Fil d'Ariane
TV5MONDE : Comment peut-on interpréter cette opération de bombardement par le Front Polisario ?
Khadija Mohsen-Finan : Il s’agit d’une réponse à l’attaque marocaine de Guerguerat qui a eu lieu à la mi-novembre 2020. Le secrétaire général du Front Polisario avait menacé d’une reprise des armes, il voulait revenir au conflit armé.
Et avec la normalisation en décembre des relations entre le Maroc et Israël avec ce troc en arrière-plan de deux colonies : "je ne dis rien sur ta colonisation de la Palestine et en contrepartie les États-Unis reconnaissent le fait que le Sahara occidental appartient au Maroc", ça a beaucoup déplu au Front Polisario et à l’Algérie. Il n’y a pas eu de réplique immédiate forte de la part de l’Algérie parce que l’exécutif est très affaibli. Très vraisemblablement, ils ont voulu faire cette opération militaire pour rappeler à la communauté internationale que le règlement de ce conflit est toujours sur la table des Nations Unies, qu’on ne peut pas contourner le droit international, qu’on ne peut pas se priver de la consultation des populations concernées et que rien n’est réglé dans le conflit du Sahara occidental aujourd’hui.
Les grands sacrifiés de cette triangulaire, c'étaient les Sahraouis.
Khadija Mohsen-Finan
L’Algérie est plutôt silencieuse récemment. Est-ce que leur soutien au Front Polisario tient toujours ?
Il y a eu une condamnation après le bombardement de Guerguerat, mais c’était une condamnation très molle : l’Algérie appelait les deux parties à la négociation, à plus de sagesse etc. L’Algérie n’est pas montée au créneau pour défendre le Front Polisario et dans cette triangulaire entre Israël, le Maroc et les États-Unis, la normalisation a été considérée comme un mépris des Sahraouis. À ce moment-là, on a parlé de tout : du contournement du droit international, du droit des Palestiniens, on a essayé de voir ce que pouvait en tirer le Maroc, mais personne n’a parlé des Sahraouis et de leur destin. Les grands sacrifiés de cette triangulaire, c’étaient les Sahraouis.
Sur qui les Sahraouis peuvent-ils compter alors ?
Ça, c’est une grande question ! L’ONU a dit que le conflit n’était pas réglé et que ça restait un territoire non autonome, c’est-à-dire qu’il fait partie des territoires encore à décoloniser. La résolution de ce conflit est aujourd’hui un dossier confié aux Nations Unies depuis 1991. Il y a effectivement un pays qui condamne toujours et par tradition, c’est l’Afrique du Sud mais le pays est loin et n’a plus beaucoup d’effet sur les prises de décision au sein de l’Union africaine. Ils peuvent compter sur l’Algérie mais l’Algérie est repliée sur ses propres problèmes. Donc sur qui ils peuvent compter… C’est une grande question au moment où le Maroc est en train d’essayer de faire pression sur des pays européens pour qu’ils rejoignent la décision de Donald Trump et notamment sur l’Espagne.
Est-ce que le président Biden peut changer quelque chose à la décision de Trump ?
Non. Je pense que ça ne changera rien. Il ne changera rien d’abord parce que c’est difficile de le faire, d’autre part parce qu’il n’a pas très envie de le faire et de se brouiller avec le Maroc. Biden peut effectivement ajouter une ou deux closes en disant que ça devrait se faire conformément au droit international et que c’est regrettable de ne pas avoir consulté les populations concernées ou autre. Mais fondamentalement, ça ne changera rien à mon avis.