Fil d'Ariane
Est-ce le début du retour de la langue française au Rwanda ? Emmanuel Macron inaugurera le nouveau centre culturel francophone de Kigali lors de sa visite du 27 au 29 mai. Le Rwanda possède quatre langues officielles : la kinyarwanda, le français, l’anglais et le swahili. Si le kinyarwanda est parlé par 99% de la population, le français demeure la deuxième langue la plus parlée dans le pays, devant l’anglais. L’anglais gagne cependant du terrain sur le français depuis une dizaine d’années.
(Re)voir : A vrai dire où en est le français au Rwanda ?Sur quelque 12,5 millions de d’habitants du Rwanda, 725 000 parlent français selon l'Organisation internationale de la francophonie (OIF). L’actuelle directrice de l’OIF et ancienne ministre des affaires étrangères rwandaise Louise Mushikiwabo en fait partie.
L’anglais a pris le pas sur le français
Philippe Durand-Massé, directeur de l'École francophone Antoine-de-Saint-Exupéry de Kigali
Philippe Durand-Massé est directeur de l'École francophone Antoine-de-Saint-Exupéry de Kigali depuis deux ans et demi. Son établissement accueille près de 400 élèves et dispense des cours en français. Son constat est sans appel. “Le nombre de locuteurs français au Rwanda n’est plus sur la pente ascendante. L’anglais a pris le pas sur le français”.
Mais tout n’est pas perdu pour le français au Rwanda. Philippe Durand-Massé remarque que “le français revient au goût du jour”. “Il y a une appétence des jeunes parents pour le français”, explique celui qui travaillait auparavant pour l’Alliance française au Zimbabwe. D’après lui, les parents souhaitent que leurs enfants commencent à pratiquer le français tôt, pour faciliter l’apprentissage de cette langue réputée plus dure à maîtriser que l’anglais.
Le français fait partie de la culture du Rwanda
Philippe Durand-Massé
Pour le chef d'établissement, la place du français demeure importante dans le pays. “Le français fait partie de la culture du Rwanda”, d’après lui. Il continue : “Ici, on chante et on danse en français”, mais on échange rarement dans cette langue. Evariste Ntakirutimana décrit le français comme “une langue de prestige mal implantée”. L’ensemble de la population rwandaise parlant le kinyarwanda, le français est toujours resté au second plan dans les interactions populaires dans le pays et aujourd’hui, “le ‘tout en anglais’ s’impose”, d’après le chercheur.
L’école francophone dirigée par Philippe Durand-Massé a fermé deux fois depuis son ouverture en 1973. Une première fois lors du génocide de 1994, une deuxième suite à la rupture des relations diplomatiques entre le Rwanda et la France entre 2006 et 2009. L’anglais devient la langue officielle de l’enseignement en 2008, traçant un avenir “incertain” au français dans le pays d’après M. Ntakirutimana. L’ouverture du Centre culturel francophone par Emmanuel Macron contribuera peut-être à ralentir le recul du français au Rwanda.
La question de la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsis a été au coeur de vives tensions entre Kigali et Paris. En outre, en 2006, le juge français Jean-Louis Bruguière émet un mandat d’arrêt contre le président Paul Kagame et des officiers de l’armée rwandaise. Le juge les accuse d’être impliqués dans l’explosion de l’avion transportant Juvénal Habyarimana en avril 1994.
L'assassinat de président hutu est l’élément déclencheur du génocide des Tutsis. Face à ces accusations, le président Kagame coupe les relations diplomatiques avec la France de 2006 à 2009.
Après le génocide de 1994, le français se retrouve alors en concurrence avec l’anglais. L’anglais était la langue parlée par les exilés tutsis revenus d’Ouganda qui ont formé l’administration à la suite du génocide. Paul Kagame lui-même a été éduqué en Ouganda. Son administration a toujours nié que sa décision de n’enseigner qu’en anglais à partir de 2008 était motivée idéologiquement ou politiquement.
L’idée serait d’ouvrir le Rwanda sur le monde grâce à l’enseignement de cette langue internationale. Cette décision aurait aussi facilité l’intégration du Rwanda à la Communauté des pays d’Afrique de l’Est dont les membres sont anglophones. Elle précède aussi l’intégration du pays au Commonwealth.
S’il n’a pas l’impression que le français soit “une langue à éliminer”, Philippe Durand-Massé, directeur de l’école francophone, concède que l’offre culturelle “n’est vraiment pas incroyable à Kigali”. Pas sûr que la décision du gouvernement français d'ouvrir un centre culturel francophone, sept ans après la fermeture de l’Institut Français, soit simplement motivée par la volonté de développer l’offre culturelle rwandaise. La présidence entend “faire rayonner toutes les ressources de la francophonie” dans une région du continent principalement anglophone. Forte en symbole, l’ouverture de ce centre témoigne de la normalisation des relations entre les deux pays. M. Durand-Massé a lui hâte de pouvoir y amener ses élèves. "Ça va nous faire du bien”, conclut-il d’un ton jovial.