Sénégal : ce que l'on sait sur « la caravane de la liberté » d'Ousmane Sonko

Absent lors de son procès pour viols le 23 mai, l'opposant Ousmane Sonko a décidé de quitter son fief à Ziguinchor pour retourner dans la capitale. Alors qu'il risque dix ans de réclusion ainsi qu'une éligibilité à la prochaine élection présidentielle, il a pris la route, vendredi 26 mai, à bord de « la caravane de la liberté ». Dimanche 28 dans la soirée, son parti a annoncé qu'il était introuvable.

 

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Un homme brandit une pancarte sur laquelle on peut lire en français "Non au troisième mandat" tandis que d'autres personnes portent des photos du chef de l'opposition Ousmane Sonko lors d'une manifestation à Dakar, au Sénégal, le vendredi 12 mai 2023, contre la possibilité pour le président Macky Sall de briguer un troisième mandat lors des élections présidentielles de l'année prochaine.

Un homme brandit une pancarte, "Non au troisième mandat", tandis que d'autres personnes portent des photos du chef de l'opposition, Ousmane Sonko, lors d'une manifestation à Dakar, au Sénégal, le 12 mai 2023, contre la possibilité pour le président Macky Sall de briguer un troisième mandat.

Leo Correa (AP)
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  • Ousmane Sonko ramené de force à son domicile

Les forces de l'ordre sénégalaises ont mis fin abruptement dimanche à la marche de l'opposant Ousmane Sonko à travers le pays en l'interpellant dans le sud et en le ramenant de force à Dakar, ont indiqué les autorités.

On a pu de ce fait encadrer le leader du (parti) Pastef (M. Sonko) jusqu'à son domicile (à Dakar) où il a été déposé

Antoine Diome, ministre de l'Intérieur sénégalais

Le ministre de l'Intérieur Antoine Diome a invoqué les heurts entre partisans de M. Sonko et forces de l'ordre qui ont accompagné depuis vendredi le retour de l'opposant à Dakar en convoi par la route et dans lesquels un homme a été tué.

"Il y a eu mort d'homme à Kolda, est-ce que l'Etat va rester les bras croisés (...) la réponse ne peut être que négative", a déclaré le ministre à la télévision publique.

Il a fait valoir que M. Sonko aurait dû faire une demande d'autorisation préalable avant d'organiser ce qu'il a appelé une "caravane de la liberté".

"On a pu de ce fait encadrer le leader du (parti) Pastef (M. Sonko) jusqu'à son domicile (à Dakar) où il a été déposé", a-t-il dit.

Une source proche des autorités a précisé qu'Ousmane Sonko avait été interpellé près de Koungheul par les gendarmes et ramené par eux vers la capitale.

Le ministre de l'Intérieur a rapporté que des armes avaient été trouvées dans le véhicule transportant M. Sonko.

Le sort de l'opposant, engagé depuis deux ans dans un bras de fer avec le pouvoir en vue de la présidentielle de 2024, donnait lieu à des spéculations depuis plusieurs heures.

Ousmane Sonko n'a plus donné de nouvelles publiques depuis dimanche matin. Son parti l'a déclaré "introuvable et injoignable".

Alors que M. Sonko documente volontiers ses faits et gestes en direct sur les réseaux sociaux et en a fait de même les deux premiers jours de son voyage, il a cessé de le faire dimanche. 

  • Un itinéraire de 900 km

Comme annoncé mercredi 24 mai, Ousmane Sonko avait entrepris, depuis vendredi 26 mai, son retour à Dakar par la route, à la tête d’un convoi populaire. « Je vous donne rendez-vous à Dakar, soit (le président) Macky Sall recule, soit on lui fera face pour en finir », exhorte-t-il ce jour-là, devant des centaines de partisans exaltés devant sa maison de Ziguinchor (sud), le lendemain de son procès pour viols. Le combat final, ça se passera où ? Ça se passera à Dakar […] Si vous êtes 2.000, que 1.500 rallient Dakar pour continuer le combat. »

500 km séparent Dakar de la commune de Ziguinchor, dont il est maire, en Casamance. Un trajet qui peut être effectué en neuf heures en coupant par la Gambie. Or, Ousmane Sonko opte pour un détour de quelque 350 km pour ne traverser que le seul Sénégal.

Dimanche 28 mai, le candidat arrivé troisième de la présidentielle de 2019 a publié une vidéo sur son compte Twitter. Dans celle-ci, il explique se trouver dans la forêt de la région de Kolda, au milieu de rizières, contraint à un détour pour se rendre à Velingara, à plus de 300 km à l’est de Zinguichor. « Depuis qu’on a quitté Kolda, c’est tout un escadron de la gendarmerie doublé de forts effectifs de la police qui nous ont suivi partout, dans les moindres coins et recoins des plus petits villages pour arroser tout le monde de grenades lacrymogènes. Depuis qu’on est arrivé à Diaboué, c’est allé un cran au-dessus puisqu’ils nous ont barré la route et cela a déclenché des affrontements avec les jeunes. »

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La date de son arrivée dans la capitale n’est pas connue tandis que le délibéré de son procès pour viols doit intervenir jeudi 1er juin.

