Fil d'Ariane
L'Algérie a décidé le rappel avec "effet immédiat" de son ambassadeur à Madrid après des déclarations du chef du gouvernement espagnol qui constituent, selon Alger, un "brusque revirement" de position sur le Sahara occidental, selon un communiqué cité par les médias officiels. "Très étonnées par les déclarations des plus hautes autorités espagnoles relatives au dossier du Sahara occidental, les autorités algériennes, surprises par ce brusque revirement de position de l'ex-puissance administrante du Sahara occidental, ont décidé le rappel de leur ambassadeur à Madrid pour consultations avec effet immédiat", a indiqué le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué.
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L'Espagne considère que l'initiative d'autonomie présentée en 2007 (par le Maroc) est la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution de ce différend
José Manuel Albares, chef de la diplomatie espagnole
L'Espagne, qui importe plus de 40% de gaz naturel algérien notamment à travers le gazoduc sous-marin Medgaz, a opéré vendredi un changement de position radical sur le dossier hautement sensible du Sahara occidental. Pour la première fois, Madrid soutient publiquement la position du Maroc d'un plan d'autonomie pour le Sahara occidental, alors qu'elle avait toujours prôné la neutralité entre Rabat et les indépendantistes sahraouis du Front Polisario. "L'Espagne considère que l'initiative d'autonomie présentée en 2007 (par le Maroc) est la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution de ce différend" entre Rabat et les indépendantistes du Front Polisario, a déclaré devant la presse à Barcelone le chef de la diplomatie espagnole José Manuel Albares.
Cette nouvelle position espagnole annoncée quelques heures auparavant par Rabat en citant un message du Premier ministre espagnol Pedro Sanchez a été saluée par les autorités marocaines. Dans un communiqué, le ministère marocain des Affaires étrangères a salué "les positions positives et les engagements constructifs de l'Espagne au sujet du Sahara marocain".
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Le Front indépendantiste sahraoui le Polisario, soutenu par l'Algérie, a quant à lui exprimé son "étonnement" face à la position du gouvernement espagnol de soutenir la position marocaine sur le Sahara occidental, selon un communiqué parvenu samedi à l'AFP. "Avec beaucoup d'étonnement, le gouvernement de la République sahraouie et le Front Polisario ont été informés vendredi du contenu des deux communiqués émis par l'occupant marocain et le gouvernement espagnol".
"La position exprimée par le gouvernement espagnol contredit absolument la légitimité internationale. Les Nations unies, l'Union africaine, l'Union européenne, la Cour internationale de justice et la Cour européenne de justice et toutes les organisations régionales ne reconnaissent pas une quelconque souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental", a ajouté le communiqué du Polisario. Le communiqué appelle les forces politiques à Madrid à "faire pression sur le gouvernement espagnol pour qu'il corrige cette grave erreur". La délégation du Polisario en Espagne a elle accusé Madrid d'avoir "cédé face au chantage et à la politique de la peur utilisée par le Maroc".
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Avec ce changement radical de position, Madrid met ainsi fin à une brouille diplomatique majeure avec le Maroc qui avait été provoquée en avril 2021 par l'accueil en Espagne, pour y être soigné du Covid, du chef du Front Polisario, Brahim Ghali, ennemi juré de Rabat.
Elle s'est traduite en mai dernier par l'arrivée massive de migrants d'origine marocaine dans l'enclave espagnole de Ceuta, sur la côte nord du Maroc, profitant d'un relâchement de la surveillance des frontières côté marocain.
Avant les annonces de vendredi, les tensions s'étaient atténuées mais n'avaient pas pris fin. Rappelée pour consultations en mai, l'ambassadrice du Maroc en Espagne n'est toujours pas revenue à Madrid.
Selon Bernabé López, professeur d'études arabes et islamique à l'Université autonome de Madrid, ce geste de Madrid sur le Sahara a principalement pour but d'obtenir de Rabat un contrôle des flux migratoires. Afin "de serrer un peu la vis et qu'il y ait plus de contrôle et non cette absence intentionnée de contrôle de la part du Maroc", juge-t-il.
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Dans le cadre de la normalisation des relations entre les deux pays, une visite de Pedro Sanchez au Maroc, dont la date n'a pas été communiquée, est programmée tandis que José Manuel Albares, se rendra lui à Rabat "avant la fin du mois", selon le gouvernement espagnol.
Pour Ignacio Cembrero, journaliste espagnol spécialiste des relations entre les deux pays, "le gouvernement espagnol a cédé à la principale exigence du Maroc" qui lui demandait de "soutenir sa proposition d'autonomie" du Sahara occidental.
"C'est un changement important" car "le Maroc exige que cela soit rendu public" mais "les autorités espagnoles ont toujours aidé le Maroc (sur ce dossier) ces dernières années" dans la discrétion, nuance-t-il.
Ce virage de Pedro Sanchez pourrait par ailleurs créer de fortes tensions au sein de son exécutif avec ses alliés de la gauche radicale de Podemos, favorables à l'autodétermination des sahraouis.
Sur Twitter, la ministre du Travail, représentant Podemos, Yolanda Diaz, a déclaré que "toute solution au conflit (au Sahara occidental) devait passer par le respect et la volonté démocratique du peuple sahraoui".
Le conflit du Sahara occidental, ex-colonie espagnole considérée comme un "territoire non autonome" par l'ONU, oppose depuis des décennies le Maroc aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario. Rabat, qui contrôle près de 80% de ce territoire, propose un plan d'autonomie sous sa souveraineté tandis que le Polisario réclame un référendum d'autodétermination, prévu lors de la signature en 1991 d'un cessez-le feu mais jamais concrétisé.
Le Sahara occidental est au centre de toute l'action diplomatique de Rabat.
En contrepartie de la reprise de ses relations diplomatiques avec Israël, le Maroc avait obtenu des Etats-Unis, alors dirigés par Donald Trump, la reconnaissance de "la marocanité" de l'ex-colonie espagnole.
En octobre 2021, le Conseil de sécurité de l'ONU a décidé de proroger jusqu’au 31 octobre 2022 le mandat de la Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO).
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