Fil d'Ariane
Plusieurs magasins représentant des enseignes françaises ont été attaqués, voire pillés, lors des manifestations parfois virant en émeutes qui secouent le pays depuis l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko. Ces attaques ont-elles visées à dessein des infrastructures pouvant représenter des interêts français au Sénégal?
Des manifestants protestent contre l'arrestation de l'opposant politique Ousmane Sonko à Dakar, le 5 mars 2021.
"Dakar connaît une agitation sociale forte et hier [jeudi] 14 de nos magasins dans cette ville ont été attaqués et 10 pillés", a posté le président d'Auchan Retail, Edgard Bonte, sur son compte LinkedIn. Les images de pillages des différents magasins circulent sur les réseaux sociaux et montrent des rayons dévalisés au milieu de grandes surfaces inondées dont certains produits flottent sur la mince surface d’eau.
Des stations-services du groupe Total ont aussi été prises d’assaut. Ces pillages ont-ils eu pour objectif de lancer un message politique de défiance vis-à-vis des relations franco-sénégalaises ?
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« Les actes de vandalisme, qui accompagnent souvent ce type de circonstance, ont touché toute la capitale », tempère Gilles Yabi, fondateur du think tank citoyen WATHI. « Les pillages n'ont pas concerné que les interêts français. »
Depuis l’arrestation d’Ousmane Sonko le 3 mars, ses soutiens nombreux parmi la jeunesse sénégalaise ne décolèrent pas. Dans son discours empreint d’une volonté d’indépendance économique et politique du Sénégal, le leader du Pastef (Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité) porte en partie une volonté de redéfinir les relations avec la France, notamment en s’extrayant du franc CFA.
« Il y a une impression que la France soutient les chefs d'Etat qui bafouent l’Etat de droit et les droits humains. Cette perception est très forte au sein de la jeunesse, et pas seulement qu’au Sénégal », affirme Alioune Tine, fondateur du think tank Afrikajom Center. « Par sa jeunesse et son discours qui dénonce beaucoup d'injustices, Ousmane Sonko est totalement en phase avec la jeunesse d’aujourd'hui. »
Pour Gilles Yabi, il est nécéssaire cependant ne pas « surinterpréter » les événements, même s’il est clair « qu’il y a un besoin d'autonomie économique plus important, qui est perçu de plus en plus par une partie de la population qui a envie d'accueilir des investisseurs étrangers diversifiés ; qu'il ne s'agisse pas que de présence française ». Un besoin qui serait accompagné « du sentiment que le poids économique va de pair avec une forme de domination politique. »
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Si Edgard Bonte n'a pas précisé le montant du préjudice financier subi par Auchan, qui compte 32 magasins et un "drive" au Sénégal, le chef d’entreprise dénonce « une erreur de cible » pour ceux qui s’attaquent à Auchan « en croyant viser des intérêts français » : « Au Sénégal, nous faisons vivre près de 1700 familles sénégalaises, nous permettons à plus de 500 producteurs et industriels sénégalais de se développer et d’embaucher », argumente le président de l’enseigne.
La présence massive des magasins de la chaîne de distribution française dans le paysage économique sénégalais aurait cependant nourri certaines frustrations, d’après Gilles Yabi, et ce bien avant les manifestations : « La chaîne Auchan s'est implantée dans presque tous les quartiers de Dakar et même en dehors de la capitale. Elle est visible partout aujourd’hui », expose l’analyste. Un constat qui « crée des frustrations de la part de commerçants et d'acteurs économiques formels et informels, qui ont perdu beaucoup de clientèle à cause de cette implantation massive d’Auchan », selon l’analyste qui admet que l’enseigne française reste « un acteur économique important, qui crée des emplois et des débouchés pour les producteurs sénégalais. »
Des suites des heurts et des actes de vandalisme, la mise à l’arrêt de l’économie nationale pourrait aujourd’hui menacer l’ensemble de la population, et en première ligne les plus pauvres. Le contexte de la crise sanitaire avait déjà dangereusement fragilisé l’économie nationale et sa population. Une réalité à mettre en lien avec les actes de violence survenus selon Alioune Tine : « L’affaire Sonko a fait émerger de nombreux malaises au Sénégal, engendrés notamment pendant la crise du coronavirus. Beaucoup de gens ne peuvent toujours pas travailler ni se nourrir. Si des gens vont dans les magasins pour prendre de la nourriture, c'est que les gens ont faim. »
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