Fil d'Ariane
Le Conseil de sécurité des Nations unies s’est réuni le 28 août dernier, à New York, aux États-Unis, pour faire le point sur le plan de retrait de la Minusma, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali. Dix ans après le début de cette mission, quel bilan peut-on établir de son action au Mali ? Analyse.
Un officier de l'armée française se tient aux côtés des troupes africaines, alors qu'elles participent à une cérémonie transformant officiellement la force en mission de maintien de la paix des Nations Unies, à Bamako, au Mali, le 1er juillet 2013.
C’est le 30 août 2023 que le dernier des convois de la Minusma à avoir quitté le camp de Ménaka, dans le nord-est du Mali, est arrivé à Gao. Avec son départ de Ménaka, la Minusma met un terme à la première partie de son plan de retrait du Mali.
Commencée le 17 juillet dernier, la première phase du retrait de la Minusma vient donc de s’achever non sans difficultés, comme l’a expliqué le chef de cette mission, le Mauritanien El-Ghassim Wane, le 28 août 2023 devant le conseil de sécurité.
En plus des attaques à l’explosif de leurs convois et des rivalités entre les autorités maliennes et les mouvements signataires de l’accord d’Alger de 2015 pour la paix et la réconciliation [Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger et signé en juin 2015, NDLR], la Minusma a dû faire face à des restrictions de vols et à des limitations d’importations imposées par le pouvoir de Bamako.
Et s’agissant des restrictions de vols et des limitations d’importations, Issa Konfourou, l’ambassadeur représentant permanent de la République du Mali auprès des Nations unies, a déclaré au cours de cette même réunion du conseil de sécurité que ces accusations étaient « sans fondement ».
Malgré ces divergences de vue, le comité technique d’’experts de la Minusma et du gouvernement malien s’est félicité de la réussite de cette première étape. Car comme l’a rappelé El-Ghassim Wane devant le conseil de sécurité : « Fermer une mission établie sur une décennie en seulement six mois est un défi colossal. »
« Cela signifie rapatrier 12 947 personnels en uniforme, licencier 1 786 membres du personnel civil, gérer le retour ou la relocalisation d'environ 5 500 conteneurs d'équipements, ainsi que près de 4 000 véhicules. Sans oublier la fermeture de 12 camps et d'une base opérationnelle temporaire qui reviendront aux mains des autorités maliennes », a-t-il poursuivi.
À la demande des autorités maliennes, la résolution 2690 du conseil de sécurité adoptée le 30 juin 2023, a en effet mis fin au mandat de la Minusma. Cette dernière quitte donc le Mali après une décennie de présence et dans un délai record de six mois (les autorités maliennes exigent que le retrait soit définitif au 31 décembre prochain).
C’est par sa résolution 2100, adoptée le 25 avril 2013, que le conseil de sécurité a créé la Minusma. Quelques mois auparavant, à la mi-janvier 2012, le MNLA, Mouvement national pour la libération de l’Azawad, et des groupes armés islamistes tels que Ansar Eddine, Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), et le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique (MUJAO), lancent une série d’attaques contre l’armée malienne dans le nord du pays.
La présence sur le terrain de combattants surarmés revenus de Libye après la chute du régime du colonel Mouammar Kadhafi, encourage la rébellion touareg dans son initiative. Le 22 mars 2012, une mutinerie de soldats vaincus par les groupes armés dans le nord du pays, provoque un coup d’État.
Une junte militaire, le Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État, conduite par le capitaine Amadou Sanogo, s’empare alors du pouvoir. Ce putsch accélère l’effondrement de l’Etat dans le nord du pays, et permet au MNLA de vaincre l’armée malienne dans les régions de Kidal, Gao et Tombouctou.
Après la démission de feu le président Amadou Toumani Touré et la mise en place d’un gouvernement de transition, le Mali sollicite l’assistance de l’ONU. Début janvier 2013, des éléments d’Ansar Eddine, du MUJAO et d’AQMI, lancent une offensive vers le sud, détériorant un peu plus la situation sécuritaire du pays.
La prise de Kona, une ville située à environ 600 km de Bamako, oblige alors les autorités de transition à demander l’aide de la France afin de défendre la souveraineté du Mali et rétablir son intégrité territoriale.
C’est ainsi qu’est lancée l’opération Serval [Opération devenue Barkhane en 2014 et qui s'est terminée en 2022, à la demande des autorités maliennes, NDLR], en appui aux forces maliennes de défense et de sécurité. Une fois la Minusma mise sur pied, le conseil de sécurité autorise les forces françaises déployées au Mali à intervenir pour l’appuyer en cas de menace grave et imminente.
Cependant, la Minusma a d’abord pour missions d’appuyer le processus politique, de protéger les civils, surveiller les droits humains, mettre en place les conditions d’acheminement de l’aide humanitaire, ou encore réaliser des activités de stabilisation concernant la sécurité.
Contrairement à la MONUSCO [Mission de l'organisation des Nations unies pour la stabilisation en RDC, NDLR] par exemple, elle ne dispose pas d'une brigade d'intervention lui conférant un pouvoir offensif de lutte contre le terrorisme.
Au fil des ans, le champ des missions de la Minusma n’aura de cesse de s’élargir. Mais après les coups d’État d’août 2020 et de mai 2021, les critiques se multiplient contre la mission onusienne. Les autorités maliennes, avec à leur tête le colonel Assimi Goïta, lui expriment ouvertement leur défiance.
Le point de rupture est atteint avec la publication en mai 2023 d’un rapport de l’ONU accusant l’armée malienne et des combattants étrangers d’avoir exécuté 500 personnes en 2022 à Moura.
