas une surprise que le fichier électoral soit contesté. »