Fil d'Ariane
Valentin Betoudji a un rêve depuis tout petit: devenir un champion de course à pied. Au Tchad, son pays, l'athlétisme n'a pas le pouvoir de changer les vies, comme en Ethiopie, ou au Kenya. Alors à 26 ans, Valentin a décidé d'aller se confronter aux plus grands coureurs, à leur façon de vivre, à la façon de s'entraîner dans des conditions sommaires.
Quand nous l'avons rencontré, nous avons tout de suite remarqué son sourire permanent, même dans la souffrance des entraînements. Cela fait presque 2 mois qu'il s'est installé dans un camp d'athlètes, et pour la première fois de sa vie, il bénéficie d'un encadrement de haut niveau. Et il est heureux. Heureux de pouvoir courir du matin au soir, heureux de ne penser qu'à son corps et son sport, heureux de se confronter aux meilleurs coureurs, ils sont nombreux sur place.
Le kenya, pour lui, c'est une première, et pour un athlète qui veut se qualifier aux Jeux Olympiques, Iten est un passage obligé.
Autour de ce petit village à une quarantaine de kilomètres d'Eldoret, dans l'ouest du pays, quelques milliers d'habitants vivent tranquillement dans un lieu qu'ils ont appelé "Home of champions", la maison des champions. Les plus belles médailles de l'athlétisme mondial se sont gagnées ici, sur ces chemins poussiéreux, dans l'anonymat et l'austérité de l'entraînement.
Valentin, comme nous, a dû se sentir happé par les centaines de coureurs qu'il a croisés tous les jours. A chaque moment de la journée, que l'on se balade sur la terre rouge au milieu des champs, où que l'on pousse un peu plus loin, vers la forêt et ses raidillons effrayants, les coureurs apparaissent, gouttes de sueur au visage, souffle parfois court, mais jambes légères.
Etre champion ne se décrète pas, c'est un état d'esprit. Exactement ce qu'est venu chercher Valentin Betoudji. Aujourd'hui il vaut 2h29 sur marathon, très très loin du plus haut niveau. Mais il a pour lui son inexpérience: jamais il n'a connu les joutes des sorties kenyanes, les dizaines de coureurs assoiffés de réussite, les accélérations sans fin... Cette découverte fait son bonheur, parce qu'il progresse très vite, sans doute plus qu'il ne l'avait imaginé. Il n'est plus seul à souffrir, il a trouvé ce que tout le monde, ici, appelle une famille.
Nous avons compris après plusieurs jours cet aspect familial. Ici, à Iten, les coureurs vivent en bande, la plupart dans des camps, ou des maisons qu'ils partagent. Pour ces athlètes kenyans, ne pas vivre au sein de leur village ou avec leurs proches, est une nécessité: ils n'ont pas d'autres distractions que la course à pied. Dans une journée, exceptée celle du dimanche consacrée au repos et à la messe, chaque minute doit être considérée comme un entraînement.
Valentin y a trouvé sa voie, celle des sacrifices. Dès 5h45 du matin, avec le premier footing à jeun, environ 1 heure. Après la douche, il enchaîne avec les étirements, le petit-déjeuner et la sieste. Puis l'entraînement, encore, avant le déjeuner. Puis la sieste. Avant le dernier entrainement de la fin d'après-midi, avant le dîner, et le coucher.
Une vie d'ascète, où le repos a toute sa place. En langage sportif, c'est "l'entraînement invisible", presque le plus important lorsque l'on écoute les coureurs. Sans repos de ces muscles torturés au long de la journée, pas de progrès.
Après des semaines ou des mois à ce régime, le corps est comme programmé, nous disent tous ces coureurs. Et lorsqu'il le répète plusieurs mois par an, dans la période intensive du début de l'hiver, alors les coureurs peuvent prétendre à devenir des champions.
A Iten, il n'y pas d'échappatoire, c'est le seul moyen d'y arriver. Valentin a adhéré dès son arrivée. La paresse, comme il dit, lui a bien sûr effleuré l'esprit, mais il a vite pris le dessus, aidé par le bruit de ses collègues (et futurs adversaires) pressés d'aller souffrir.