Fil d'Ariane
Le Maroc a été touché vendredi soir par un séisme d'une magnitude 6,8 sur l'échelle de Richter dans la province d'Al-Haouz, au sud-ouest de Marrakech, faisant plus de deux mille victimes. Si le risque sismique était connu dans cette région, la violence de ce tremblement de terre reste “surprenante”, selon les sismologues.
Deux enfants marocains marchent à travers les ruines de leur maison effondrée lors du séisme dans leur village d'Iljjoukak, près de Marrakech, 9 septembre 2023.
C’est la plus violente catastrophe naturelle de l’histoire récente du Maroc : dans la nuit de vendredi à samedi, un séisme d'une magnitude 6,8 a frappé la province d’Al Haouz, au sud-ouest de Marrakech. 2 012 personnes sont décédées et 2 050 autres ont été blessées, dont 1 404 dans un état grave selon les derniers bilans du ministère de l’Intérieur marocain.
L'épicentre du séisme qui a frappé le Maroc vendredi 8 septembre dans la nuit.
Un phénomène "prévisible" pour Pascal Bernard, sismologue à l’Institut de physique du globe de Paris, car la région se trouve "sur une plaque avec une zone montagneuse, des déformations de la croûte terrestre et des failles. Et qui dit "faille" et "déformation de la croûte terrestre", dit "séisme associé"."
Qu'est ce qu'une faille sismique ?
Une faille est une fracture de la roche et de l'enveloppe terrestre de plusieurs kilomètres de profondeur, le long de laquelle se produisent des déplacements tectoniques. Les tremblements de terre se produisent généralement le long de failles parce qu'elles constituent des zones de faiblesse dans la croûte.
Le Maroc se trouve à la frontière de la plaque tectonique africaine, qui s’étend de l’océan Atlantique jusqu’à la Syrie en traversant la mer Méditerranée. Cette situation géographique expose régulièrement le royaume à des séismes dévastateurs, comme celui d'Agadir en 1960, qui a fait plus de 12 000 morts et détruit 75% de la ville ; ou encore à Al Hoceïma en 2004, qui a causé la mort la mort de 628 personnes et des dégâts matériels considérables.
Ça reste une zone sismique, nous avons déjà enregistré des secousses proches de l’épicentre actuel, mais celles-ci étaient de magnitude modérée, 4 en moyenne. (...) Et là, on est quasiment sur un séisme de magnitude 7.
Florent Brenguier, sismologue à l’Institut des Sciences de la Terre de l’Université de Grenoble
Florent Brenguier, de l’Institut des Sciences de la Terre de l’Université de Grenoble, précise cependant que la puissance du séisme de vendredi est inhabituelle : “les zones les plus concernées par les secousses sismiques sont situées à 25 kilomètres plus au Nord, vers les côtes et le Détroit de Gibraltar. Là, l’épicentre ne se situe pas à l'interface entre deux plaques tectoniques. Ça reste une zone sismique, nous avons déjà enregistré des secousses proches de l’épicentre actuel, mais celles-ci étaient de magnitude modérée, 4 en moyenne. Ce qui était moins prévisible, c’était la possibilité d’avoir un grand séisme. Et là, on est quasiment sur un séisme de magnitude 7."
Située à quelques dizaines de kilomètres au Nord de l’épicentre, Marrakech, qui compte un peu moins d'un million d'habitants, a été lourdement frappée par le séisme. Des vidéos postées sur les réseaux sociaux montrent les dégâts causés dans la ville. Une partie du minaret de la célèbre place Jemaa el-Fna s'est notamment effondré alors que de nombreux habitants ont dormi dans les rues de la métropole à même le sol, afin d'éviter les conséquences de potentielles répliques. La secousse a aussi été ressentie dans d'autres villes du pays : à Casablanca, dans la capitale Rabat, à Ouarzazate ou encore à Agadir. Cette amplitude s’explique par la taille de la faille sismique : entre “30 et 50 kilomètres de long” selon Pascal Bernard.
Mais c’est dans le Haut Atlas que les destructions sont les plus importantes. De nombreux villages et communes ont été rayés de la carte. Plus de la moitié des victimes du tremblement de terre ont été recensées dans cette région. “Les habitations en zone rurale sont souvent plus modestes, plus fragiles, donc les destructions sont plus importantes”.
Ces dernières années pourtant, le Maroc a adopté une série de mesures pour limiter les dégâts. “Les géologues marocains ont effectué des “zonages”, c’est-à-dire identifié les zones exposées plus ou moins fortement aux séismes, là où les bâtiments doivent être construits de manière adaptée” détaille Pascal Bernard.
Des membres des équipes de secours transportent le corps d'une victime d'un tremblement de terre dans le village de Ouargane, près de Marrakech, au Maroc, le samedi 9 septembre 2023.
En 2011, un nouveau règlement de construction parasismique (RPS 2000) a été mis en place, et est appliqué dans la majorité des nouvelles constructions des zones urbaines marocaines. Mais selon Philippe Guéguen, directeur de recherche à l’Institut des Sciences de la Terre de l’Université de Grenoble, de nombreux bâtiments plus anciens et monuments historiques échappent à ces nouvelles normes : “la réglementation n’est pas faite pour ce type de bâtiment, il n’y a pas de règle particulière. Il faudrait les renforcer, ou les remplacer par des bâtiments plus récents, plus modernes. Mais personne ne fait ça. Et la mise en application des normes demande du temps.”
La situation est d’autant plus dangereuse que les zones touchées par le séisme doivent désormais s’attendre à un tremblement de terre secondaire ou des répliques. Selon les autorités locales, plusieurs centaines de secousses ont déjà été ressenties dans la province d'Al-Haouz, dont la plus forte a atteint environ 6 de magnitude sur l’échelle de Richter. “Le bâtiment peut être fragilisé par le choc principal, mais il continue à s’endommager avec les répliques. C’est très compliqué pour les sauveteurs car le bâtiment peut s’écrouler pendant qu’ils essaient de sortir quelqu’un coincé sous les décombres” précise Philippe Guéguen.
Malgré les avancées scientifiques et la mise en place de normes plus strictes, la prévention de tremblements de terre reste impossible. “Pour le moment, nous sommes capables de déterminer les zones sismiques, de cartographier les zones où il y a potentiellement un risque” explique Florent Brenguier. “La vraie difficulté est de savoir la magnitude maximale de ces séismes potentiels.”
Pour le moment, nous sommes capables de déterminer les zones sismiques, de cartographier les zones où il y a potentiellement un risque.
Florent Brenguier, sismologue à l’Institut des Sciences de la Terre de l’Université de Grenoble
Mais selon lui, le séisme d’Al Haouz représente aussi une opportunité pour la recherche scientifique : “cette zone-là, par exemple, on ne la connaissait pas. On ne sait même pas quelle faille a joué dans cette profondeur-là. Mais du fait de leur activité et de toutes les répliques qui suivent, elles permettent de dévoiler la géométrie des failles sismiques en profondeur. Les répliques éclairent en quelque sorte la faille et ce qui se passe en profondeur. Et il faut essayer de cartographier rapidement ces failles cachées qui pourraient potentiellement se rejouer dans le futur, ou en tout cas qui nous donneraient des indications sur l'activité tectonique dans la zone et qui permettraient de prédire d’autres grands séismes à l’avenir."