Fil d'Ariane
Le président sénégalais Macky Sall mène actuellement un dialogue national pour établir la date de l'élection présidentielle. Le chef d'État a déclaré jeudi 22 février que sa "mission se termine[ra] le 2 avril". Mais les tensions politiques demeurent entre le camp présidentiel et l'opposition. Ainsi 17 des 19 candidats retenus par le Conseil constitutionnel ont dit qu’ils ne participeraient pas. Comment sortir ce cette impasse politique ? Entretien avec Babacar Ndiaye, directeur de recherches et de publication du think tank sénégalais Wathi.
Des partisans du collectif d'opposition Aar Sunu Sénégal manifestent dans une rue, à Dakar, samedi 17 février 2024.
TV5Monde : Est-ce que le Sénégal est dans une impasse politique actuellement ?
Babacar Ndiaye : Nous sommes dans une impasse parce que nous n’avons jamais vécu une telle situation. Il y a une forme de sacralisation de l’élection présidentielle au Sénégal. La date est dans la Constitution du pays, c’est-à-dire le troisième dimanche du mois de février. Les Sénégalais ont d’ailleurs exprimé une forme de tristesse de ne pas pouvoir aller voter comme prévu dimanche 25 février (NDLR : le président sénégalais sortant a annulé la date du scrutin, une décision confirmée par l'Assemblée nationale qui sera ensuite désavouée par le Conseil constitutionnel).
Macky Sall aurait dû tout de suite annoncer une nouveau jour de vote pour l'élection présidentielle après sa décision. Il aurait du le faire après que le Conseil constitutionnel ait invalidé la loi votée par l’Assemblée nationale qui permettait ce report et le décret qui révoquait le collège électoral. Il aurait dû, dans la foulée, réunir les 19 candidats, discuter avec eux et recueillir leurs propositions pour trouver ensemble la nouvelle date. Puis il aurait dû mettre en place la machine électorale avec les services de l’État, le ministère de l’Intérieur et l’administration. Aujourd’hui, nous sommes fin février, plus on attend, plus on perd du temps et la date butoir est le 2 avril.
Les Sénégalais ont exprimé une forme de tristesse de ne pas pouvoir aller voter comme prévu dimanche 25 févrierBabacar Ndiaye, directeur de recherches et de publication du think tank sénégalais Wathi
Une fois la date trouvée, il doit y avoir 3 semaines de campagne électorale, puis le premier tour et sa période de réclamation, puis le second tour avec aussi son moment de contentieux. Quand vous appelez à un large dialogue, cela veut dire que vous écoutez des personnes qui ne sont même pas vraiment partie prenante de ce qu’il se passe. Nous avons 320 partis politiques au Sénégal. C’est étonnant de vouloir parler à tout le monde. Macky Sall aurait dû aller à l’efficacité et seulement échanger avec les 19 candidats retenus pas le Conseil constitutionnel.
Est-ce qu'il y a d'autres moyens de de sortir de cette situation ?
Macky Sall a dit que s’il n’y a pas de consensus après 2 jours, il faudra retourner au niveau du Conseil constitutionnel. Les principaux candidats, notamment ceux qui ont refusé le dialogue, sont allés déposer un document au niveau du Conseil constitutionnel demandant à l’institution de prendre dès maintenant une décision. Alors d’un côté, on a un président qui prend son temps, de l’autre, on a des candidats qui n’attendent pas.
Est-ce que ce que la crise politique que traverse le Sénégal ne s'inscrit pas dans une crise plus large de la démocratie dans cette région ? L'Afrique de l'Ouest a vu se multiplier les coups d’Etat ?
Le Sénégal est l’un des rares pays à ne pas avoir connu de coup d’État dans la région. La population est habituée à voter et à débattre. Nous avons même connu deux alternances en 2000 et 2012. Il y a eu avant cela une polémique autour du troisième mandat et je peux vous dire que la société civile sénégalaise, ainsi que les partis d’opposition, ont chacun joué leur partition pour que ce troisième mandat ne puisse pas avoir lieu.
La crise politique ne traduit elle pas une crise plus profonde du pays ?
La démocratie du pays devra évoluer après les élections. La première étape sera de rééquilibrer le rôle des institutions parce que le président de la République a trop de pouvoir dans le système politique sénégalais. Imaginez un peu que, de son bon vouloir, il a réussi à arrêter le processus électoral. Selon moi, il faut aujourd’hui réduire le pouvoir du président, renforcer le Parlement, l’autorité judiciaire et les institutions.
Il faudra que le prochain président comprenne que nous sommes dans une autre époque, que la jeunesse sénégalaise est en demande de démocratie. Si nous avons un élément démocratique qui surplombe tout le monde et qui a des pouvoirs exorbitants, cela pose un problème. Il faut aussi que la société civile continue de se faire entendre et de jouer son rôle. Elle doit faire des propositions, suivre l’action publique et éclairer la population si les politiques vont dans le bon sens ou non. C’est justement ce que le Sénégal a toujours été : un modèle démocratique en Afrique, une démocratie vivante et pas seulement électorale, même si elle est imparfaite.
Cette séquence politique ne permettra-elle pas, finalement, de renforcer la démocratie du pays ?
Dans tout ce qu'il se passe, il y a quand même une avancée démocratique : c'est la décision du Conseil constitutionnel. Par sa jurisprudence, cette institution disait qu’une loi votée par les députés était constituante, que c’était le peuple qui avait parlé. Mais malgré ça, ici, elle a dit que c’était anticonstitutionnel, qu’on ne peut pas toucher à la durée du mandat. De mon point de vue, ça va compter dans les prochaines années et cela évitera de répéter cette situation. En-tout-cas, nous devons tout mettre en œuvre pour organiser des élections avant le 2 avril sinon la situation deviendra vraiment très compliquée.