Un retentissant procès pour viols

Le procureur, Abdou Karim Diop, a requis, mardi 23 mai, une condamnation à dix ans de réclusion pour viols, ou au minimum à cinq ans de prison pour « corruption de la jeunesse », à l'encontre d'Ousmane Sonko. Peine à laquelle pourrait s'ajouter un an de prison pour les menaces de mort qu'il aurait proférées contre la plaignante. 

Pour rappel, Ousmane Sonko est visé par la plainte d'Adji Sarr, 23 ans, une employée du salon Sweet Beauté. La jeune femme l'accuse d'avoir abusé d'elle « cinq fois » entre 2020 et début 2021 et de l'avoir menacée de mort si elle parlait.

L'opposant a toujours nié ses accusations et dénoncé un « complot politique » de l'État. Mercredi 24 mai, alors qu'il n'a pas assisté à son procès la veille, il a décrit Adji Sarr comme une « jeune fille manipulée, à qui on a promis passeport diplomatique et exil à l'étranger, (en) plus (de) fortes sommes d'argent », une « pauvre demoiselle qui n'est pas si innocente que cela puisqu'elle aurait pu se rétracter depuis longtemps. »

De son côté, le gouvernement dément toute instrumentalisation de la justice et allègue une affaire privée.

  • Un déplacement à haut risque 

Depuis le déclenchement de l’affaire de viols qui tient le Sénégal en haleine depuis deux ans, les mobilisations des supporteurs d'Ousmane Sonko, à l'occasion de ses rendez-vous avec la justice notamment, ont régulièrement engendré des incidents, y compris mortels. Son interpellation, en mars 2021, sur le chemin du tribunal, a déclenché plusieurs jours d'émeutes qui ont fait au moins une douzaine de morts.

Le passage de la caravane à Kolda, vendredi, à 180 km à l’est de Ziguinchor, a été émaillé de heurts et a causé la mort d’une personne, Aliou Bodian. Le décès de ce père de famille de 37 ans a été annoncé dans la soirée, au moment où la « caravane de la liberté » du leader de Pastef – Les Patriotes s’y trouvait.

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Le quotidien pro-gouvernemental sénégalais, Le Soleil, rapporte que l’homme est décédé des suites « d’un traumatisme de l’abdomen par arme à feu », selon les premiers éléments de l’enquête livrés par le procureur de la République près le tribunal de Kolda. Une enquête a été ouverte. En outre, le procureur a notifié la présence de « véhicules genre Pick up, non immatriculés dont les occupants désiraient saboter ladite caravane. »

  • Un climat tendu marqué par des cyberattaques

Le jour du départ du convoi d’Ousmane Sonko, plusieurs sites gouvernementaux, dont celui de la présidence, ont subi une cyberattaque massive. Celle-ci a été revendiquée par un groupe anonyme, baptisé « Mysterious team ». Le gouvernement sénégalais a confirmé l’assaut dans un communiqué.

Dimanche 28 mai, ce même groupe a mis en garde le gouvernement sénégalais, sur Twitter, en annonçant une seconde attaque. « Préparez-vous à la deuxième vague de cyber-attaques... », a-t-il écrit. 

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Peu après la première attaque, le groupe de hackeurs, Anonymous, interpellait directement le président sénégalais, Macky Sall. « Nous avons appris que votre infrastructure informatique est confrontée à des pannes. Nous sommes solidaires des citoyens du Sénégal qui sont déterminés à exercer leur droit de choisir librement leur prochain dirigeant. »

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  • Les autorités sénégalaises promettent la fermeté

« Quoi qu'il en coûte, l'ordre public sera maintenu, a certifié, jeudi 25 mai, à la presse le porte-parole du gouvernement, Abdou Karim Fofana. Nous ne laisserons personne, personne, troubler l'ordre public et la quiétude des Sénégalais. »

Invité de TV5MONDE, samedi 27 mai, Abdou Karim Fofana a qualifié la situation de « regrettable » et dénoncé « la dynamique de provocation quotidienne » de l'opposant. « Ousmane Sonko cherche à transférer un dossier judiciaire sur le terrain politique et malheureusement il utilise des jeunes enfants qu'il pousse à être dans la rue, à provoquer les forces de défense et de sécurité », a-t-il regretté.

« Les agissements irresponsables, lâches de sa part », ont entraîné la mort de « 18 personnes » depuis mars 2021 et des « pertes économiques très fortes », a-t-il poursuivi. « Il y a souvent des magasins qui sont saccagés, ce qui n’a rien à voir avec des revendications. »

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Le porte-parole a, en outre, rappelé que « les caravanes sont réglementées au Sénégal. Il faut d’abord une déclaration et puis une autorisation administrative. Ce qui n’est pas le cas, nous ne l’avons jamais reçu. Et notre code pénal est clair là-dessus, à l’article 96.  Si la réglementation est respectée, il n’y a aucun problème. » 

Il est enfin revenu sur la « coïncidence troublante entre le procès d’Ousmane Sonko, sa caravane, ses appels à l’insurrection, les menaces sur les magistrats, les insultes sur les guides religieux, et aujourd’hui ces sabotages d’infrastructures informatiques de l’Etat. L’Etat va prendre ses responsabilités, des enquêtes seront menées et toutes les personnes impliquées seront traquées et traduites en justices si ce sont des personnes. Si ce sont mouvements, qu’ils soient politiques ou pas, ils seront dissouts conformément à la loi sénégalaise. »