Fil d'Ariane
Kizito Mihigo est mort par asphyxie, “avec la pendaison comme cause la plus probable”. Dix jours après la mort du chanteur dans une prison de Kigali, le Bureau rwandais des investigations n’émet aucun doute : Mihigo s’est suicidé. Il aurait utilisé des draps pour se pendre à la fenêtre de sa cellule.
Selon le rapport, les policiers de garde ont assuré n’avoir rien entendu car ils étaient loin de la cellule du chanteur. En conclusion, il n’y a pas de motif pour engager des poursuites pénales, estime le procureur général qui signe le communiqué publié mercredi 26 février.
Kizito Mihigo, 38 ans, célèbre chanteur de gospel, est mort le 17 février 2020. Quatre jours plus tôt, il avait été arrêté alors qu’il cherchait, selon la police, à traverser la frontière entre le Rwanda et le Burundi dans le but de rejoindre des "groupes terroristes" hostiles à Kigali.
Mihigo avait été condamné à une peine de dix ans de prison en 2015 pour "conspiration contre le gouvernement" avant d'être remis en liberté en septembre 2018. Il avait alors été gracié par le président Paul Kagamé avec 2000 autres prisonniers politiques, mais restait sous étroite surveillance.
Il est peu probable que le rapport officiel dissipe les soupçons sur les circonstances de la mort de Kizito Mihigo.
Dans une courte enquête publiée le 21 février, la chaîne britannique Channel 4 diffuse deux extraits d’un document jusque-là confidentiel : un enregistrement réalisé par le chanteur en 2016 depuis sa cellule. On l’y entend raconter les pressions et intimidations dont il a pu faire l’objet de la part des autorités rwandaises après la sortie de sa chanson "Explication de la mort", lui demandant de présenter des excuses et de changer de comportement faute de quoi “il mourrait en prison”. Kizito Mihigo aurait demandé que ce document audio soit utilisé si jamais il venait à disparaître.
Un autre document est apparu via Twitter. Un journaliste britannique, Benedict Moran, publie une interview du chanteur réalisée en 2018 alors qu’il était en prison.
An excerpt from an interview with #KizitoMihigo, done in secret while he was imprisoned in 2018. "Rwanda is an open-air prison... If you bring up the subject of other victims, people who were killed by the RPF, you're labeled a genocide denier, or a revisionist." #rwanda pic.twitter.com/VnEzXxeGeG
— Benedict Moran (@benmoran) February 21, 2020
Rapidement après sa mort, plusieurs organisations de défense des droits humains, dont Human Rights Watch et Amnesty International ont demandé une enquête indépendante. Appel relayé par les autorités britanniques qui, à quelques mois du sommet du Commonwealth prévu en juin à Kigali, ont réclamé une "enquête prompte, indépendante et transparente des autorités rwandaises". Washington s’est également dit vigilant quant aux conclusions de l’enquête.
A Bruxelles, on s’est contenté de saluer l’ouverture de l’enquête dont les conclusions ont été rendues hier, la Commission européenne considérant qu’elle devait "permettre de clarifier les circonstances de la mort de Kizito Mihigo".
Au sein de l’opposition rwandaise (non reconnue), l’impartialité de l’enquête officielle est également mise en cause. "Nous aurions aimé que le gouvernement accepte une enquête indépendante", expliquait Victoire Ingabire sur Radio France Internationale.
Citées également par RFI, les autorités rwandaises balaient toute remise en cause des investigations officielles et accuse les "génocidaires, négationnistes, groupes armés et suppôts de l'étranger" d'une "exploitation politicienne de sa mort".
La mort de Kizito Mihigo a également déclenché une vague de rumeurs et de bidonnages sur les réseaux sociaux, au point que la famille du chanteur a dû publier un communiqué condamnant la récupération politique et réclamant que l’on arrête de partager de "fausses images du corps prétendument torturé de Kizito Mihigo".
Dans un article publié après la mort du chanteur, l’organisation Human Rights Watch souligne qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé et qu’elle a documenté "de nombreux cas d’arrestations arbitraires, de détention, de poursuites en justice non fondées, de meurtres, d’actes de torture, de disparitions forcées, de menaces, d’actes de harcèlement et d’intimidation contre des opposants et des détracteurs du gouvernement au Rwanda".