Fil d'Ariane
TV5MONDE : Les Algériens sont plutôt agressifs dans leur discours... À quel type de riposte peut-on s’attendre ?
Khadija Mohsen-Finan : Il est très probable que le conflit prenne d’autres formes, qu’il se prolonge et s’étende au delà des frontières du Sahara occidental et du Maghreb, notamment en Libye ou encore au Mali.
TV5MONDE : Un affrontement militaire direct entre les deux pays est-il à exclure ?
Khadija Mohsen-Finan : Rien n’est à exclure car les deux pays sont surarmés, mais ça n’est pas dans leur intérêt. Le Maroc a pour stratégie de se tourner vers l’Afrique avec une ambition de leadership. Se plonger dans un conflit armé ne l’arrangerait pas du tout, même s’il en a les moyens matériels. De l’autre côté, pour l’Algérie, il suffit d’une tension, a minima, pour que le pouvoir ravive le nationalisme. Mais aller plus loin, pour un pouvoir déjà en situation de divorce avec sa société ne l’arrangerait pas. Je ne pense donc pas qu’ils s’affronteront, militairement, mais ils peuvent passer par d’autre biais.
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TV5MONDE : Peuvent-ils entrer dans une forme de guerre par procuration ?
Khadija Mohsen-Finan : Alger peut armer le Front Polisario, il peut passer par une entente avec les Maliens sur tel ou tel positionnement ou peut activer le levier énergétique. Ce qu’on peut qualifier de guerre énergétique a d’ailleurs déjà commencé. Il s’agit désormais de ne pas acheminer le gaz naturel algérien par le Maroc, mais de le faire passer directement sous la Méditerranée. C’est une façon, pour l’Algérie, d’handicaper économiquement le Royaume du Maroc en le contraignant à acheter le gaz algérien directement à l’Espagne. L’engagement d’Alger sur cette voie, montre que le pays est sensible à ce qu'il s'est passé et s'engage dans l’affrontement avec le Maroc.
TV5MONDE : En réaction, le Maroc pourrait-il se tourner vers d’autres partenaires énergétiques ?
Khadija Mohsen-Finan : Ça n’est pas si simple que cela. Il y a la question de la distance, du coût et de la possibilité, pour les pays exportateurs, d’acheminer leur gaz, qui entre en compte. La proximité géographique est quand même un grand atout quand on achète du gaz. Ça n’est donc pas à exclure, mais la solution la plus simple, pour le Maroc, est de se fournir en gaz algérien auprès de l’Espagne. On est donc dans une situation complètement ubuesque, avec deux pays voisins qui ne vont plus échanger sur le plan économique et énergétique.
TV5MONDE : Comment explique-t-on l’absence de réaction de Rabat, après les accusations et les menaces d’Alger ?
Khadija Mohsen-Finan : Stratégiquement, le Maroc veut mettre en avant sa sagesse et sa pondération, face à une Algérie qu’il veut dépeindre comme étant entraînée par la colère et la déraison. Mais quand on y regarde de plus près, la violence est de part et d’autre. Lorsque l’ambassadeur du Maroc aux Nations Unies parle d’autodétermination à donner au "vaillant peuple de Kabylie", c’est une violence. Lorsque sur le territoire marocain, le ministre israélien des Affaires étrangères dit que l’Algérie déstabilise le Maghreb, c’est aussi une violence. Le mépris du droit international, par l’administration Trump, en faveur du Maroc, alors que le règlement du Sahara occidental est confié aux Nations Unies, constitue lui aussi une violence. On constate donc que le discours marocain ne correspond pas aux faits. Il n’y a pas, d’un côté, l’Algérie, qui serait un État violent et de l’autre, le Maroc, qui serait sage.
TV5MONDE : Quid du rôle de l’administration Biden, qui arrive après l’alliance entre Maroc et États-Unis, sous l'administration Trump, autour de la question de la normalisation des relations avec Israël ?
Khadija Mohsen-Finan : Jusqu’à présent l’administration Biden n’est pas revenue sur le dossier du Sahara occidental et ne reviendra sûrement pas dessus. Néanmoins, il est possible qu’elle œuvre à aller vers un habillage juridique de la résolution de ce conflit. À mon avis, l’administration Biden ne serait pas gênée de voir le Sahara occidental attribué au Maroc, à condition que les formes juridiques du droit international soient respectées. Cela implique donc le fait que ça se fasse par le biais des Nations Unies, quelle que soit la forme.
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TV5MONDE : De quelle marge de manoeuvre dispose la communauté internationale dans le règlement de ce conflit ?
Khadija Mohsen-Finan : Les Nations Unies ont toute latitude pour agir et ont donc une responsabilité dans le blocage et dans l’absence de résolution du conflit. Elles sont situées aux premières loges des responsables, parce que depuis 1991 et le cessez-le-feu, elles ont beaucoup tergiversé, beaucoup cédé à la pression marocaine, ont décrété qu’un referendum était impossible à organiser et ont échoué à mettre en place une résolution. Il ne faut pas oublier l’aspect humain de la question, avec des Sahraouis qui ne bénéficient pas de leur liberté, mais aussi l’aspect stratégique, car ce conflit déstabilise la région.