Le soulèvement égyptien vous a-t-il enthousiasmé ? En réalité, malgré tous les aspects positifs, je ne suis pas entièrement enthousiaste. Je trouve par exemple que nous ne laissons pas assez de temps au temps. Tout de même, nous devons nous préparer aux changements. Jeudi, deux jours avant le référendum constitutionnel du 19 mars sur les premières réformes du processus électoral, j’ai organisé dans nos ateliers, avec tout le personnel, des ouvriers aux agents de maîtrise ou commerciaux, et aux directeurs, une réunion à l’heure de la pause, plus longue pour l’occasion, avec un ami politologue. Et cela a été absolument formidable : la rencontre a duré presque deux heures. Nous étions sans doute 250. Et il est résulté un dialogue passionnant ouvert par les femmes, à ma demande. Tous voulaient poser des questions, des ouvriers aux directeurs. Avec en arrière plan, une certaine inquiétude, celle de savoir ce qui se passe si on vote oui, si on vote non, est-ce que le peuple sera vraiment entendu, est-ce que nous aurons pus de sécurité. Parce que cette période d'attente est aussi propice à l'inquiétude. À toutes ces questions, notre interlocuteur a répondu très patiemment. C’est une idée qui m’était venue, due a un sentiment d'inquiétude que j'ai saisie durant quelques échanges avec mes modélistes., en travaillant ensemble sur plusieurs essayages de nouveaux modèles. Ces discussions nous permettrons, je l'espère, à tous de voter en meilleure connaissance de cause. C’est une première étape, mais essentielle : cela nous apprend à parler, à écouter et surtout à nous entendre. Pour cela, j’avais fait appel au Dr Mahmoud El Alaili (le fils de notre grand acteur Ezzat El Alaili), qui est tout à la fois un ami, membre de ma fondation Ana EL Masry d’aide - destinée réhabiliter et éduquer les enfants sans abri -, un écrivain, même s’il est dentiste de profession, et qui est un personnage médiatique et qui est en train de créer un nouveau parti politique démocratique. Le mouvement issu de la révolution de février 2011 tient-il ses promesses ? Je suis très favorable aux changements annoncés. Mais en même temps, je trouve que le référendum est prématuré, parce que le travail constitutionnel est loin d’être fini. Ce qui amènera une élection présidentielle à mon avis trop rapidement, alors que de nouvelles forces politiques sont seulement en train d’émerger. Il aurait fallu organiser une nouvelle loi constitutionnelle basée sur une force parlementaire, ce qui demande plus de temps au lieu de voter sur une ancienne loi qui a connu plusieurs changements depuis 1971, sous Sadate, puis en 1982 par Moubarak et récemment ces deux dernières semaines par ordre de l'armée égyptienne, sous la pression des demandes de la révolution. Cela nous aurait permis de mûrir politiquement. Et de nous faire notre opinion à l’aide d’arguments plus fouillés. Les femmes sont-elles impliquées dans le processus de démocratisation ? il faut rappeler que le gouvernement d’Hosni Moubarak avait instauré des quotas lors des élections législatives de novembre 2010 afin de favoriser la représentation élective des femmes… En ce qui me concerne, je ne suis pas favorable aux quotas. Là aussi, un travail de fond et patient de la société est plus efficace que les changements à marche forcée. Pour ma part, je n’ai pas encore d’ambition politique de ce genre. Il me semble que j’ai un rôle plus important et plus conséquent pour mon pays dans les domaines économique et social. Du côté économique, je cherche à renforcer ma marque au niveau international, ce qui permettra, grâce aux exportations d’augmenter les emplois dans notre groupe. Sur le plan social, je travaille beaucoup avec les enfants, parce qu’ils sont la richesse et l’avenir de notre pays – 65% des Égyptiens ont moins de 30 ans, à travers la fondation I The Egyptian qu'avec des amis actifs dans le travail humanitaire, nous avons créée en 2007. Je suis en train de mettre sur pied une grande chaine de volontaires de haut niveau pour nous accompagner dans cette démarche. Je crois beaucoup au travail des bénévoles dans le domaine social. Et il faut se donner les moyens de former au mieux la nouvelle génération. C’est une croyance et une initiative de mon père : il avait créé dans notre Groupe, et par la suite c’est devenue ma partie, une école de couture permettant d'accueillir 200 élèves ; puis nous avons installé une autre école, d’agriculture cette fois, autre secteur essentiel à l’Égypte, en septembre 2010, avec l'aide l'aide du Rotary club. Dans ces écoles, les élèves apprennent dans une formation en alternance : ils étudient trois jours et pratiquent deux autres, un travail pour lequel ils reçoivent un vrai salaire, ce qui leur permet de ne pas être une charge pour leurs familles et de poursuivre leurs études. Nous y accueillons 70 % de jeunes filles. Tous et toutes pourront ensuite s’ils le souhaitent venir travailler dans nos usines et ateliers. Par ailleurs, pour aller encore plus loin, nous allons aussi ouvrir très prochainement, une université technologique.
Vous êtes née dans une famille copte. Le mouvement en cours permettra-t-il un rapprochement entre Coptes et Musulmans, après les tueries de chrétiens durant l’année 2010 ? Je suis égyptienne avant tout. Certes, je suis de religion chrétienne, mais d’abord égyptienne et je travaille à la réconciliation entre tous les Égyptiens, au respect entre les uns et les autres, au vivre ensemble. Coptes et Musulmans, nous formons un tout unique. Comme toutes les civilisations passées en Égypte, grecque, romaine, juive, chrétienne, depuis 7000 ans. C’est notre force, notre richesse, cette addition de cultures. Qui se ressent dans le mouvement actuel qui tend à lutter contre les extrêmes, qu’ils soient musulmans ou chrétiens. Je sens une tendance vers la laïcité, menée surtout par les partis libéraux. Ce sera progressif, mais on y arrivera. Les transformations de la société égyptienne accompagnent-elles votre travail ? Se feront-elles sentir dans vos prochaines collections ? L’Égypte m’a toujours influencée, depuis que j’ai commencé toute jeune. Quand j’ai lancé ma propre marque, en 1989, j’avais tout juste 22 ans et vous pouvez imaginer que je puisais mes inspirations chez mes amies égyptiennes, celles qui avaient mon âge. À l’époque on a d’ailleurs écrit que je travaillais uniquement pour les jeunes filles, et par pour des femmes qui portaient des tenues d'une taille supérieure au 46. Avec le temps, ces jeunes filles ont vieilli, comme moi, et la société égyptienne a évolué… Donc il m’a fallu m’adapter au temps qui passait et j’ai commencé aussi à habiller des femmes plus rondes et plus mûres. Et mes amies musulmanes qui avaient avancé en âge, se sont mises à vouloir porter des foulards et à rallonger leurs jupes. Et donc aujourd’hui, j’offre des foulards dans mes accessoires, et j’ai allonger les jupes de 7 à 10 centimètres, tout en continuant à vêtir aussi les jeunes filles. Mes petites vestes courtes sans manches ont aussi maintenant une déclinaison longue qui couvre les hanches et les bras. Je fais une sorte de grand écart à l’image de la société égyptienne. Ma ligne européenne me donne beaucoup moins de travail !