Sciences : "Les chercheuses africaines sont victimes d'invisibilisation, il faut que ça change !"

Le 23 novembre 2020, le Prix Jeunes Talents Afrique subsaharienne L'Oréal-Unesco Pour les Femmes et la Science a récompensé 20 femmes scientifiques africaines. Alors que les Africains ne représentent que 2,4% des chercheurs dans le monde, les femmes scientifiques du continent représentent l’espoir d’un changement de cette dynamique.

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Photo Prix jeunes talents Afrique subsaharienne
La fondation l'Oréal-Unesco récompense, depuis 11 ans, des femmes d'Afrique subsaharienne, qui se distinguent par leur excellence dans la recherche scientifique.
L'Oréal
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Alors que la pandémie de Covid-19 touche le monde entier, elle a vu le monde scientifique et ses acteurs devenir des interlocuteurs incontournables de notre quotidien. Des acteurs, bien plus que des actrices ! Dans l'espace médiatique, ce sont surtout des hommes qui ont été consultés et ce, à travers le monde. 
C'est dans ce contexte que le Prix Jeunes Talents Afrique subsaharienne L'Oréal-Unesco Pour les Femmes et la Science a été decerné à vingt femmes scientifiques africaines. Un prix qui récompense les scientifiques d'abord, mais qui veut également mettre en avant le rôle prépondérant que peuvent avoir les femmes, notamment en Afrique.

Le continent est, en effet, victime de nombreuses inégalités, y compris dans l'accès au monde de la recherche, comparativement au reste du monde, puisque seulement 2,4% des chercheurs dans le monde sont africains. Ces femmes représentent donc un espoir pour leur continent, mais les changements doivent être effectués en profondeur, car elles sont encore trop peu à avoir le droit à leur chance. C'est pour cela qu'Alexandra Palt, directrice générale de la Fondation L’Oréal, a voulu mettre en lumière l'excellence de leurs parcours. 

TV5Monde : Quand et comment ce programme est-il né ? Quelles en sont les motivations ?

Alexandra Palt : Le programme international, est né en 1998, mais au fil des années, on s’est rendu compte que ce n’était pas suffisant pour répondre aux besoins des femmes scientifiques à travers le monde. On a donc mis en place des programmes nationaux et régionaux, afin de soutenir les jeunes femmes scientifiques. Le prix Jeunes Talents Afrique subsaharienne existe donc depuis 11 ans. Il consiste en l’attribution d’une vingtaine de prix pour 20 jeunes chercheuses d’Afrique subsaharienne, excepté l’Afrique du Sud qui a son propre programme. 

Cette distinction est liée au fait qu’en Afrique du Sud, la situation est très différente du reste de l’Afrique subsaharienne. Le pays investit beaucoup dans la recherche scientifique et forme beaucoup de femmes. Nous étions donc obligées d’opérer la distinction, afin d’éviter que le reste des femmes soient lésées à cause des difficultés et des obstacles qu’elles peuvent rencontrer. 

Quelle est la situation du continent africain en la matière, si l’on compare les chiffres au reste du monde ? 

Si l’on veut comparer les chiffres, on remarque qu’ils sont à peu près les mêmes à travers le monde. Dans le monde, ce sont environ 29% des chercheurs qui sont des femmes. En Afrique, elles sont environ 31% de femmes parmi les chercheurs.
Mais ce chiffre ne nous dit pas beaucoup de choses, car les chercheurs africains ne représentent que 2,4% des chercheurs à travers le monde. C’est beaucoup trop peu pour un continent immense comme l’Afrique !
Le chiffre de 31% de chercheuses africaines est également à relativiser, car il y a de grandes disparités observées au sein même du continent. Au Kenya, par exemple, il y a 26% de doctorants femmes, au Tchad, elle ne sont que 5%. 
L’autre point, et c'est le plus important, est celui des responsabilités. En Afrique de l’Ouest, par exemple, seuls 8% des laboratoires de recherches sont dirigés par des femmes. Il y a clairement un plafond de verre quant au niveau de responsabilité.

Ceci n’est pas spécifiques à l’Afrique. Que ce soit en Europe ou encore aux États-Unis, les femmes sont absentes ! Il y a là, clairement, une discrimination à l'égard des femmes, encore trop peu nombreuses à ces postes à responsabilités et ce, à travers le monde.

Y a-t-il des disciplines dans lesquelles les femmes scientifiques africaines s'illustrent tout particulièrement ?

On voit très clairement que leurs sujets de recherche sont liés aux défis auxquels le continent fait face. Elles font donc beaucoup de recherche dans le domaine médical ou encore en biologie, en phase avec les besoins du continent : le paludisme, les maladies infectieuses, la résistance aux antibiotiques. 
On trouve également, au sein de notre palmarès, des recherches liées aux problématiques agricoles, au changement climatique ou encore à la sécurité alimentaire. 
Enfin, on constate, notamment cette année, l’émergence de chercheuses dans le secteur informatique ou encore dans l’astronomie. 

Retrouvez le portrait de Tsarasoa Andrianinarivomanana, jeune scientifique malgache spécialisée dans le rôle du moustique dans la transmission du paludisme.

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Quel peut-être l’impact d’une telle nomination sur leur carrière ?

Elles remportent un prix de 10 000 euros pour les doctorantes et 15 000 euros pour les post-doctorantes. Il y a également un ensemble de formations très importantes qu’on leur donne sur place. Cela leur permet de construire des compétences en dehors de leurs qualifications scientifiques : en négociation, en communication ou encore en media-training.
Cet apport leur permet, ensuite, d’acquérir un socle d’expertise en plus qui leur permettra de se rendre plus visibles, car le problème principal auquel nous voulons remédier, c’est l’invisibilisation constante des femmes dans la recherche scientifique.

Ce prix revêt-il une importance toute particulière, en pleine pandémie de Covid-19 ?

En effet, ce que nous avons pu constater et ce, à travers le monde, notamment dans les médias, c’est que les femmes scientifiques ont été très largement exclues des débats et que leur invisibilisation s’est accentuée. Ce sont surtout des experts hommes que l’on a vus sur les plateaux de télévision, notamment en France.
Dans une étude que nous avons menée en Europe, on a pu observer que 79% des chercheuses ont estimé que la pandémie de coronavirus les a davantage pénalisées. C’est donc au vu de ce contexte que l’on a pu constater à quel point notre programme est essentiel au vu des inégalités qui se sont accrues durant cette crise.

Pour plus d'informations, lire aussi notre série de portraits des lauréates : 
Prix Jeunes Talents Afrique subsaharienne L’Oréal-UNESCO, portrait 1 : la Camerounaise Agnès Antoinette Ntoumba​
Prix Jeunes Talents Afrique subsaharienne L’Oréal-UNESCO, portrait 2 : la Comorienne Haifaou Younoussa
Prix Jeunes Talents Afrique subsaharienne L’Oréal-UNESCO, portrait 3 : Dominique Fatima Voumbo Matoumona