Sahara occidental : un conflit post-colonial qui n'a que trop duré

Après 30 ans d'immobilisme, le cessez-le-feu a été interrompu au Sahara occidental. Au sortir de la colonisation de ce territoire par l'Espagne, le conflit oppose depuis 1975 le Maroc au Front Polisario, un mouvement indépendantiste sahraoui soutenu par l'Algérie. Une situation dramatique marqué par l'échec des Nations Unies à faire aboutir un processus de paix dont dépend le sort des dizaines de milliers de réfugiés.
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Réfugié sahraoui
Un enfant dans camp de réfugiés sahraouis à Tindouf, en Algérie, 2016. (AP Images)
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Le conflit au Sahara occidental est l’un des plus vieux d'Afrique

En 1975, l’Espagne se retire du Sahara Occidental qu’elle avait colonisé, mais deux parties revendiquent la souveraineté sur ce territoire, le Maroc et le Front de Libération de Sagui El Hamra et Rio de Oro ou Polisario, un mouvement indépendantiste sahraoui, soutenu par l’Algérie. Le Royaume chérifien invoque des droits historiques sur ses « provinces du Sud » découlant des liens d’allégeance de certaines tribus sahraouies au sultan avant la colonisation. Le Front Polisario invoque le droit des peuples à l’autodétermination.

Appuyé par l’Algérie, le Front Polisario est en guerre contre la Mauritanie, qui avait obtenu la cession d’une partie du territoire avant d’y renoncer en 1979, et contre le Maroc qui avait pris les devants en lançant une "Marche Verte" en novembre 1975 avec le franchissement de la frontière par quelques 350 000 civils marocains de tout âge.

Un cessez-le-feu est signé en 1991 et un plan de paix prévoit l’organisation d’un référendum d’autodétermination en vertu de la résolution 690 des Nations Unies. Des dizaines de milliers de personnes sont réfugiées de l’autre côté de la frontière avec l’Algérie dans des camps à Tindouf, qui subsistent grâce à l’aide humanitaire internationale. 

Aujourd’hui, le Sahara occidental est un territoire divisé, par un mur de défense de 2700 kilomètres construit par Rabat dans les années 1980, et contrôlé à 80% par le Maroc sur la façade atlantique et une partie controlé par les indépendantistes sahraouis avec une zone tampon sous la surveillance de la Minurso, l’opération de maintien de la paix des Nations unies, censée organiser un référendum d'autodétermination dès 1992, une mission jamais réalisée.

Un conflit gelé qui ne peut plus durer ?

Depuis le vendredi 13 novembre, le cessez-le-feu globalement respecté pendant 30 ans est rompu. L’armée marocaine a mené une opération dans la zone tampon du poste-frontière de Guerguerat, à l'extrême sud, pour rétablir le trafic routier coupé par les indépendantistes sahraouis. En réaction, le Front Polisario décrète l’état de guerre. La route visée est la seule qui mène vers la Mauritanie notamment pour les échanges commerciaux.

« On assiste à un tournant avec une reprise des hostilités de type guerrier que l’on croyait révolu après la construction du mur par Hassan II dans les années 1980 », selon la politologue Khadija Mohsen Finan,  spécialiste du Maghreb, et chercheure à l'université Panthéon Sorbonne à Paris, co-auteure avec Pierre Vermeren de "Dissidents du Maghreb depuis les indépendances", éd. Belin, octobre 2018.

Au-delà des éléments factuels qui ont déclenché cette violation du cessez-le-feu, il n’en reste pas moins que « la situation du Front Polisario est intenable alors que l’aide aux camps de réfugiés est en baisse et que son tuteur algérien est moins présent. »

Ce qui se passe, « c’est un cri de désespoir du Front Polisario pour qui l’immobilisme est insupportable ».  Car « le Front Polisario n’a plus d’avantage sur le plan militaire. Le niveau de son engagement est décidé par Alger, à lui seul le Front Polisario ne peut que réaliser de petites actions. Le Maroc est lui très armé, doté d’avions de combat, de missiles de moyenne portée.» 

Pour le chercheur Kader Abderrahim, maître de conférence à Sciences Po, "il s'agit d'un regain de tensions, des échaufourrées, mais pas de mouvement de combat. Pour l'auteur de "Géopolitique de l'Algérie" (éd. Bibliomonde, février 2020), relancer cette guerre n'arrange ni le Maroc, ni l'Algérie, car la frontière est toujours fermée depuis 1994. C'est un obstacle à l'intégration du Maghreb arabe dans la mondialisation. Ce n'est dans l'intérêt de personne, ni des Européens, ni des Américains."