Tout en demandant le retrait de la Minusma, les autorités maliennes, représentées à l’ONU par le ministre des Affaires étrangères, affirment alors sans détour que le bilan de l’action de la Minusma est un échec. Selon Bamako, la mission des Nations unies n’a pas obtenu de résultats probants, notamment sur l’aspect sécuritaire.
La Minusma a fait énormément de choses pour le Mali.
Bréma Ely Dicko, sociologue malien, maître de conférences à l’université des lettres et des sciences humaines de Bamako.
Une position que nuance d’emblée le sociologue malien Bréma Ely Dicko, maître de conférences à l’université des lettres et des sciences humaines de Bamako.
« La Minusma a fait énormément de choses pour le Mali. Quand elle est arrivée, elle a permis de rassurer les populations, notamment dans les régions où elle s’est installée, en leur disant par exemple qu’il n’y aurait pas de violations graves des droits de l’homme. », affirme ainsi Bréma Ely Dicko.
Et il ajoute : « À l’époque, il y a eu le coup d’État, et une partie des forces armées du président Amadou Toumani Touré se sont repliées à Bamako, et donc les trois villes du nord sont tombées sans combattre. Et la zone était sous occupation. »
Ancien ambassadeur de France au Mali et chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), Nicolas Normand estime pour sa part que : « Le bilan de la Minusma n’est pas un échec. Bien entendu, elle n’a pas réglé la question sécuritaire au Mali. Mais ce n’était pas son rôle. Son rôle était essentiellement d’assurer une continuité à l’accord d’Alger. »
« L’accord d’Alger n’a pas été appliqué, mais au moins la Minusma garantissait que cet accord survivait. Et puis la Minusma garantissait la présence de l’Etat dans les villes du Nord. Grâce à ses nombreux camps, elle assurait une présence armée dissuasive vis-à-vis de tous les groupes armés dans les villes du nord. », précise Nicolas Normand.
Au regard du chaos sécuritaire dans lequel le Mali s’enfonce aujourd’hui, la tentation est en effet grande de faire porter la responsabilité de la situation à la mission des Nations unies.
« Il est cependant nécessaire de rappeler que la mission première de l’Etat malien était justement de se redéployer et de prendre le relais des Nations unies sur le territoire du nord du pays qui a fait l’objet de l’accord de paix signé en 2015, à Alger. », souligne ainsi Aurélien Llorca, chercheur associé à l’Institut de hautes études internationales et du développement, de Genève, en Suisse.
Porte-parole de la Minusma, Fatoumata Kaba estime que : « La Minusma a fait énormément de choses au Mali pendant ces dix ans. Qu’il s’agisse de la protection des civils ou encore de la réconciliation communautaire. »
« Quand je dis protection des civils, il s’agit de leur apporter la sécurité. Par exemple, dans la plupart des endroits où nous étions, grâce à la présence de la Minusma, qui était très dissuasive, il y avait une baisse des incidents de sécurité. », ajoute Fatoumata Kaba.
De nombreuses opérations humanitaires telles que la réhabilitation d’écoles et de centres de santé ont effectivement été financées par la Minusma, afin de venir en aide aux populations locales. Et parfois, les entrepreneurs des localités concernées ont pu ainsi accéder à des petits marchés.
La présence de la Minusma a donc eu un impact réel pour certains opérateurs économiques, y compris en termes d’emploi. « Dans ces localités-là, beaucoup de personnes qui étaient des diplômés sans emploi ont été embauchés comme cadres ou comme ouvriers. Ce qui a généré énormément de ressources au niveau des régions. D’ailleurs, le marché locatif a aussi connu un boom. », affirme ainsi le sociologue malien Bréma Ely Dicko.
Par ailleurs, à cause de l’insécurité qui rend les routes quasiment impraticables, la Minusma est devenue au fil des ans un rouage important du « réseau de transport » malien. Les officiels locaux par exemple, empruntaient régulièrement les avions de la Minusma.
Aux yeux d’une partie des populations maliennes, en particulier celles les moins concernées par le déploiement de la Minusma, l’organisation onusienne est devenue au fil des ans une agence humanitaire et de développement.
« Depuis 2015 au moins, le Mali a demandé régulièrement que la Minusma soit dotée d’une unité de lutte contre le terrorisme, en disant que les actions de développement qu’elle mène sont plutôt du ressort du gouvernement malien ou d’autres agences onusiennes. », précise à cet égard le sociologue malien Bréma Ely Dicko.
Et il ajoute : « L’idée n’est pas de dire qu’elle n’a pas servi à grand-chose. Mais sur le plan sécuritaire, elle n’a pas contribué à stabiliser le territoire. »
Avec le retrait de la Minusma, la situation pourrait devenir encore plus chaotique. Dans une lettre adressée aux membres du conseil de sécurité le 23 août 2023, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, fait part de son inquiétude concernant le retrait engagé des Casques bleus du Mali.
Outre l’absence de protection des populations civiles et les possibilités de violations des droits humains, le départ de la Minusma crée « des opportunités pour les groupes extrémistes violents d’étendre leurs activités, avec des risques de débordement dans les pays voisins. »
Le vide créé de facto par le retrait de la Minusma, pourrait donc bénéficier très rapidement aux djihadistes. « Je pense qu’il y a un facteur déterminant dans ce type de situation, c’est que le vide n’existe pas, et c’est toujours l’état des rapports de force qui va déterminer en fait celui qui prendra la relève. Aujourd’hui, les rapports de force sont extrêmement favorables aux groupes d’inspiration djihadistes. », souligne à cet égard Aurélien Llorca.