L'Ethiopie et l'Erythrée ont rouvert mardi 11 septembre 2018 deux postes-frontières fermés depuis 20 ans, nouvelle étape symbolique de la spectaculaire réconciliation de ces voisins de la Corne de l'Afrique. C'est un symbole de plus du rapprochement entre l'Ethiopie et l'Erythrée.
Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed et le président érythréen Issaias Afeworki ont participé à deux cérémonies officielles, d'abord à l'extrême sud-est de leur frontière commune, ensuite au nord-ouest. "
Ce que nous avons vu là était très triste. Les soldats des deux pays ont passé des années et des années dans les bunkers dans des environnements difficiles", a déclaré Abiy Ahmed.
Les postes-frontières situés d'une part au sud-est entre les villes de Bure, en Ethiopie, et Debay Sima, en Erythrée, et d'autre part au nord-ouest entre Zalambessa (Ethiopie) et Serha (Erythrée), font partie des points de passage fermés en 1998 à l'aube de la guerre de deux ans qui a opposé les deux pays, faisant 80.000 morts, notamment en raison d'un différend territorial.
A Zalambessa, les soldats en poste ont enlevé les sacs de sable bloquant le passage du poste-frontière, sous les vivats de milliers d'Ethiopiens et Erythréens qui se sont salués et ont dansé ensemble pour fêter cette réouverture historique, selon des images retransmises en direct à la télévision nationale éthiopienne. Le président de la région éthiopienne du Tigré, frontalière de l'Erythrée, Debretsion Gebremichael, s'est lui adressé à la foule.
"En travaillant ensemble plutôt qu'en se détruisant, en s'aidant plutôt qu'en se sabotant, nous pouvons aller de l'avant", s'est-il félicité, aspirant à ce qu'Ethiopie et Erythrée soient un
"modèle de paix, de fraternité et de partenariat dans les prochaines années". Il y a toujours un nouvel espoir avec la nouvelle année. Il a été jugé essentiel de célébrer le Nouvel An ensemble, car accueillir le Nouvel an avec un nouvel espoir et la pays nous aidera à faciliter nos prochains emplois. Abiy Ahmed, Premier ministre éthiopien
Un rapprochement spectaculaire
Depuis le mois de juin, Abiy Ahmed et Issaias Afeworki ne se quittent plus. La réconciliation entre les deux pays est spectaculaire : rétablissement des liaisons aériennes, des lignes téléphoniques, ré-ouverture des ambassades à Asmara et Addis Abeba... Mardi, le chef de cabinet de M. Abiy, Fitsum Arega, a indiqué sur Twitter que les réouvertures de frontières signifient que
"les connexions routières entre l'Ethiopie et l'Erythrée seront opérationnelles, ouvrant la voie au mouvement des biens et des personnes de part et d'autre de la frontière".
Une guerre froide de 20 ans entre l'Ehiopie et son ancienne province avait suivi le conflit de 1998-2000, paralysant le développement et les échanges bilatéraux, et minant la sécurité régionale. Mais, contre toute attente, une volonté d'ouverture de la part d'Abiy Ahmed en juin a été accueillie favorablement par Issaias Afeworki, amorçant un improbable rapprochement entre frères ennemis. Au coeur de ce dernier, la promesse de M. Abiy de respecter le jugement en 2002 d'une commission internationale soutenue par l'ONU, accordant à l'Erythrée un territoire disputé.
Les deux pays trouvent leurs intérêts à ce nouveau dialogue. Des relations commerciales pour les deux parties. Avec l'Ethiopie qui retrouve une ouverture sur la mer. L'Ethiopie est le deuxième pays le plus peuplé d'Afrique et affiche une des croissances économiques les plus rapides du continent, mais cette dernière est notamment freinée par le fait que l'Ethiopie est un pays enclavé. Car l'Ethiopie a perdu son accès à la mer Rouge lorsque son ancienne province a déclaré son indépendance en 1993 après trois décennies de guerre.
A cet égard, la réouverture des deux postes frontières est plus qu'un symbole: un accès à la mer Rouge via les ports érythréens d'Assab et de Massawa faciliterait grandement les importations et exportations éthiopiennes qui passent essentiellement par Djibouti. Dans les villes frontalières, les habitants espèrent aussi un renouveau. Commerces fermés ou fonctionnant au ralenti, ils vivent depuis des années dans des villes fantômes.
L'économie erythréenne est moribonde. Les Américains ont exercé des pressions pour utiliser cette catastrophe économique érythréenne pour faire pression et mettre fin à ces 18 années de non guerre, non paix entre l'Erythrée et l'Ethiopie.Gérard Prunier, ancien chercheur au CNRS
L'influence du Qatar et des Emirats
Mais les deux pays n'ont pas été seuls à initier cet accord de paix. Il y a dans la région des rivalités diplomatiques marquées : deux camps, l'un regroupant le Qatar et la Turquie, l'autre l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. L'Erythrée a rallié le camps émirati, l'Ethiopie, elle, s'était tournée vers le Qatar.
Mais les Etats-Unis ont vite mis fin à cette situation : l'Ethiopie a rejoint le camp des Emirats dont elle reçoit rapidement de l'argent. L'Erythrée s'en offusque, elle qui aurait aimé aussi un soutien de ce pays. Washington lui conseille alors de se rapprocher de l'Ethiopie... pour bénéficier des subventions.
Les cérémonies de mardi sont les derniers épisodes en date d'un spectaculaire rapprochement entre Ethiopie et Erythrée, amorcé par le Premier ministre réformateur Abiy Ahmed, entré en fonction en avril. Depuis son arrivée au pouvoir, ce dernier a multiplié les réformes, faisant libérer de nombreux opposants, ordonnant la levée de l'état d'urgence ou encore l'ouverture au secteur privé du capital des grandes entreprises publiques.