Fil d'Ariane
La Mission onusienne pour la stabilisation du Mali (Minusma) touche-t-elle à sa fin ? La question se pose sérieusement, d’autant que ce vendredi 16 juin, le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, a saisi l’opportunité d’être devant le Conseil de sécurité des Nations unies, pour demander le retrait, "sans délai" de la mission de paix, de son pays. Un scénario qui se répète sur le continent et qui questionne la pertinence des missions de ce type, sous l’égide des Nations unies.
Les casques Bleus de la MINUSMA, lors de l'opération militaire "Frelana" les 11 et 12 juillet 2017, au sud-ouest de la ville de Gao, au Mali.
"Une crise de confiance", c’est avec ces mots qu’Abdoulaye Diop, ministre des Affaires étrangères malien, a justifié sa demande de départ de la Minusma du Mali. Une crise, qui atteint son apogée ce vendredi 16 juin, mais qui est le fruit de tensions entre les deux parties, depuis mai 2021, lorsque les colonels putschistes de 2020 ont mené un nouveau second putsch pour écarter le régime de transition civil.
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A plusieurs reprises, durant ces dernières années, la junte a fait barrage aux investigations de la Minusma sur les abus dont les forces maliennes sont parfois accusées. Lorsque l'ONU s'émeut de ne pouvoir accéder aux lieux des abus présumés, Bamako parle "d’instrumentalisation" du sujet. Régulièrement, la junte a voulu contrôler la circulation du personnel de la Minusma, que ce soit via des autorisations de déplacement dans l’espace aérien qui n’étaient pas données ou encore de troupes au sol qui n’étaient pas autorisées à se déplacer. A l'instar des 49 soldats ivoiriens qui ont été arrêtés le 10 juillet 2022 et détenus près de 7 mois.
En février 2023, le gouvernement malien a d’ailleurs fait expulser le chef de la division des droits de l'homme de la Minusma.
Mais le point d’achoppement est atteint en mai 2023, après la publication d'un rapport accablant de la Minusma. L'armée malienne et des combattants "étrangers" sont accusés d'avoir exécuté au moins 500 personnes lors d'une opération présumée antijihadiste à Moura en mars 2022.
(Re)voir : les autorités accusées du massacre de Moura
La junte dénonce non seulement un "rapport biaisé, reposant sur un récit fictif", mais annonce l'ouverture d'une enquête contre la mission, pour "espionnage, atteinte à la sûreté extérieure de l’État" et "complot militaire".
Si l’annonce d’Abdoulaye Diop ne surprend donc pas totalement, sa radicalité et sa soudaineté mettent en exergue une communication politique offensive.
"Ce discours populiste fonctionne très bien au sein de la population en pleine crise économique et sécuritaire. Après la France, après la Cédéao (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest), après les soldats ivoiriens, c’est au tour de la Minusma d’être ciblée. C’est un schéma binaire qui veut, toujours, qu'on oppose le Mali aux autres", nous indique Bakary Sambe, chercheur au Timbuktu institute, un groupe de réflexion, basé à Dakar et spécialisé dans les questions de paix et de sécurité en Afrique.
Mais le chef de la diplomatie malienne ne s’est pas arrêté là. Il a également affirmé que la Minusma n’est, non seulement pas la solution, mais ferait en réalité "partie du problème".
Un discours d’Abdoulaye Diop que le chercheur du Timbuktu institute Sahel Afrique de l’Ouest, Bakary Sambe, trouve aussi incisif qu’opportuniste : "nous sommes actuellement dans une période cruciale où se discutent la Constitution, les futures échéances électorales ou encore le référendum du dimanche 18 juin". Le but serait, selon lui, de "flatter la fierté malienne" et de brandir l’étendard du souverainisme.
La Minusma est un symbole dans le discours populiste des autorités maliennes. Celui du corps étranger, de l’acteur extérieur, qui ne leur laisse pas les coudées franches pour garantir la sécurité"
Les autorités étant dans un contexte avancé du processus de transition, Bakary Sambe estime qu’il devenait inévitable, pour eux, d'aborder un certain nombre de débats structurels, comme celui des réformes institutionnelles, "promises de longue date". "C’est pour cela qu’il est très opportun de leur part d’agiter le chiffon rouge du départ de la Minusma. Elle est un symbole dans le discours. Celui du corps étranger, de l’acteur extérieur, qui ne laisse pas les coudées franches aux autorités de la transition, pour garantir la sécurité. C’est cette logique qui est présentée à la population. On a vu la même chose avec Barkhane (NDLR : opération française au Sahel, pour lutter contre les groupes djihadistes aux côtés des armées sahéliennes, de 2019 à 2022), malgré toutes ses tares", ajoute-t-il.
Les mots sont bien choisis. Lorsqu'Aboudlaye Diop parle de "retrait sans délai", il envoie, selon Bakary Sambe, en réalité un message à la population "dont on veut fouetter l’orgueil, même s’il paraît quasi impossible de voir de tels effectifs quitter le pays aussi rapidement", ajoute le spécialiste.
Ce sont, en effet, plus de 17 000 personnes qui seraient concernés par ce départ. La présidente de l'ASSN (African Security Secteur Network), Niagalé Bagayoko estime, elle, qu’à l’image de Barkhane, "un départ pourrait se faire en moins d’un an".
Cette fin de la Minusma, qui semble désormais inéluctable, pousse à tirer un bilan de son action. Pour les autorités maliennes, représentées par le ministre des Affaires étrangères devant l’ONU, il est sans équivoque : c’est un "échec". La junte affirme que la mission n’a pas obtenu de résultats probants, notamment sur l’aspect sécuritaire.