Côté algérien, d'autres facteurs conjoncturels peuvent expliquer la survenue de cet épisode, selon Kader Abderrahim. "Avec le président Tebboune malade [et soigné en Allemagne] mais aussi le chef d'Etat-major de l'armée Saïd Chengriha qui aurait été évacué pour des soins en Suisse, cela a donné l'occasion au Front Polisario et à une frange de l'armée algérienne d'en profiter pour provoquer un regain de tensions avec le Maroc."  "Mais cela n'a pas fait évoluer la situation et on observe un retour au statu quo."

D'autre part, si le contexte géopolitique a changé avec la fin de la guerre froide, "le discours du Front Polisario n’a pas évolué", constate pour sa part Khadija Mohsen Finan.

« L’idéologie s’affaiblit, il n’y a plus de modèle. Le Front Polisario n’a jamais modifié sa communication qui a vieilli, en lisant leurs communiqués guerriers alors qu’ils n’en ont plus les moyens, on a l’impression qu’on lit un livre d’histoire. »

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Autodétermination ou autonomie : un référendum impossible à réaliser ?

Plusieurs émissaires et envoyés spéciaux du secrétaire général des Nations unies se sont succédés pour faire aboutir le processus de paix, notamment les Américains James Baker (1997-2004) et Christopher  Ross (2009-2017). Le point d’achoppement est l’organisation d’un référendum d’autodétermination. Le Maroc y est catégoriquement opposé. 

Si une fois de plus le mandat de la Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso) a été renouvelé pour un an, jusqu’au printemps 2021, il y a peu d’espoir que sa mission se réalise. « Au niveau du droit, le référendum est toujours à l’ordre du jour, mais techniquement impossible : qui va voter, alors qu’il y a eu des déplacements de population. Le Maroc ne prendra pas le risque de perdre un référendum. »

Une autre option a été élaborée pour sortir du conflit : celui d’une autonomie, large, au sein du Maroc. Cette proposition a été avancée à la fois par le Plan Baker I en 2000 mais aussi par le Maroc en 2007. Elle fut rejetée par le Front Polisario et l’Algérie. « A mon avis, c’est une erreur politique d’avoir joué la carte de la guerre », commente Khadija Mohsen Finan.

Désormais, « on a dépassé l’alternative autonomie ou autodétermination. Le Maroc et le Front Polisario sont inscrits dans une logique de guerre. Dommage que le Front Polisario n’a pas accepté une autonomie. Aujourd’hui le Maroc n’accepte plus ce principe, cela lui poserait des risques, en constituant un précédent pour d’autres territoires, notamment pour le Rif. »

Concernant la position d'Alger, "on ne comprend pas ce que les Algériens attendent sur le Sahara occidental,  quel est le projet de l'Algérie ?, s'interroge Kader Abderrahim : "Quand je leur demande, il n'y en a pas". "Tant que l'on aura pas de réponse, il est difficile d'évaluer ce que peut-être un compromis politique sur cette question là".

Reste que selon Khadija Mohsen Finan, « l’échec du processus du paix incombe à l’ONU, au Conseil de Sécurité et ses membres permanents, notamment la France qui a toujours été favorable à un Sahara occidental marocain ».

Le Maroc, le meilleur allié des pays occidentaux ? 

La stratégie du Maroc au Sahara occidental s’appuie sur une alliance avec les pays occidentaux. Cela est d’autant plus vrai sous le règne de Mohamed VI. « Il s’est rendu indispensable aux pays occidentaux notamment par l’autorisation de survol son territoire, à la différence de l’Algérie, par le contrôle du passage des migrants et celui du détroit de Gilbratar, et par une position décomplexée à l’égard Israël ».

Autre aspect relevé par Khadij Mohsen Finan, « le Maroc a beaucoup mis en avant le risque de dérives sécuritaires et d’expansion des mouvements djihadistes pour faire peur aux Occidentaux. A ce sujet, rien n’est exclu car le désespoir est un terreau privilégié et la région connait la présence de deux grands groupes terroristes Aqmi et Etat Islamique. A ma connaissance, cela ne s’est pas fait ». Par ailleurs, Mohamed VI, en tant que commandeur des croyants, argue « d’une légitimité religieuse avec les pays du Golfe et de rempart contre le djihadisme ».

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Un engagement moindre de l’Algérie derrière le Front Polisario ?

L’Algérie, voisine et ennemi du Maroc, fait figure d’allié objectif du Front Polisario. Mais ce soutien n’a plus la même vigueur. Cela se juge notamment à la réaction mesurée d’Alger sur la rupture de cessez-le-feu, en mettant sur le même plan les 2 parties marocaine et sahraouie.

"Le soutien de l'Algérie est officiel, mais il n'est pas massif car le pays se trouve en plein marasme économique", précise Kader Abderrahim.

