Sénégal : les fausses informations, une arme de campagne électorale

A quelques jours de la présidentielle, voici un nouveau volet de notre série de reportages sur la société sénégalaise. La diffusion de fausses informations est devenue un classique des campagnes électorales ces dernières années. Le Sénégal n’y échappe pas. Peuvent-elles fausser le jeu électoral ?
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Soupçons de corruption autour du candidat Sonko ? Information rapidement démentie.
© Camille Sarazin
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L’élection présidentielle du 24 février approche à grand pas et les fausses nouvelles pullulent au Sénégal. Le candidat de l’opposition, Ousmane Sonko, déguisé en salafiste sur les réseaux sociaux ou accusé d’être à la solde d’une entreprise pétrolière britannique, une carte d’identité photoshopée pour faire croire que le président Macky Sall est français… Certaines fausses informations sont difficiles à croire, parfois grossières, mais circulent tout de même sur les réseaux sociaux. Voire sont reprises par des journaux sénégalais.

« Par jour, je peux être confronté à cinq ou six fausses informations, parfois d’une certaine grossièreté, et essentiellement sur des questions politiques », témoigne Mamadou Ndiaye, chef de division multimédia au Centre des études et techniques de l’information (Cesti), la principale école de journalisme de Dakar. Le but ? Glorifier son candidat et délégitimer le camp adverse à tout prix.

Pour illustrer la campagne au Sénégal, une photo prise... au Congo !

Dernier exemple en date, une photo de foule qui a circulé sur Twitter début février, et un compte pro-Macky Sall affirmant que, lors du dernier meeting de son candidat, ses soutiens étaient venus en nombre. Sur la photographie, la foule est extrêmement compacte.

Un internaute relève rapidement la supercherie. La photo a déjà été utilisée la veille sur un compte Twitter, pour illustrer une toute autre manifestation, dans un autre pays. Manipulation confirmée par l’Agence France-Presse, dans un article de fact-checking, la journaliste Anne-Sophie Faivre Le Cadre explique que « le cliché original a été pris au cours d’un meeting à Kinshasa de l’opposant Martin Fayulu, le 2 février. Il a été posté sur le compte d’Arnold Katako. »

"Je crois ce qui m'arrange le plus !"

Pour révéler et mettre en lumière les fausses informations, une initiative s’est mise en place sur le continent africain depuis 2012: Africa Check. Cette organisation se donne pour objectif « de promouvoir la précision des faits dans le débat public et dans les médias en Afrique ». Pour Valdez Onanina, journaliste au sein du bureau de Dakar, le ressort des fausses nouvelles est que, peu importe qu’une information soit vraie ou fausse, pourvu qu’elle aille dans le sens des croyances et des convictions personnelles. « Je crois ce qui m’arrange le plus », assure-t-il.

Autre exemple récent: une fausse information sur Ousmane Sonko, le candidat de l’opposition, a fortement circulé, avant d’être formellement démentie. Un article publié par un média ghanéen l’accusait d’avoir reçu 195.000 dollars d’une société pétrolière britannique, Tullow Oil.
La nouvelle a été reprise par de nombreux sites d’information sénégalais, et même dans les journaux traditionnels. « Ce qui est inédit en ce moment, et on le voit avec l’affaire Sonko et Tullow Oil, c’est que des infox nées sur internet passent dans les journaux papiers », s’inquiète Anne-Sophie Faivre Le Cadre. Une ligne a été franchie lors de cette campagne présidentielle.
Les fausses nouvelles sont maintenant une arme politique comme une autre. « Un conseiller en communication du président de la République a partagé un de ces articles sur Sonko, il écrivait ensuite : ‘je ne sais pas si c’est vrai ou pas’. Si vous ne savez pas, ne partagez pas. Il y avait une envie manifeste de nuire », décrypte Mamadou Ndiaye.

Même constat du côté d’Africa Check : la bataille politique est pleine de fausses nouvelles. « On se rend compte que c’est toujours un jeu entre opposants et gouvernants, raconte Valdez Onanina. On s’envoie des petites piques par le canal de la désinformation. Souvent on extrapole les chiffres, ou on les minimise. »

Les réseaux sociaux accentuent le phénomène

Avec les réseaux sociaux, certaines de ces fausses nouvelles deviennent virales. Et malgré les démentis et le travail des journalistes qui font du fact-checking, le mal est fait. « Quasiment la totalité de la population sénégalaise a un téléphone mobile », insiste Mamadou Ndiaye. Si tout le monde n’est pas sur Facebook, chacun est connecté à Whatsapp, plateforme sur laquelle les infox circulent en masse. Et sur laquelle les médias sont moins présents.

« Sur Whatsapp, on a régulièrement des messages qui circulent avec des montages, des événements qui se sont passés parfois il y a cinq ans… ce genre de manipulations qui contribuent à fabriquer des fake news », explique ce spécialiste des fausses nouvelles. Et la question de l’éducation aux médias n’est pas une priorité. 

On a beaucoup d’utilisateurs qui n’ont pas un niveau d’études assez élevé, voire des analphabètes qui utilisent les réseaux sociaux. 

Mamadou Ndiaye, Centre des études et techniques de l’information (CESTI)

Difficile cependant de dire si les fausses nouvelles peuvent changer le cours de l’élection. « Si c’est arrivé aux Etats-Unis, ça peut arriver ici, analyse Valdez Onanina. Mais ce n’est pas aujourd’hui une réelle préoccupation ici au Sénégal. »
Que les fausses nouvelles ne changent pas la donne à grande échelle ne veut pas dire qu’elles n’ont pas d’impact. « Si une personne qui avait décidé de voter pour Sonko modifie son choix à cause de fausses informations, c’est déjà une preuve qu’elles peuvent truquer le jeu électoral », conclue Valdez Onanina.

>> Cet article est publié en partenariat avec l'école de journalisme du Celsa - Paris Sorbonne et son projet "Carnets du Sénégal".  32 étudiants journalistes sont partis en reportage dans le pays à quelques jours de la présidentielle pour y réaliser, pendant dix jours, des reportages, des analyses et autres portraits qui alimentent leur blog et le site de TV5MONDE.