Des heurts entre jeunes et policiers ont fait deux morts vendredi à Dakar et dans le sud du Sénégal, où l'escalade verbale des dernières semaines entre pouvoir et partisans d'Ousmane Sonko a tourné à la confrontation redoutée un mois et demi avant les élections législatives
Différents quartiers de la capitale ont été le théâtre d'affrontements entre jeunes lançant des pierres et policiers les tenant à distance à coups de gaz lacrymogènes ou les dispersant à l'aide de grenades assourdissantes dans la fumée des pneus incendiés. En Casamance (sud).
À Dakar, un jeune homme ou une jeune femme, selon les sources, a péri quand un projectile a mis le feu dans un local où il ou elle se trouvait, a indiqué un responsable de la Croix-Rouge sous couvert d'anonymat. La presse et l'opposition ont fait état d'une deuxième décès à Bignona, en Casamance.
Lire : Le Sénégal risque une période de "dégénérescence démocratique", selon Alioune TineDe nombreux Sénégalais redoutaient cette montée des tensions depuis que les autorités avaient interdit mercredi à l'opposition de manifester ce vendredi après-midi. L'opposition entendait protester contre l'invalidation d'une liste nationale de candidats pour les législatives du 31 juillet. Elle avait prévenu qu'elle passerait outre à l'interdiction.
Des pelotons de policiers en tenue antiémeute, soutenus par des véhicules blindés, ont empêché quiconque d'approcher la place de la Nation où devait se dérouler le rassemblement, à l'écart du centre politique et économique de la capitale.
Les policiers ont refoulé vers les rues adjacentes de petits groupes mobiles qui les harcelaient à coups de pierres.
"C'est vraiment pas bon pour les affaires", se lamentait Bilan Diop, 32 ans, appuyé sur un garde-corps le long de la vaste avenue jonchée de cailloux menant à l'esplanade désertée de la Nation.
"Regardez mon magasin, il est fermé, tous les magasins sont fermés alors qu'on approche de la Tabaski", la fête musulmane du Sacrifice, propice au commerce.
"Pour l'instant, ça a l'air sous contrôle. Mais ce qui va se passer après, on n'en sait rien", s'inquiétait avec des détonations en fond sonore Bamba Diop, 30 ans, qui gagne sa vie en louant des places de parking.
Des troubles ont été rapportés dans d'autres quartiers de la capitale, ainsi qu'à Ziguinchor, en Casamance.
Dès la matinée, les policiers ont fait le siège autour de chez Ousmane Sonko, dans le quartier dakarois cossu de Mermoz, résolus à l'empêcher de mettre à exécution son intention proclamée de défier l'interdiction de manifester. À la mi-journée, ils l'ont empêché de se rendre à la grande prière hebdomadaire.
"Même notre liberté de culte est bafouée aujourd’hui", a dit posément M. Sonko, vêtu du boubou traditionnel pour la prière, après s'être heurté à un barrage de policiers.
Le pouvoir cède à la "panique", a assuré M. Sonko, troisième de la présidentielle de 2019, candidat déclaré à celle de 2024, et populaire chez les jeunes.
L'opposition dénonce l'invalidation de la liste nationale de la coalition Yewwi Askan Wi, menée par le parti d'Ousmane Sonko, comme un stratagème du président Macky Sall pour écarter ses adversaires. L'invalidation écarte des législatives Ousmane Sonko et certaines figures d'opposition.
Seydou Guèye, joint par TV5MONDE, ministre et porte-parole de la présidence plaide lui pour le respect de l'État de droit et de la loi. "
Le Conseil constitutionnel a invalidé de manière souveraine la liste des titulaires Yewwi Askan Wi pour non respect de la parité. Ce n'est pas le gouvernement qui a décidé de cela. C'est le Conseil constitutionnel. Nous sommes une République, une démocratie avec des règles et un État de droit. On ne peut pas décider des régles en fonction de ces intérêts. Je rappelle que la liste qui soutient le président, Benno Bokk Yaakkar, a également vu sa liste de suppléants invalidée par le conseil constitutionnel pour aussi des questions de parité hommes-femmes. C'est bien la preuve que ce n'est pas le pouvoir qui décide de la validation des listes électorales", avance le ministre et porte-parole de la présidence.
Les Sénégalais élisent leur 150 députés selon un mode qui panache scrutin proportionnel avec des listes nationales pour 53 parlementaires, et scrutin majoritaire dans les départements pour 97 autres. La diaspora élit 15 députés.Pour le scrutin proportionnel, les organisations présentent une liste de titulaires et une liste de suppléants.
Une partie de l''opposition a menacé d'empêcher la tenue des élections si Yewwi Askan Wi n'y participe pas. En fait, Yewwi peut toujours concourir avec une liste nationale, mais composée de suppléants.
La mise en cause de Ousmane Sonko par la justice dans une affaire de viols présumés avait contribué en mars 2021 à plusieurs jours d'émeutes, de pillages et de destructions.