"Le soutien est à présent à minima et le changement à cet égard date des années 2000, renchérit Khadija Mohsen Finan. L’Algérie ne va pas lâcher le Front Polisario mais elle ne va pas monter au créneau pour une guerre comme en 1976.  L’Algérie va sauver l’honneur. » 

La raison de cet engagement algérien en retrait réside aussi dans la situation politique intérieure, face à la contestation de l’hégémonie de l’armée et aux changements de définition du nationalisme algérien. 

"Le régime algérien est dans l'impasse politique avec le rejet massif du système et des dirigeants par le Hirak et les élites politiques algériennes n'ont pas su engager un projet alternatif. Certains militaires très radicaux ont voulu profiter de cette vacance pour inverser le rapport de forces à l'intérieur du sérail et de l'armée."

"En d'autres termes, conclut Kader Abderrahim, tout cela a très peu à voir avec le Sahara occidental,  mais beaucoup avec la situation en Algérie" .

Le développement du Sahara occidental est-il un moyen ou une fin ?

Le Sahara occidental dispose de richesses agricoles, minières (phosphate) et halieutiques. L’exploitation de ces ressources par le Maroc est combattue par le Front Polisario sur le plan juridique, mais aussi dénoncée par des militants et organisations de la société civile.

« Le Maroc exploite cette région, il essaie de faire adopter cet état de fait. Il a beaucoup développé cette région car cela lui sert de vitrine. Mais il n’en reste pas moins que vous ne pouvez pas développer ce qui ne vous appartient pas », note Khadija Mohsen Finan.

Au niveau régional, la permanence du conflit est fortement décriée par les populations locales. « Quand on discute avec les Algériens et les Mauritaniens, on ne veut pas savoir qui a tort ou a raison mais on veut sortir du conflit et tirer profit d’une intégration régionale au niveau économique. »

D'après Kader Abderrahim, en Algérie, "jamais il n'y a eu de débat, ni au niveau de la population, ni du Parlement. Je ne sais pas ce que représente le Sahara occidental pour eux. Beaucoup disent qu'il faut utiliser les ressources pour les besoins de la population. Je crois qu'ils sont plutôt favorables pour le dialogue que pour la question du leadership dans la région."

Les bénéfices d’un tel développement sont un enjeu pour la stabilité. Khadija Mohsen Finan souligne le risque de soulèvement populaire. « En mars 2011, il y eut un grand soulèvement dans les camps de Tindouf en Algérie. De même de l’autre côté de la frontière, à Layyoune, principale ville du Sahara occidental marocain, ont eu lieu des soulèvements sur la base de revendications sociales, liées la crise du logement par exemple mais qui peuvent dériver vers la dénonciation de l'exploitation puis vers une revendication d’autodétermination. »

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Une situation d’exception dans le droit international ?

Devant l'échec patent de la Minurso, la mission de l'ONU au Sahara occidental, a remplir son mandat et organiser un référendum, le processus de paix est au point mort.

Sur la durée, le rapport de forces sur la scène internationale évolue en défaveur du Front Polisario et la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) qu'il a créée en 1976. Pour preuve, « en 1990, la RASD était reconnue par 79 pays, mais aujourd’hui par une trentaine seulement », note Khadija Mohsen Finan.

En 1984, la RASD est admise au sein de l'Orgainsation de l'Unité Africaine comme son 51e membre. Une décision qui provoque le retrait du Maroc de l'OUA. Le Royaume chérifien ne revient dans le giron de l'Union Africaine qu'en 2017. En Afrique, le RASD peut compter sur le soutien de deux poids lourds, le Nigeria et l'Afrique du Sud. Mais la liste des pays d'Afrique subsaharienne qui ouvrent des représentations diplomatiques au Sahara Occidental est bien plus longue.

« C’est un état d’exception. La communauté internationale a décidé de faire un cadeau à Rabat. Dès le début, le Maroc n’a jamais été obligé, ni condamné. Dans le monde politique ou médiatique, personne ne dit que c’est territoire occupé du point de vue du droit international. La raison est que le Maroc est considéré comme plus stable et que l’Algérie ne doit pas être renforcée. »

Khadija Mohsen Finan rappelle une citation du roi du Maroc Hassan II : « tôt ou tard, il faut que notre propriété du Sahara soit déposée à la conservation foncière des Nations unies ». Pour la politologue, cela signifie que le souverain était attentif au droit international. Et d'observer que "son fils Mohamed VI s'est écarté de cette ligne".

Reste que le Sahara occidental est considéré comme un "territoire non autonome" par l'ONU et 45 ans après, le conflit connaît une nouvelle escalade. « Ce n’est pas tant le bilan humain des combats qui est à craindre. L’ONU doit sortir de son silence mais elle ne peut pas continuer à appeler à discuter des acteurs qui n’ont jamais accepté de le faire, cela n’a pas de sens. »