Pour Bakary Sambe, "il y a toujours eu une nette différence de discours entre, d’un côté, Bamako, ses citadins jeunes, présents sur les réseaux sociaux, et de l’autre, les gens qui vivent l’insécurité au quotidien comme à Menaka, à Gao ou encore à Tombouctou", villes du Nord Mali, qui ne sont pas aussi critiques à l’égard de la Minusma. Certaines populations des villes mentionnées demandent d’ailleurs à ce que la mission des casques bleus de l'ONU se poursuive.
Le chercheur au Timbuktu Institute rappelle qu’il n’était pas prévu, dans le mandat de la Minusma "de combattre le terrorisme de façon active". "C’était avant tout une mission de consolidation de la paix", ajoute-t-il.
La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) a été créée par la résolution 2100 du Conseil de sécurité, du 25 avril 2013, pour appuyer le processus politique dans ce pays et effectuer un certain nombre de tâches d’ordre sécuritaire. Le Conseil de sécurité a demandé à la Minusma d’aider les autorités de transition maliennes à stabiliser le pays et à appliquer la feuille de route pour la transition.
Le Conseil a décidé d'axer le mandat de la Minusma sur des tâches prioritaires telles que la sécurité, stabilisation et protection des civils, l'appui au dialogue politique national et à la réconciliation nationale, ainsi qu'à l'appui au rétablissement de l’autorité de l’État dans tout le pays, à la reconstruction du secteur de la sécurité malien, à la promotion et la protection des droits de l’homme, et à l’aide humanitaire.
La spécialiste de la sécurité en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale, Niagalé Bagayoko, va plus loin et parle de "réussite de la Minusma", s’agissant notamment du rétablissement des faits en ce qui concerne les droits humains. C’est pourtant le point que les autorités maliennes reprochent le plus à la mission. "De façon consistante, la Minusma a dénoncé la façon dont des civils ont été pris à parti, abusés ou encore, dans certains cas, massacrés, par toute une catégorie d’acteurs, qu’il s’agisse des FAMa (Forces armées maliennes), des groupes d’autodéfense, des milices communautaires ou encore des forces internationales. On l’a vu lorsqu’a été établi, dans un rapport, le fait que Barkhane avait bombardé le village de Bounti", ajoute-t-elle.
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Néanmoins, Niagalé Bagayoko le confirme : "le mandat de la Minusma, qui a évolué au fil du temps, n’a pas permis de contribuer à une stabilisation de la situation". "Il n’a pas permis de manière efficace la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali de 2015 (NDLR : ou "accord d'Alger"). Elle n’a pas non plus totalement réussi dans son mandat de protection des civiles", précise-t-elle.
Néanmoins, toutes ces limites sont à considérer au-delà du cadre du Mali et de la Minusma. "Plus on avance dans la durée, plus les missions de consolidation de la paix perdent de leur crédibilité et montrent leurs limites", selon Bakary Sambe.
Niagalé Bagayoko confirme ces limites et évoque "une crise des interventions dans le cadres des Nations unies". "On voit bien que les missions de paix qui se sont multipliées sur le continent depuis le début des années 1990 n’ont que très rarement donné des résultats satisfaisants. Depuis des années, la Monusco (Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en république démocratique du Congo) est, par exemple, dénoncée par les populations locales, fatiguées face à cette inefficacité", ajoute-t-elle.
Ces missions deviennent donc des "cibles idéales" selon Bakary Sambe, qui permettent à des dirigeants autoritaires de détourner les populations des problèmes de gouvernance qui subsistent dans leur pays. Il faut donc "clairement revoir le format de ces missions" selon Niagalé Bagayoko.
Les rapports, y compris produits par les Nations unies elles-mêmes, ont fait le même diagnostic. Le mardi 12 juin, le Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres a d’ailleurs recommandé au Conseil de sécurité de "reconfigurer" la mission des Nations unies au Mali. C’était quelques jours avant la déclaration d’Abdoulaye Diop.
Désormais, il s’agira, comme l’a indiqué le chef de la Minusma El-Ghassim Wane, au Conseil de sécurité, de "créer les conditions de son départ en aidant le Mali à assurer la sécurité de sa population".
Le Chef de la Minusma, El-Ghassim Wane, présente le rapport du SG devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies, le vendredi 16 juin.
Ce départ inéluctable engendre bien des craintes. Pour Bakary Sambe, "aujourd’hui, le Mali peine même à sécuriser les alentours de Bamako - comme l’a montré l’attaque de Kati, cœur stratégique du régime - et même si la Minusma avait un rôle mineur en la matière, ce départ exigé constituerait une menace réelle pour la région". Le chercheur dit ne pas "croire" en la capacité des autorités maliennes "à pouvoir sécuriser les vastes étendues du Mali, frontalières d’autres pays sous pression sécuritaire".
Niagalé Bagayoko, elle, craint "une reprise des hostilités entre Bamako et les groupes armées du nord du pays, en lien, parfois, avec certains groupes djihadistes" comme le JNIM (Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans).
Ce qui est, selon la spécialiste, "décourageant", c’est "qu’on se retrouve dans une situation assez proche de celle de 2012, avec un contexte politique polarisé entre le nord et le sud du pays". Un problème auquel ni la communauté internationale, ni les autorités à Bamako, n'auront sur apporter de réponse adéquate.