A moins d'un mois du vingtième anniversaire du génocide des Tutsi du Rwanda, dans lequel son rôle a été très critiqué, la France a mené à son terme un procès historique en condamnant pour la première fois un Rwandais impliqué dans cette tragédie. Ancien capitaine de la garde présidentielle, reconverti dans la police politique après l'accident qui l'a cloué dans un fauteuil roulant en 1986, Pascal Simbikangwa a été condamné vendredi 14 mars à 25 ans de réclusion criminelle pour crime de génocide et complicité de crime contre l'humanité par la cour d'assises de Paris, au terme d'un procès fleuve de six semaines. C'est la toute première fois que la France jugeait un présumé génocidaire, alors même que les premières plaintes contre des responsables du régime hutu qui a mené le génocide remontent à 1995, un an à peine après les faits. La justice française, qui refuse systématiquement d'extrader des Rwandais recherchés par Kigali, a jugé Pascal Simbikangwa au nom de la "compétence universelle" pour les crimes les plus graves. Le régime rwandais post-génocide, issu de la rébellion tutsi dont la victoire en juillet 1994 mit fin aux massacres ayant fait 800.000 morts en 100 jours, principalement des Tutsi mais aussi des Hutu "modérés", a régulièrement reproché à la France d'avoir soutenu le régime génocidaire, puis protégé ses responsables dans leur fuite. Les mauvaises relations entre les deux pays ont été jusqu'à la rupture des relations diplomatiques en novembre 2006, après la délivrance par le juge français Jean-Louis Bruguière de neuf mandats d'arrêt contre des dirigeants rwandais dans le cadre d'une enquête sur l'attentat du 6 avril 1994 dans lequel fut tué le président hutu Juvénal Habyarimana, assassinat déclencheur des massacres. - Pas question de la France - Les liens avaient été rétablis en novembre 2009, mais le Rwanda avait entretemps officiellement accusé un certain nombre de militaires français d'avoir facilité, voire participé, au génocide, dont l'un, le colonel de gendarmerie en retraite Michel Robardey, a d'ailleurs témoigné au procès Simbikangwa. Mais du rôle de la France dans le génocide, il n'a pas été question tout au long des audiences. Et à l'ambassadeur belge (ancienne puissance coloniale) en poste à Kigali au moment du génocide, Johan Swinnen, qui s'étonnait en déposant "qu'aucun membre de l'ambassade de France (de l'époque) ne témoigne", le président de la cour d'assises de Paris Olivier Leurent n'a pu que répondre: "Comme vous le savez, monsieur l'ambassadeur, ce n'est pas le président de la cour d'assises qui cite les témoins". La défense de Pascal Simbikangwa ne s'est d'ailleurs pas privée de dénoncer "un procès politique", tombant à pic à quelques semaines des commémorations des vingt ans du génocide. "Vous ne jugez pas la France de 1994. (...) L'actionnaire principal du pôle génocide (du parquet de Paris créé en 2012) c'est l'Etat français, et il faut que l'action soit au plus haut, la perpétuité. Sinon l'Etat français ne sera pas content, l'Etat de Kigali non plus", a fustigé un de ses avocats, Fabrice Epstein. Du côté des parties civiles on se félicite au contraire que, même tardivement, la France donne ainsi un premier signe de sa volonté de lutter contre l'impunité. Patrick Baudoin, avocat et président d'honneur de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme, a ainsi jugé "indispensable que des procès puissent se tenir (...) même 20 ans après les faits et même à des milliers de kilomètres du lieu de perpétration des crimes". Dafroza Gauthier, du Collectif des parties civiles pour le Rwanda, dont la plainte contre le capitaine Simbikangwa a débouché sur ce procès, a quant à elle estimé, très émue à l'issue du verdict, que "ce n'est pas la fin, c'est le début". Vingt-sept informations judiciaires sur le Rwanda sont actuellement traitées au "pôle génocide" du parquet de Paris, dont deux sont proches de la fin de l'instruction.