Fil d'Ariane
Sur les berges du fleuve Niger à Mopti, des centaines de pirogues sont alignées dans le port. De juillet à février, le delta intérieur du fleuve Niger est inondé. Les routes sont impraticables, seule la voie fluviale permet de se rendre d’un village à un autre. A cette période, le village de Kouakourou à 45 km est encerclé par les eaux.
Le 2 septembre dernier un groupe de djihadistes entre dans la localité, moleste un groupe de jeunes et, après des échanges de coups de feu, menace d’enlever le chef de village. Impossible pour les villageois de les laisser faire. Moussa Kondo, conseiller du chef du village, raconte : « Après la prière du crépuscule, le village s’est réuni au niveau de la mosquée pour dire que 'trop c’est trop. Vous avez eu à frapper, vous avez eu à tuer, ligoter des gens ici à Kouakourou. Et maintenant vous dites que vous venez chercher le chef du village. Nous ne serons jamais d’accord, nous ne pourrons jamais accepter ça' ! Donc le village décide alors qu’aucun individu portant une arme, ne puisse rentrer dans ce village encore ! » Un petit détachement militaire viendra compléter ce dispositif.
Depuis, Kouakourou est devenu le symbole de la résistance dans le centre du Mali. Il est pourtant très difficile pour les habitants d’entrer ou de sortir de la localité dans un rayon d’un kilomètre sans être accompagnés par des militaires. Les motopompes agricoles ont été brûlées et le bétail volé par des terroristes qui se cachent dans les forêts alentours. Le village est assiégé, les six mille habitants n’ont plus accès à leurs champs et survivent grâce aux dons de l’état en céréales, en huile, en sucre et en lait.
Les terroristes ont développé un système de guerilla, de combats asymétrique. Ils se fondent aux populations pour mener leurs combats. Ils évoluent principalement à moto et sont les auteurs d’intimidations et de plus de 80 assassinats ciblés sur l’année 2017, contre tout ceux qu’ils estiment avoir collaboré avec l’état. Pour faire face à la terreur, le Mali a mis au point une nouvelle stratégie militaire. Un plan de sécurisation des régions centre du Mali a été adopté par le gouvernement en août 2017. L’objectif : harceler l’ennemi et être au plus près des populations. Le
Général Sidi Allassane Touré, gouverneur de Mopti, explique : « ce plan consiste à aller dans les zones qui ont été occupées par ces terroristes, à les chasser de ces zones. Donc de réoccuper ces zones militairement et permettre le retour de l’administration et des services sociaux de base. Nous allons adapter notre tactique : si ces gens-là évoluent à moto, nous évoluerons à moto, s'ils évoluent à pied, nous évoluerons à pied. S'ils évoluent à dos d’âne, nous serons à dos d’âne aussi. Peut-être nous serons même sur des chevaux. Tout ça parce que nous avons compris la dynamique qui se passe là-bas, et nous ferons face à cela. »
Cette stratégie ambitieuse qui mise sur une présence renforcée et durable nécessite des moyens importants que l’état n’est pas en mesure de fournir. La Mission Multidimensionnelle Intégrée pour le Stabilisation du Mali (MINUSMA), en appui, a depuis la résolution 2295 de juin 2016, un mandat plus pro-actif et, vu l’état déliquescent dans la région (plus de 162 attaques contre les populations en 2017), s’est doté d’un camp et d’une force pour les patrouilles. Une unité d’élite, la force d’intervention rapide sénégalaise composée de 200 hommes, est chargée de se rendre compte de la situation sociale et politique dans les villages et hameaux qu’elle visite. Se déplaçant avec des moyens logistiques importants, la MINUSMA est en mesure d’apporter une réponse en cas d’attaque mais n’a toujours pas acquis sa pleine capacité d’action en hommes et en matériel.
Dans ce contexte de quasi-guerre, tout ce qui représente l’administration et l’état central est pris pour cible. En premier lieu, les écoles. Dans l’académie de Mopti, des directeurs d’écoles et des instituteurs ont été assassinés. Plus de 200 établissement ont été fermés, souvent par la force.
Ils sont venus à moto, à peu près sept motos je crois, ils sont venus dans l’école. Ils étaient tous bien armés. Ils ont fait sortir les enseignants de la classe. Après, ils ont demandé d’aller dire au chef que, si c’est la madrassa ou l’école coranique, ils vont accepter. Mais si c’est l’école, jamais un directeur et un enseignant ne viendront ici.
Ils tenaient les armes bien droit pour menacer les gens, et surtout les enfants. Les enfants, qui ne connaissaient pas les armes, couraient à tort et à travers.
Un professeur de la région de Mopti
La paranoïa règne dans toute la zone. Les administrateurs fuient les localités les plus reculées. Des enlèvements sont commis. L’un des plus symbolique est celui du Président du tribunal de Niono : il a été enlevé le 16 novembre, moins d’un mois après l’embuscade mortelle contre le convoi du Président de la Haute Cour du Mali, le 31 octobre, dans la Région de Mopti.
Amadou Ndjoum fonctionnaire à l’institut national de prévoyance sociale a, quant à lui, été pris en otage à Walado, par des djihadistes le 25 avril dernier. Il a passé 142 jours en captivité. Pour lui, ces djihadistes souhaitent un changement radical de la structure de l’état.
Leurs revendications, eux, ils disent que c’est le Coran. Par exemple, changer notre constitution en se basant sur le Coran. Surtout la justice. Parce qu’ils disent que le Mali est un pays musulman. Non, ils disent pas que le Mali est un pays laïque, c’est un pays musulmans.
dou Ndjoum, ancien otage
Membre de la Katiba du Macina du prédicateur Amadou Kouffa, ces terroristes ont rejoint la coalition djihadiste d’Iyad Ag Ghali : le groupe de soutien à l’islam et aux musulmans qui opère dans tout le Sahel. Une région en proie à la violence malgré la présence des forces francaises, de la Minusma et la création du G5 Sahel.