« Cette décision de retour, réfléchie et longuement mûrie, émane de toutes le forces vives du Royaume », a écrit le roi Mohammed VI dans une lettre remise à Idriss Déby, président tchadien et président en exercice de l’Union africaine (UA), lors du 27ème Sommet de l’UA à Kigali. Une annonce peu surprenante puisque ces derniers mois, le Maroc multipliait les visites dans différents pays africains ainsi que des rencontres avec différents chefs d’Etat. Ce retour est
« l’aboutissement d’un long processus depuis l’accession au pouvoir de Mohammed VI », constate Ismaïl Regragui, doctorant-enseignant à Sciences Po, en relations internationales.
Après 32 ans d’absence, le Maroc va donc réintégrer l’Union africaine, une fois sa candidature validée par un vote au sein de la Commission.
La question du Sahara occidental
L’enjeu de ce retour est principalement lié à la question du Sahara occidental que se disputent le Maroc et le Front Polisario, un mouvement qui se bat pour l’indépendance du Sahara occidental depuis 40 ans. C’est d’ailleurs après l’adhésion de la République arabe sahraouie démocratique (proclamée par le Front Polisario) au sein de l’UA que le Maroc avait quitté l’organisation, en 1984. A l’époque, « ce fait accompli immoral, ce coup d’Etat contre la légalité internationale, ont amené le Royaume du Maroc à éviter la division de l’Afrique au prix d’une douloureuse décision, celle de quitter sa famille institutionnelle », a expliqué Mohammed VI dans son discours du 17 juillet.
Mais aujourd’hui, le roi souhaite clairement « le règlement de cette question en sa faveur », explique Ismaël Regragui. Il a en effet demandé à l’UA de retrouver sa « neutralité » sur le sujet. Pour appuyer sa demande, le souverain a rappelé que la RASD « n’est membre ni de l’Organisation des Nations Unies, ni de l’Organisation des la Coopération islamique, ni de la Ligue des Etats arabes, ni d’aucunes autre institution sous régionale, régionale ou internationale ».
Beaucoup de pays ne reconnaissent plus la RASD. Cet Etat n’en ai pas un, il n’en a pas les attributs.
Ismaïl Regragui, doctorant enseignant à Sciences Po, en relations internationales
Il a également pointé du doigt le fait qu’au moins 34 pays africains n’ont plus les mêmes convictions qu’à l’époque. « Les conditions ont changé depuis 1984, confirme Ismaïl Regragui. Beaucoup de pays ne reconnaissent plus la RASD. Cet Etat n’en ai pas un, il n’en a pas les attributs, ce qui fait que l’UA a plus a perdre qu’à gagner en tenant le Maroc hors de l’organisation ».
Le Maroc aussi a beaucoup a gagné en réintégrant l’instance africaine,
« car la politique de la chaise vide peut s’avérer problématique », a déclaré au
HuffPost Maroc Mehdi Bensaid, président de la commission des affaires étrangères au Parlement marocain et président de l'Union des jeunes parlementaires africains (UJPA). Selon lui,
« il ne faut pas laisser de siège vacant aux adversaires du Maroc. J’ai rencontré des députés de pays africains amis du Maroc, comme le Togo et le Sénégal, qui me disaient qu’à force d’écouter la thèse adversaire, les gens commençaient à y croire ». Enfin, selon Ismaïl Regragui,
« la logique du Maroc est de se dire : il vaut mieux être à l’intérieur (de l'institution, ndlr)
qu’à l’extérieur pour changer les choses » concernant le Sahara occidental.
Se positionner en leader régional et international
Le retour du Maroc dans l’UA permettrait aussi au pays de se positionner en tant que véritable leader régional. « Les grandes puissances qui faisaient l’Union africaine a ses débuts sont relégués au deuxième ou troisième rang : la Libye n’existe plus politiquement, l’Egypte est affaibli, l’Algérie aussi, et on voit moins l’Afrique du sud, souligne Ismaïl Regragui. Le Maroc émerge dans une cette situation de crise internationale et surtout il est vraiment un atout sur le plan sécuritaire, surtout pour ses partenaires occidentaux ».
Le but du royaume chérifien est aussi "légitimer sa position de leader et de pays émergent". "Le Maroc est déjà un leader régional sur le plan politique, économique... mais pour le formaliser, il faut pouvoir être un leader régional dans une enceinte institutionnelle régionale. Et l'enceinte la plus identifiée et la plus englobante, c'est l'Union africaine", assure Ismaïl Regragui.
Les atouts marocains
Si le Maroc voit un intérêt particulier à réintégrer l'organisation africaine, l'UA aussi peut se réjouir de ce futur nouveau membre qui possède de nombreux atouts. Le Maroc a en effet eu un rôle important dans le règlement de nombreux conflits africains. Dans son discours, Mohammed IV a d'ailleurs rappelé la contribution du pays dans de
« multiples initiatives en faveur de la stabilité et la sécurité » et notamment en ce qui concerne les
« opérations de maintien de la paix en Côte d’Ivoire, en République Démocratique du Congo et en République centrafricaine ». Le Maroc est également impliqué dans de nombreux projets économiques structurants du continent africain et dans des investissements majeurs dans de nombreux espaces africains, explique dans
un article, Mustapha Tossa, journaliste et analyste de l'actualité internationale. Cette collaboration
"peut aussi permettre de placer sur l’agenda de l'UA quelques questions qui sont chères au Maroc et importantes pour les pays africains : la coopération sud-sud, le règlement des problèmes agricoles, les échanges financiers... explique Ismaïl Regragui.
Sur ces plans, l’UA peut profiter de l’expérience marocaine".
Enfin, concernant la question sécuritaire, l'Union africaine a tout a gagné en réintégrant le Royaume du Maroc. Dans sa lettre à l'UA, Mohammed VI a insisté sur le fait que son pays est prêt à coopérer avec les autres pays du continent sur les questions de sécurité et de lutte contre le terrorisme.
"L'expérience marocaine largement reconnu sur le plan international et sollicitée par de nombreux pays, y compris européens, serait mise au service de la sécurité et de la stabilité de tous les pays africains, notamment ceux de l'Afrique de l'Ouest et Centrale". Dans le contexte actuel, cette annonce est loin d'être négligeable.