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Dafroza et Alain Gauthier à Reims, le 27 mars 2024. (Amira Mahfoudi/TV5MONDE)
Ils sont surnommés les “Klarsfeld du Rwanda”. Dafroza et Alain Gauthier font la traque des génocidaires présumés, réfugiés en France. Grâce à ses enquêtes, le couple franco-rwandais a pu porter plainte contre 32 personnes auprès de la justice française. Rencontre.
Dafroza et Alain Gauthier habitent à Reims depuis près de trente ans. Dans leur quotidien, il ne se passe pas une journée sans qu’ils parlent du génocide des Tutsis au Rwanda. L’histoire de ces massacres est devenue celle de leur couple. Dafroza Gauthier est Rwandaise. Elle a quitté sa ville natale, Butare, en 1973. Elle perd en 1994 quasiment toute sa famille qui est restée au pays. Ses parents sont assassinés par les génocidaires. Pour le couple Gauthier, “le travail de justice doit absolument être mené à deux”.
Du 7 avril au 17 juillet, le Rwanda est le théâtre du dernier génocide du XXe siècle qui a coûté la vie à près d'un million de personnes.
Lire Les dates clés du génocide des Tutsis
TV5MONDE : Depuis plus de vingt ans, vous vous êtes engagés auprès de la justice pour traquer les présumés responsables du génocide des Tutsis au Rwanda qui se trouvent en France. D’où vient cet engagement ?
Alain Gauthier. Les premiers temps, nous avions eu le sentiment d’être impuissants face aux massacres parce qu’au moment du génocide nous nous retrouvions à Reims dans l’est de la France. Nous avons vécu ces trois mois, d’avril à juillet, dans le combat incessant pour alerter les médias et les citoyens français et pour dénoncer l’inertie des autorités françaises et de la communauté internationale. Et c’est de là que nous avons décidé de ne jamais arrêter ce travail de citoyens.
Dafroza Gauthier. C’est un engagement qui s’est imposé à nous et à notre couple. La première chose que nous avons faite était de secourir et de faire un recensement des survivants et des personnes que nous avons perdus. Nous avons voulu aider les rescapés à panser la plaie, mais aussi à tenter de les accueillir. Dès notre retour au Rwanda, en 1996, nous avons commencé à écouter les rescapés et à collecter les récits. Nous avons vite compris que notre travail qui est un combat contre l’oubli et un travail de mémoire était plus qu’indispensable.
(Re)Voir Génocide des Tutsis de 1994 : paroles de rescapés [LeMémo]
TV5MONDE : En 2001, vous avez créé le Collectif des parties civiles pour le Rwanda. Vous êtes à l’origine d’une trentaine de plaintes contre des personnes soupçonnées avoir participé au génocide. Comment est née l’idée de créer le Collectif des parties civiles pour le Rwanda ?
Alain Gauthier. Ce n’est que deux ans plus tard que nous avons eu le courage de retourner sur les lieux. Notre premier acte de citoyens s’est fait en 1996 dès notre premier retour au Rwanda après le génocide. Nous savions que n’allions pas retrouver personne de la famille. C’est à partir de ce moment-là que nous avions commencé à rencontrer des rescapés et nous nous étions associés à une plainte contre un prêtre d’une église soupçonné d’avoir participé au génocide à son échelle.
Nous avions continué à recueillir ces témoignages sans savoir vraiment quoi en faire. On les remettait donc à des avocats qui travaillaient fréquemment sur le dossier du génocide. C’est en 2001 que nous avions véritablement commencé le travail après le procès des “quatre de Butare” à Bruxelles en Belgique, nos amis belges nous ont demandé ce que l’on fait en France. Avec Dafroza et des amis, nous avons ainsi décidé de créer cette association avec l’objectif de poursuivre en justice les personnes qui sont soupçonnées d’avoir participé au génocide et qui ont été invitées complaisamment sur le sol français.
Depuis la création de l’association, nous nous constituons partie civile dans plusieurs procès et nous apportons les preuves et les témoignages que nous avons réunis grâce à nos enquêtes
Dafroza Gauthier
Dafroza Gauthier. Après le génocide, nous nous sommes retrouvés à faire ces enquêtes avec nos propres moyens. Nous prenions nos enfants sous les bras pour les faire. Au départ, nous avons mis de nos propres moyens. Le collectif s’est constitué progressivement. Nous avons eu des adhésions qui ont pu alimenter les dépenses nécessaires pour les déplacements et les enquêtes. Au départ, nous sommes partis comme des dingues. On s’est dit qu’il faut y aller. Nous n’avons pas réfléchi et nous ne le regrettons pas. Depuis la création de l’association, nous nous constituons partie civile dans plusieurs procès et nous apportons les preuves et les témoignages que nous avons réunis grâce à nos enquêtes. Sans le collectif, nous n’aurions pas pu continuer à réaliser le travail que nous faisons.
Un génocide change complètement votre vie. Il y a la vie d’avant et celle d’après. Nous n’avons plus les mêmes repères. Nous n’avons plus de famille. Notre espace de vie est envahi par ces souvenirs atroces et par les victimes de ce génocide.
Dafroza Gauthier.
TV5MONDE : Comment vous parvenez à allier votre combat pour la justice et votre vie personnelle ?
Alain Gauthier. Il est vrai que depuis presque trente ans, nous nous sommes lancés dans ce combat pour la justice au service des victimes. Bien évidemment que cela a bouleversé notre vie familiale. Cet engagement est chronophage. On a pris beaucoup de temps qu’on aurait pu consacrer à nos enfants. Cela a donné un autre sens à notre couple. Nous avions eu la chance, pour la durée de notre couple, de faire ce combat ensemble. Autrement, cela aurait pu briser notre couple.
(Re)Voir La France face au génocide : "Papa, qu'est-ce qu'on a fait au Rwanda ?"
Dafroza Gauthier. Le combat pour la justice est tellement rude que nous ne pouvons le mener qu’à deux. Sinon, notre couple n’aurait pas pu durer. Il est impossible d’avoir des programmes différents. C’est quasiment comme un ménage à trois. Nous avons absolument besoin d’un soutien mutuel. On ne peut pas tenir seul. Nous avons la chance de le mener à deux.
TV5MONDE : Comment vous vous êtes reconstruite après le génocide ?
Dafroza Gauthier. Le génocide donne le vertige à tous. C’est un moment hors-champ. Il y a des jours où je me dis que cet événement n’a peut-être pas eu lieu. Un génocide change complètement votre vie. Il y a la vie d’avant et celle d’après. Nous n’avons plus les mêmes repères. Nous n’avons plus de famille. Notre espace de vie est envahi par ces souvenirs atroces et par les victimes de ce génocide. L’année 1994 est l’année zéro. On recommence tout à zéro.