Fil d'Ariane
Le 17 novembre 1892, l’armée coloniale française s'empare du palais royal d’Abomey au Bénin. Les soldats du colonel Alfred Amédée Dodds en profitent pour s’emparer de 26 objets. Des œuvres, parmi lesquelles se trouvent le Trône du roi Behanzin, mais aussi les statues anthropomorphes représentant les derniers d’Abomey, Ghézo, Glélé, Behanzin.
Un pillage qui fait partie des actes perpétrés, pendant la colonisation du continent africain. Selon des experts, on estime qu’entre 85% et 90% du patrimoine africain se trouverait hors du continent. Ainsi, depuis des décennies, plusieurs pays africains réclament la restitution d’œuvres pillées.
En France au moins 90 000 objets d’arts d’Afrique subsaharienne font partie des collections publiques françaises, dont 70 000 au musée du Quai Branly.
Selon l’ambassadeur de la délégation du Bénin pour l'UNESCO, Irénée Zevounou, "4500 à 6000 objets sont en France, y compris dans les collections privées".
En 1989, pour la première fois depuis leur pillage, quelques-unes ont été prêtées par le musée de l'Homme à Abomey pour une exposition. Les Béninois ne pourront pas admirer bien longtemps le Trésor d'Abomey. Les pièces repartent à Paris cette même année. Elles sont ensuite remise au tout nouveau musée du Quai Branly construit par le président français Jacques Chirac dans les années 2000.
En 2006 déjà, à l'occasion de la célébration du centenaire de la mort du roi Behanzin, des œuvres avaient été prêtées à la Fondation Zinsou à Cotonou par le musée du Quai Branly pour une exposition inédite.
En 2016, le président béninois, Patrice Talon demande à Paris la restitution des œuvres prises à Abomey. Le ministère des Affaires étrangères du gouvernement de Manuel Valls (sous la présidence de François Hollande) lui oppose une fin de non-recevoir, au non du principe dit "d’inaliénabilité des collections nationales".
Ce principe est mis en avant par la France pour protéger les biens conservés dans les établissements culturels français.
La réaction de Paris divise. Certains s’indignent ou affirment, comme le fait la sénatrice française Catherine Morin-Desailly. La restitution de ces œuvres est selon l'élue"inéluctable". D’autres, souvent conservateurs dans les musées concernés, préconisent des dépôts de longue durée afin de ne pas perdre leur droit de propriété sur les œuvres.
Le 28 novembre 2017, le président de la République française, prononce un discours à l'université Ki-Zerbo, à Ouagadougou, devant 800 étudiants.
Il y affirme vouloir faire de l’Afrique "une priorité de la diplomatie française", faire "rayonner la francophonie". Il annonce vouloir restituer, "sans tarder", les 26 œuvres réclamées par le Bénin. Cet annonce est inédite. C'est la première importante restitution d’objets de collections publiques à un pays africain.
À la suite de ce discours, le président français commande un rapport à Felwine Sarr, professeur à l’Université Gaston-Berger de Saint-Louis, au Sénégal et Bénédicte Savoy, professeure à la Technische Universität de Berlin.
Les deux professeurs suggèrent une modification du code du patrimoine, avec l'introduction d'un article qui stipulerait que des restitutions d'objets africains transférés pendant la période coloniale française pourraient être prévues dans le cadre d'un "accord bilatéral de coopération culturelle" entre "l'État français et un État africain".
Le rapport définit précisément quels biens sont concernés. Il s'agit de ceux "pillés, volés, butins de guerre, mais aussi ceux, très nombreux, acquis à des prix dérisoires, sans commune mesure avec le marché de l'époque, par les marchands, militaires, missionnaires, voyageurs...".
Pour les auteurs du rapport, la démarche s'inscrit dans le cadre d'une "réparation symbolique". Il n'est pas question de vider les collections des musées français. Les collections privées ne sont pas également visées. Cette approche équilibrée ouvre la voie à un retour de ces oeuvres. Ce retour passera par le vote d'une loi.
Le processus s’engage alors. Cotonou demande à la France de soutenir la construction à Abomey d’un musée susceptible d’accueillir les œuvres. Des missions de l’agence française de développement et des ministères de la Culture et des Affaires étrangères se rendent sur place en 2019.
L’agence française de développement débloque un prêt de 25 millions d’euros pour la construction du musée et la rénovation des palais d’Abomey. La France effectue don de 10 millions pour l’accompagnement technique et la formation.
Pour plus d'informations, lire : un rapport préconise de faciliter la restitution de milliers d’œuvres d'arts africaines
Fin 2020, une loi spéciale est votée afin de mettre fin, dans ce cas précis, au principe d’inaliénabilité, évoqué par le gouvernement français en 2016. Est également concerné par cette loi, le sabre, avec son fourreau, dit "d’El Hadj Omar Tall", donné par le Général Louis Archinard, à la suite de campagnes militaires en Afrique, au musée de l’armée qui doit être transféré à la République du Sénégal.
Lire aussi : les députés français se prononcent pour restituer des biens culturels au Bénin et au Sénégal
Le 27 octobre dernier, Emmanuel Macron, préside la cérémonie officialisant la restitution au Bénin de ces trésors. Avant d'être restituées, les 26 œuvres ont été montrées ensemble une dernière fois au musée du Quai Branly.
Ce mardi 9 novembre, Patrice Talon sera donc accueilli par son homologue français, à l’Elysée, pour la dernière étape du processus de restitution, à savoir la signature de l'acte de transfert de propriété des œuvres, à la République du Bénin.
Le document sera signé par les ministres de la Culture des deux pays, Roselyne Bachelot et le Jean-Michel Abimbola, avant une déclaration conjointe des deux présidents.
Les œuvres partiront ensuite à bord d'un avion avec Patrice Talon. Des célébrations sont prévue pour leur arrivée, ce mercredi, à Cotonou. Après une cérémonie, prévue au Palais de la Marina de Cotonou, à 17h, elles seront gardés à la Présidence de la République pour environs deux mois avant l’ouverture d’une visite au public. Elles seront ensuite, définitivement exposées, au Musée de l’épopée des amazones et des rois du Danhomè à Abomey, au sud du pays.