Fil d'Ariane
Le Conseil constitutionnel sénégalais a invalidé jeudi 15 février le report de la présidentielle du 25 février au 15 décembre et le maintien du président Macky Sall au pouvoir au-delà de son mandat. Entretien avec Elimane Kane, co-initiateur de Aar Sunu Election ("Protégeons notre élection"), un collectif citoyen à l'origine de plusieurs manifestations.
es Unes des quotidiens se focalisent sur le veto retentissant mis par le Conseil constitutionnel à la décision du président Macky Sall de reporter la présidentielle prévue fin février.
L'élection présidentielle sénégalaise ne se tiendra pas le 15 décembre comme voulu par le président Macky Sall. Le Conseil constitutionnel a rejeté les deux textes justifiant report du scrutin de 10 mois. D'abord, "la loi portant dérogation aux dispositions de l'article 31 de la Constitution adoptée par l'Assemblée nationale est contraire à la Constitution". Ensuite, "le décret du 3 février 2024 portant abrogation du décret convoquant le corps électoral pour l'élection présidentielle du 25 février 2024 est annulé". L'institution demande également la tenue de l'élection "dans les meilleurs délais".
Depuis jeudi 15 février, plus de 130 opposants ont également été libérés par les autorités et 90 autres devraient l'être également ce vendredi 16 février. Par ces gestes, Macky Sall cherche l'apaisement pour sortir de la crise politique que traverse le pays depuis l'annonce du report.
Ce revers politique pour le camp présidentiel n'a pas manqué de faire réagir la société civile. Elimane Kane est co-iniateur du collectif Aar Sunu Election qui est à l'origine de manifestations contre le report. Il est également président du think tank panafricain Legs-Africa.
TV5MONDE : Comment réagissez-vous à la décision du Conseil constitutionnel ?
Elimane Kane, co-initiateur du collectif Aar Sunu Election et président du think tank panafricain Legs-Africa : Il ne pouvait pas en être autrement. C’est un acte qui rétablit l’ordre constitutionnel et qui nous ramène au respect du calendrier électoral. Le Conseil constitutionnel a rappelé les éléments juridiques qui annulent le décret pris par le président et la loi qui a été votée par quelques députés de l’Assemblée nationale. Maintenant, nous devons aller jusqu'au bout, parce que l’institution n’est pas allée jusqu’à fixer elle-même un réajustement du calendrier électoral. Il y a encore cette incertitude sur la date de l’élection. C’est notre revendication, la réhabilitation du processus électoral doit être effective. Organiser les élections le 25 février comme initialement prévu sera compliqué, mais on pourra faire des arrangements. Ce que nous voulons surtout, c’est une élection avant le 2 avril. C'est pour cela que nous maintenons notre mobilisation.
Que peut faire le président Macky Sall ?
Il peut tout simplement faire une déclaration pour dire que le processus électoral va poursuivre son chemin. Si aucune élection n’est organisée avant le 2 avril, le président devra quitter le pouvoir et il sera remplacé par le président de l’Assemblée nationale, Amadou Mame Diop. Il assurera l’intérim pendant 3 mois et devra organiser rapidement des élections.
Est-ce une étape importante pour la sauvegarde de la démocratie sénégalaise tout en ayant évité une bascule autoritaire ?
Cela réhabilite l’État de droit, c’est-à-dire la séparation des pouvoirs. Aujourd’hui, le pouvoir judiciaire, qui était très critiqué, vient de montrer qu’il reste encore debout. C’est rassurant pour l’équilibre des pouvoirs dans ce pays. Cela traduit notre capacité de régler nos problèmes et que les institutions peuvent fonctionner régulièrement à cet effet. Mais je ne pense pas que le Sénégal aurait pu basculer dans un système autoritaire malgré tout. Nous avons une armée républicaine gérée par des intellectuels, qui a une tradition historique de jouer le rôle de régulateur quand le pouvoir vacille. Même s’il n’y a pas de risque zéro, ce n’est pas aujourd’hui que va être remis en cause cet acquis-là, même si le président Macky Sall est allé trop loin.
Certains juges du Conseil constitutionnel sont accusés de corruption, est-ce que cela ne va pas remettre en cause leur légitimité ?
On ne peut pas remettre en cause une personne ou une institution sur la base de simples accusations. Puis il y a des moyens légaux pour régler ce genre de situation. Le procureur s’est saisi de la question, arrêtant au passage l’initiative parlementaire. Maintenant, c’est à la justice de faire son travail. L’un des deux juges concernés n’a pas siégé. Puis le Conseil constitutionnel peut faire son travail en effectif réduit.