Fil d'Ariane
L'ONG Amnesty International décompte 23 morts dans les troubles qui ont secoué le Sénégal du 1er au 3 juin. Ce nombre est plus élevé que le bilan officiel des autorités. L'ONG exige une enquête indépendante.
Des manifestants se confrontent à des policiers à Dakar, au Sénégal, le 2 juin 2023.
23 personnes sont mortes dans les troubles qui ont eu lieu début juin au Sénégal, selon l'ONG Amnesty International. Elle réclame également une enquête pour faire la lumière sur ces faits.
Le Sénégal a été en proie du 1er au 3 juin à ses pires troubles depuis des années après la condamnation de l'opposant Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme dans une affaire de mœurs. L'annonce de la condamnation a déclenché des violences qui ont fait officiellement 16 morts. La décision de justice rend, en l'état actuel, inéligible pour la présidentielle de février 2024 une personnalité populaire dans la jeunesse et les milieux défavorisés.
À travers 18 entretiens, des vidéos authentifiées et des certificats de décès et rapports d'autopsie qui attestent de blessures par balles, Amnesty donne un bilan humain à la hausse et dénonce un usage excessif de la force ainsi que des atteintes à la liberté d'expression et d'information. "Près de 23 morts, selon nos chiffres, dont plusieurs par balles, ont été enregistrés entre Dakar et Ziguinchor" (sud), dit Amnesty dans un communiqué. Trois étaient des mineurs, précise l'ONG.
Bassirou Sarr, 31 ans, à Dakar, Fallou Sall, 25 ans, ou encore Ousmane Badio, 17 ans, sont tous trois morts à la suite de tirs par balle, révèlent des témoignages de leurs proches recueillis par Amnesty. De son côté, le parti d'Ousmane Sonko, Pastef, a fait état jeudi de 26 morts par la voix de son porte-parole, El Malick Ndiaye, a rapporté le site d'information Dakaractu.
Amnesty dit avoir constaté, dans des vidéos qu'elle a analysées, la présence, aux côtés des forces de l'ordre, d'hommes armés en civil qui s'en prennent violemment aux manifestants. " L'État ne doit pas permettre la présence d'individus non identifiés comme faisant partie des forces de l'ordre pour des opérations de maintien de l'ordre, ni l'usage de la force. Ce sont des évidentes violations du droit international", déclare dans le communiqué Seydi Gassama, directeur exécutif d'Amnesty Sénégal.
L'organisation dénonce les atteintes à la liberté d'expression. Les autorités ont suspendu plusieurs jours l'accès à des réseaux sociaux populaires et l'accès à internet via les téléphones portables. Interrogé par l'AFP, le gouvernement n'a pas réagi. Il a préalablement justifié le recours à la force par la nécessité de rétablir l'ordre face à ce qu'il a présenté comme une tentative de déstabiliser l'État, y compris de la part d'hommes en armes.
Avant Amnesty, l'ONG Human Rights Watch a aussi critiqué la réponse des autorités aux troubles et réclamé une enquête. Les autorités ont interdit deux marches de l'opposition prévues vendredi et samedi contre le président Macky Sall, la première pour non respect des délais de demande d'autorisation, la seconde pour risque de trouble à l'ordre public, indique la préfecture.
L'inquiétude est répandue d'un nouvel embrasement. Elle est alimentée par les incertitudes sur le sort de Ousmane Sonko, susceptible d'être arrêté après sa condamnation, et sur une candidature ou non du président à un troisième mandat.
Ousmane Sonko est généralement présenté comme ne pouvant faire appel de sa condamnation. La jeune femme qui avait porté plainte contre lui pour viols, charges finalement requalifiées en "corruption" d'une personne de moins de 23 ans, a fait appel du verdict, dit un de ses avocats, Me El Hadji Diouf. Les positions des avocats divergent quant aux conséquences de cet appel et à l'éventualité d'un nouveau procès.